En se concentrant sur les secteurs et les écosystèmes les plus climatiquement vulnérables : l’eau, l’agriculture et le littoral ; la Tunisie fait face à plusieurs préoccupations où figure, en bonne place, notre sécurité alimentaire. C’est l’un des points culminants des témoignages recueillis par Le Manager auprès de Rafik Aini, coordinateur de la commission sectorielle du changement climatique au ministère de l’Agriculture, et du duo Adel Abdouli, coordinateur national du projet de résilience côtière face aux risques climatiques au sein de l’APAL et Fadhel Baccar, chef du projet au PNUD.
L’eau, l’agriculture et le littoral: trois domaines qui ont une influence majeure sur la sécurité alimentaire de la Tunisie, comme en attestent nos trois interlocuteurs. D’abord dans le secteur agricole, où les mesures d’adaptation ont concerné le renforcement des capacités d’observation et des connaissances scientifiques, l’adaptation des systèmes agricoles face à la raréfaction des ressources en eau et l’élaboration et mise en œuvre de plans et stratégies d’adaptation de l’agriculture au changement climatique à l’échelle nationale et régionale.
Diminution du PIB agricole de 10%
Selon Rafik Aini, coordinateur de la commission sectorielle du changement climatique au ministère de l’Agriculture, les enjeux climatiques ont été pris au sérieux depuis toujours : ‘’Nous travaillons en coordination avec l’Institut national de la météo qui a réalisé en 2015 des scénarios de projection de notre température et de nos précipitations à l’horizon 2050 et 2100! Le ministère a mis au point une stratégie d’adaptation de l’agriculture et de l’écosystème en 2007 et nous continuons à affiner cette stratégie car nous avons gagné en précision depuis lors.
Aujourd’hui, nous sommes conscients que nous sommes dans une zone méditerranéenne qui est considérée comme un Hot Spot mondial en termes d’élévation de température et d’émission de gaz à effet de serre et nous ne perdons pas de vue le rapport spécial sur les changements climatiques qui fixe la limitation de l’augmentation de la température entre 1,5 et 2 degrés.’’ Des engagements clairs qui montrent que la Tunisie a ses propres enjeux dans la question climatique, à commencer évidemment par la sécurité alimentaire. ‘’Nous sommes attentifs aux questions de sécurité alimentaire et nous avons commencé à travailler sur les scénarios qui touchent les grandes cultures, les oliviers et l’arboriculture, la pêche et l’aquaculture. Les deux plus grands défis viennent de l’augmentation de la température et de la diminution des précipitations entre -7 et -22%, ce qui induit une diminution du PIB de l’agriculture de 5 à 10%’’, avertit Aini. Pour faire face, notre interlocuteur estime que c’est un long travail de patience où on ne peut augmenter notre résilience qu’une fois nos vulnérabilités connues et reconnues.
Négocier et gagner en visibilité
Seulement, la Tunisie ne peut faire face en aparté et elle a besoin, comme tous les autres pays, de coordonner et de se faire appuyer. « C’est par le biais de ces discussions que l’on peut influer les parties et drainer les finances nécessaires à notre plan. Il s’agit surtout de l’agriculture,de l’eau,des forêts où nous avons beaucoup de projets. Nous ne visons pas les crédits mais les dons. Il faut éviter cet amalgame que l’on va à la COP pour ramener de l’argent, il faut aller avec des projets clairs à présenter et à discuter. Par exemple en matière d’énergie, d’eau et de production agricole qui sont intimement liés, nous avons présenté une proposition de projet au fonds vert pour Kairouan, Kasserine, Sidi Bouzid et Gafsa qui se monte à 70 millions de dollars dont 50% de dons.’’, martèle Aini concernant la participation tunisienne à la COP25.
L’enveloppe est là, assure-t-il, puisque les pays développés se sont engagés à donner 100 milliards de dollars par an pour les pays en développement pour augmenter leur résilience climatique. Cela ne dispense pas, pour autant, de repenser nos stratégies globales et l’aménagement de notre territoire en gardant à l’esprit les différents secteurs parmi les plus vulnérables, tels que l’agriculture, le tourisme, la santé, le littoral et les infrastructures. ‘’Au sein de la COP, les négociations se font à plusieurs étapes avec 194 pays et c’est une grande visibilité pour la Tunisie, une autre manière d’influer sur les décisions, autant sous la bannière tunisienne que celle africaine car je suis également Lead Coordinator du groupe africain sur l’agriculture. De ce point de vue aussi, il ne faut jamais oublier que la COP est divisée en une semaine technique et une semaine politique et c’est nous qui proposons les arguments à défendre par les politiciens’’, commente-t-il.
