Il y a des figures dont l’influence dépasse leur époque. Béchir Salem Belkhiria appartient à cette catégorie rare de bâtisseurs qui, par leur vision, leur audace et leur immense humanité, ont laissé une empreinte durable dans l’histoire économique et sociale de la Tunisie.
Sa disparition a été vécue comme un choc national. Des politiques, des syndicalistes, des entrepreneurs, des intellectuels et des jeunes ont afflué pour lui rendre hommage, car Béchir Salem Belkhiria n’était pas seulement un chef d’entreprise: il était une idée, un modèle, un esprit.
Un homme de valeurs avant tout
Pour ceux qui l’ont connu de près, comme Moez et Nacef Belkhiria, parler de Béchir Belkhiria, c’est d’abord évoquer un homme profondément humain.
Ils décrivent à l’occasion du 40ᵉ anniversaire du décès de Bechir Salem Belkhiria, tenue le vendredi 28 novembre, un personnage exceptionnel:
un homme modeste, patriote, entièrement dévoué à son pays, à sa famille et au progrès collectif. L’argent n’était jamais son moteur. Ses objectifs étaient ailleurs: les idées, la construction, le développement, l’impact.
Il croyait dans «l’utilité» de chacun et cherchait toujours à mettre son énergie au service de projets qui pouvaient faire avancer la Tunisie. Ceux qui l’ont côtoyé soulignent un trait constant: il pensait toujours à «ce qui peut être utile» plutôt qu’à «ce qui peut rapporter».
Un parcours exceptionnel aux quatre coins du monde
Peu savent à quel point le parcours académique de Béchir Belkhiria était singulier.
Il fait partie des premiers Maghrébins admis à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), où il obtient sa licence en 1958.
Son excellence lui vaut même un accueil officiel par le président de la République française.
Il poursuit ensuite son chemin à New York, où il décroche un MBA en 1960, puis travaille à la Bourse américaine. Mais alors que la plupart des diplômés se tournaient vers des carrières confortables dans le privé, lui choisit le chemin le plus difficile: retourner en Tunisie pour construire.
L’entrepreneur qui voyait loin
De retour au pays, il fonde ses premières entreprises dans le chauffage et l’eau chaude, puis se tourne vers la publicité à une époque où le secteur était encore inexistant.
Dans les années 1960 et 1970, il diversifie ses activités:
- industrie,
- logistique,
- agriculture,
- technologie,
- communication,
- presse.
Il introduit en Tunisie des innovations qui n’existaient nulle part dans la région:
- les premiers panneaux solaires,
- des méthodes modernes d’emballage et de logistique,
- des modèles d’intégration entre agriculture, transformation et distribution,
- des partenariats industriels structurants.
En 1980, il lance même le projet «Dar Chams», précurseur de l’industrie solaire tunisienne, bien avant que le monde n’en réalise l’importance.
Le visionnaire fasciné par l’Asie
Sa première visite au Japon, en 1970, est un tournant. Il y découvre une économie fondée sur la qualité, la rigueur, la patience et le collectif. Ces valeurs deviennent son credo. Il établit alors des liens industriels majeurs, notamment avec Toyota. La première voiture Toyota importée en Tunisie le fut grâce à lui, avant qu’un accord officiel ne soit signé, après sa disparition.
Pour lui, la Tunisie pouvait suivre la voie de la Corée du Sud ou de Singapour. Il répétait souvent que notre pays avait tout pour devenir un modèle économique en Méditerranée, si la culture du travail, de l’innovation et de l’organisation devenait centrale.
L’homme de culture, de sport et de presse
Contrairement à l’image classique de l’homme d’affaires froid et distant, Béchir Salem Belkhiria était un passionné d’art, de culture et de sport. Il contribua à moderniser le cinéma tunisien, investit dans le théâtre et soutint les jeunes réalisateurs. Il joua aussi un rôle déterminant dans le développement du judo tunisien, aidant le pays à atteindre des succès internationaux, notamment la victoire sur l’Espagne en 1985. Il était convaincu que la culture et le sport construisent l’humain autant que l’économie. Dans la presse, il soutint Dar Assabah, qu’il voulait indépendante, sociale, et utile à la compréhension de la société tunisienne.
Un éducateur dans l’âme
Pour lui, le savoir était la véritable richesse des nations. Il rêvait d’une université libre en Tunisie, fondée sur l’excellence, l’ouverture internationale et la rigueur. Il encourageait les jeunes à innover, à entreprendre, à oser.
Il lança même un concours national pour les inventeurs tunisiens, convaincu que l’avenir du pays passerait par sa jeunesse créative.
Un dernier message…
Avant sa disparition, Béchir Salem Belkhiria avait laissé un message simple à ses proches:
protéger l’entreprise, protéger l’esprit, protéger la vision.
Son héritage n’est pas seulement économique.
Il est moral, culturel, intellectuel, et profondément humain.
Sa vie raconte l’histoire d’un homme qui croyait que la Tunisie pouvait être grande, moderne, ouverte, prospère — si chacun faisait sa part, avec honnêteté et passion.
Aujourd’hui encore, des jeunes, des entrepreneurs, des penseurs et des dirigeants se réclament de son esprit.
Parce que les idées de Béchir Salem Belkhiria ne sont pas que des souvenirs: ce sont des directions.
Elles montrent la voie d’un pays qui croit en sa capacité à se transformer.









