Par Alberto Onetti, Chairman, Mind the Bridge
L’innovation, souvent, ressemble à un jeu abstrait : des technologies qui poursuivent des mots à la mode, des promesses plus grandes que la réalité. Mais il existe encore des lieux où elle retrouve son sens premier : concret, urgent, humain. J’ai vu cela en Tunisie.
Dans le cadre du Terna Innovation Zone Tunisia, intégré au Global Startup Program mis en œuvre par Mind the Bridge et ELIS Innovation Hub, j’ai rencontré cinq startups — Kumulus Water, Asteroidea, Be Wireless Solutions, NextAV et Kamioun — qui redéfinissent silencieusement ce que peut être la deeptech lorsqu’elle s’enracine dans les besoins réels du quotidien.
Chacune raconte une histoire où la technologie est au service de la vie, et non l’inverse. Ensemble, elles dessinent le portrait d’un pays qui transforme ses défis — rareté, fragmentation, infrastructures inégales — en tremplin pour un nouveau modèle d’innovation.

L’eau venue de l’air : quand la nécessité devient invention
En Tunisie, la rareté de l’eau n’est pas une menace future : c’est une réalité quotidienne. C’est pourquoi la technologie de Kumulus Water a quelque chose de presque poétique : des unités compactes, alimentées par l’énergie solaire, qui condensent l’humidité de l’air pour produire de l’eau potable.
Déployés déjà en Tunisie, en France et en Arabie Saoudite, ces dispositifs prouvent que la deeptech peut être à la fois locale et mondiale, durable et réplicable. Ici, l’innovation ne répond pas à une mode — elle répond à un besoin vital.
Réinventer les espaces urbains pour la transition énergétique
Après l’eau, l’énergie est la deuxième frontière. Asteroidea la franchit en repensant un espace banal : le parking.
Sa plateforme connectée et orientée données transforme les parkings en véritables hubs de mobilité intelligente, intégrant accès sans ticket, paiement numérique et bornes de recharge électrique.
Cette approche, d’une simplicité remarquable, illustre une vérité souvent oubliée : innover, ce n’est pas toujours inventer ex nihilo. C’est souvent améliorer ce qui existe déjà.
L’efficacité, une nouvelle source d’énergie
C’est la même logique pragmatique qui anime Be Wireless Solutions, spécialisée dans l’optimisation énergétique et hydrique grâce à l’IoT et à l’intelligence artificielle.
Leur système surveille la consommation, détecte les inefficacités et peut réduire les gaspillages jusqu’à 30 %.
Dans des contextes où construire de nouvelles infrastructures est coûteux, améliorer celles déjà existantes devient la forme la plus intelligente — et la plus durable — d’innovation.
Des données au service d’une planète plus propre
Des sols aux satellites, NextAV met l’intelligence artificielle au service de la transparence environnementale.
Grâce à l’imagerie satellitaire augmentée par l’IA, la startup détecte les fuites de méthane, les marées noires ou d’autres polluants, offrant un outil scalable pour surveiller et réduire l’impact industriel.
À l’heure où les marchés mondiaux s’alignent sur les indicateurs ESG et le commerce du carbone, ces technologies deviennent la colonne vertébrale de la crédibilité environnementale.
Qu’une telle solution naisse en Tunisie, au carrefour de l’Afrique et de l’Europe, dit beaucoup de la maturité de son écosystème d’innovation.
Numériser l’économie informelle
Enfin, Kamioun applique le même esprit de réalisme… à la rue.
Sa plateforme B2B relie les petits commerces de quartier à leurs fournisseurs, digitalisant un secteur encore largement hors ligne.
Dans un pays où le commerce informel reste dominant, Kamioun ne fait pas que moderniser la logistique : elle favorise l’inclusion économique.
Chaque commande enregistrée, chaque donnée collectée contribue à formaliser un tissu commercial qui constitue, en réalité, le cœur battant de l’économie tunisienne.
Un fil rouge : l’innovation ancrée dans le réel
Ce qui relie ces cinq startups, ce n’est pas leur technologie — c’est leur regard.
Toutes opèrent à la jonction du possible et du nécessaire, transformant les contraintes en opportunités, les problèmes en prototypes.
Elles rappellent que la véritable innovation ne naît pas de l’abondance, mais de la pertinence.
Les entrepreneurs tunisiens ne cherchent pas à créer des licornes : ils construisent des entreprises résilientes, efficaces et utiles — des chameaux, pour reprendre la célèbre métaphore.
Alors que les investisseurs internationaux cherchent de plus en plus des projets à impact, ancrés dans la réalité, ils pourraient bien découvrir que la prochaine vague d’innovation ne viendra ni de la Silicon Valley ni de Shenzhen, mais de Tunis, Sfax ou Sousse — là où la technologie cesse d’être une fin, pour redevenir un moyen.
Connecter pour comprendre
La Tunisie s’impose à nouveau comme une économie-pont : non seulement entre continents, mais entre deux visions de l’innovation — celle qui rêve, et celle qui agit.
Envie de la découvrir de plus près ? Ne manquez pas l’occasion de plonger dans cet écosystème lors du Terna Innovation Zone Tunis Forum 2025, organisé par The Dot le 27 novembre.

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Alberto Onetti
Alberto Onetti est Chairman de Mind the Bridge et professeur à l’Université de l’Insubrie. Entrepreneur en série, il a fondé trois startups au cours de sa carrière, dont Funambol, l’une des cinq scaleups italiennes ayant levé le plus de capitaux. Il est reconnu comme l’un des principaux experts internationaux en open innovation et possède une solide expérience dans la conception et la gestion de projets d’innovation ouverte — venture client, venture building, intrapreneuriat, corporate venture capital — auprès de grandes entreprises multinationales. Il intervient également en tant que conseiller et formateur sur ces sujets. Onetti publie régulièrement des contributions dans plusieurs médias internationaux spécialisés.









