Le secteur agricole, à la fois victime et acteur du changement climatique, fait face à une crise silencieuse : un déficit massif de financement pour assurer sa transition écologique. Alors que l’agriculture et les systèmes alimentaires sont responsables de plus du tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), les flux financiers qui leur sont destinés restent très en deçà des besoins.
Selon l’ouvrage ” l’agriculture et les systèmes alimentaires du monde face au changement climatique”, il faudrait mobiliser entre 300 et 350 milliards de dollars par an pour rendre les systèmes agricoles et alimentaires durables. Or, le financement mondial pour le climat, bien qu’en hausse — 115,9 milliards de dollars en 2022 selon l’OCDE —, n’en consacre qu’une fraction à l’agriculture, à la sylviculture et à la pêche : 18 % pour l’adaptation, 4 % pour l’atténuation et 13 % pour les deux objectifs combinés, soit à peine 10,4 milliards de dollars.
Les oubliés de la finance climatique
Les petits exploitants, qui produisent une part essentielle de l’alimentation mondiale, restent largement exclus des mécanismes de financement. En 2021, seulement 2 % du financement public international pour le climat leur étaient destinés. Ces agriculteurs, souvent localisés dans les pays du Sud, sont jugés à haut risque et peu rentables par les investisseurs. Résultat : 95 % des fonds qu’ils reçoivent proviennent du secteur public, une source insuffisante face à l’ampleur des défis climatiques et économiques.
Attirer la finance privée : la nouvelle bataille
Face à l’insuffisance des financements publics, la réponse dominante passe par la financiarisation du climat. L’idée est d’utiliser les fonds publics pour « dérisquer » les investissements privés, notamment à travers des instruments financiers innovants.
La blended finance, ou financement mixte, en est l’un des exemples les plus promus. Des initiatives telles que AgriFI (Union européenne) ou le fonds Agri3 (UNEP et Rabobank) utilisent l’aide publique au développement comme levier pour attirer les capitaux privés vers l’agriculture durable.
Autre piste : les marchés volontaires de compensation carbone, fondés sur des projets d’agroforesterie ou d’agriculture régénérative, qui génèrent des crédits carbone. Mais ces approches restent controversées : le secteur agricole est souvent jugé trop risqué, et les projets, trop technocratiques, peinent à inclure les petits producteurs ou à garantir un impact durable.
Vers une finance climatique plus juste
L’enjeu aujourd’hui est de garantir une finance climatique équitable et coordonnée, capable d’intégrer les besoins spécifiques des pays du Sud et des communautés rurales. L’atelier de l’initiative quadriennale commune de Charm el-Cheikh sur l’agriculture (2025) devrait d’ailleurs approfondir les discussions autour de l’accès aux financements et des moyens de mise en œuvre.
Si la promesse des 100 milliards de dollars par an a enfin été atteinte en 2022, les experts insistent sur la nécessité de revoir le ciblage de ces fonds. Renforcer la coopération scientifique, consolider les institutions nationales et réformer les règles du commerce et de l’investissement apparaissent comme des priorités urgentes.
Face à l’urgence climatique, la transformation des systèmes alimentaires ne peut plus reposer sur des projets isolés ou des logiques de court terme. Combler le « financial gap » n’est pas seulement une question de capitaux : c’est une condition essentielle pour bâtir une transition agricole juste, inclusive et durable.