Ganivelles, palmivelles, géotextiles…
Pour aborder le chapitre du littoral face aux risques climatiques, deux interlocuteurs apportent un double éclairage sur le projet ad hoc ; Adel Abdouli, coordinateur national du projet de résilience côtière face aux risques climatiques au sein de l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL) et Fadhel Baccar, chef du projet au PNUD. ‘’C’est depuis 2010 que l’APAL, avec l’appui du PNUD, s’intéresse à l’adaptation de notre littoral face aux menaces du changement climatique. Il y a donc une dizaine d’années que nous avons mis au point notre stratégie qui s’appuie tant sur l’importance que sur la vulnérabilité du littoral, qui abrite plus de 70% des activités économiques, 90% de la capacité totale d’hébergement touristique hôtelière et une grande partie de l’agriculture irriguée dans le pays.
Maintenant, il faut pousser le renforcement des capacités institutionnelles et réglementaires, en partenariat avec les institutions responsables de la gestion du domaine public maritime, de la planification spatiale et de la protection de l’environnement pour ce qui est de l’accentuation de l’impact’’, atteste Adel Abdouli qui entrouvre ainsi la question de la conscience des pouvoirs publics de l’urgence de cette question. Fadhel Baccar poursuit dans la même brèche : “Aujourd’hui, le développement au niveau du littoral ne prend pas en compte le risque climatique qui reste pour les décideurs une donnée dont ils ne savent pas mesurer les répercussions. Les interventions sur le littoral se fait au coup par coup, selon les circonstances. Il n’y a pas de vision stratégique claire alors que l’APAL a besoin, d’infos d’informations et de données récentes scientifiques, fiables et innovantes ainsi que de compétences, capables d’analyser ces données et de les intégrer dans les stratégies.”
L’appui du PNUD se traduit principalement en 3 axes, insiste -t-il : ajustement réglementaire et intégration du risque climatique dans les stratégies, recherche de techniques innovantes douces pour permettre l’adaptation, suivi et monitoring pour la production d’indicateurs et tableaux de bord actualisés. A cet effet, un réseau de mesures océanographiques est mis en place (bouées et marégraphes mesurant le niveau des marées, la houle et les courants…) est ainsi une première au sud de la Méditerranée. Même perspective pour les solutions souples fondées sur la nature (ganivelles, palmivelles, rechargement de plages, géotextiles remplis de sable…) qui peuvent créer des opportunités de business climat et d’emplois verts.
L’agriculture côtière, jalon de sécurité alimentaire
Les dimensions de sécurité alimentaire sont claires pour Adel Abdouli : ‘’Quand on protège et défend l’écosystème côtier et marin, on défend les services écosystémiques, à travers la protection de l’arrière-plage, la préservation de la biodiversité marine et côtière, le bon fonctionnement de l’herbier de posidonie (végétation marine responsable de la fixation des sédiments et atténuation de l’impact des houles sur la côte, absorption du CO2, permettre la nidification des poissons), etc. Tout cela est au centre de la question de l’autosuffisance alimentaire.’’ Ce sera d’ailleurs, de plusieurs points de vue, l’un des jalons de la participation de l’APAL à la COP25. Une opportunité d’échange et de recherche de collaborations avec les pays et les organisations multilatérales. Et communiquer sur ce que fait la Tunisie, ce qu’elle a réalisé, en matière de solutions d’adaptation…Nos deux interlocuteurs terminent leurs dernières nouvelles : ‘’A travers la collaboration entre l’APAL et le PNUD dans le cadre du projet résilience côtière, nous avons aidé 5 ONGs sélectionnées, chacune avec environ de 100 mille dinars pour mettre en place des interventions d’adaptation au changement climatique au niveau des sites du projet (Djerba, Ghar El Melh et Kalâat Landlouss). Et un nouveau projet est en cours de gestation.