Deux milliards de dinars: c’est le coût annuel estimé de la corruption en Tunisie, un phénomène dévastateur bien connu des Tunisiens, qui continuent d’en subir les conséquences. S’en débarrasser ne sera pourtant pas facile. “La lutte anticorruption est un effort qui doit se poursuivre dans le temps et émaner d’une vraie volonté politique”, a déclaré Michel Sapin, ancien ministre français des Finances à l’occasion d’une conférence organisée le 12 septembre par l’INLUCC.
Si l’Instance nationale de la lutte contre la corruption a invité Michel Sapin, c’est parce qu’il est l’auteur de deux lois clés de la lutte anticorruption en France parues en 1993 et en 2016. L’ancien ministre est venu porter son témoignage à propos de l’expérience française, a-t-il tenu à souligner. Et d’ajouter: “La lutte contre la corruption est nécessaire partout dans le monde, et aucun pays ne peut se positionner comme donneur de leçons à cet égard”. La lutte contre ce phénomène mondial nécessiterait donc une plus grande collaboration entre tous les acteurs concernés par la lutte contre ce phénomène. “C’est un phénomène complexe et dont les techniques sont en perpétuelle évolution”, a souligné Michel Sapin. La bonne nouvelle est que la Tunisie fait des avancées considérables, du moins selon Chawki Tabib, président de l’Inlucc. “Nous avons mis en place plusieurs lois en la matière”, a-t-il indiqué. Même son de cloche chez Steve Utterwulghe, représentant résident du Programme des Nations unies pour le développement qui a félicité la Tunisie pour les efforts qu’elle est en train de déployer. Mais le tableau, de l’aveu même de Tabib, est loin d’être rose: “La non-parution des textes d’application ont fait que certaines lois sont demeurées lettre morte”, a-t-il déploré.
La corruption et l’économie
Tous ces efforts ont fait que la Tunisie a considérablement amélioré son rang dans le classement Corruption Perceptions Index. Mais ceci n’est pas l’avis des chefs d’entreprise, 62% desquels estimant que la corruption a crû entre 2018 et 2019. La corruption nuit sévèrement à l’attractivité du pays aux investissements étrangers car les “investisseurs ont besoin de règles claires pour bâtir une relation de confiance”, a souligné de son côté Tarek Chérif, président de la Conect. La corruption met aussi à mal la compétition, entrave le développement économique et impacte négativement les recettes publiques de l’État. En France, la loi Sapin, parue en 1993, avait pour but de lutter contre la corruption à l’échelle nationale. Elle a permis de mettre en place un cadre efficace qui a contribué à réduire considérablement la corruption en France. Mais ce n’était pas suffisant. “Cette loi n’avait aucun effet sur la corruption transnationale”, a souligné Michel Sapin lors de son intervention. Pis encore, cette forme de corruption était institutionnalisée: “Un bureau à Bercy est dédié aux entreprises françaises souhaitant verser des sommes d’argent pour faciliter l’accès à certains marchés dans un souci de défiscalisation”, a-t-il fait remarquer ! La réputation des entreprises françaises n’était pas au top à l’échelle internationale et elles se sont vu interdire de participer à des projets de la Banque mondiale et autres institutions. C’est dans ce cadre que la loi Sapin II a vu le jour. Et contrairement à la première loi, qui a connu une grande résistance lors de sa rédaction, la loi de 2016 a été positivement accueillie par les entreprises françaises qui avaient besoin de cette loi pour rassurer leurs partenaires internationaux.
Que faut-il retenir ?
“Pour lutter contre la corruption, il vaut mieux prévenir que guérir”, a lancé Sapin. C’est pour cela que la loi a imposé aux entreprises la mise en place de dispositifs qui permettent de prévenir la corruption. Ces dispositifs sont obligatoires et l’Agence française anticorruption peut sanctionner les entreprises qui ne mettent pas en place de telles dispositions. Moins d’un an et demi de l’entrée en vigueur de la loi, toutes les entreprises ont mis en place ces dispositifs. “Nous avons également renforcé la loi en ajoutant des dispositions d’extraterritorialité qui sont les plus difficiles à appliquer”, a indiqué l’ancien ministre. “ Dans le cadre de cette loi, nous avons mis en place des procédures de justice transactionnelle. Ceci nous a permis de travailler avec d’autres juridictions pour combattre la corruption transfrontalière. C’est grâce à ce processus que nous étions capables de collaborer avec le Department of Justice américain dans l’affaire de la Société générale et ses transactions avec la Libye de Kadhafi. Ceci a permis à l’entreprise de tourner la page de cette affaire, tout en payant ses dus. La corruption est un phénomène profond qui remonte à des milliers d’années et qui a coûté la vie à plusieurs civilisations. La lutte contre la corruption ne doit pas s’arrêter et doit s’adapter à l’évolution de la corruption pour garder son efficacité”.