L’accès au crédit demeure l’obstacle majeur pour quatre entreprises sur dix dans les économies émergentes, rappelle la Banque mondiale. Un diagnostic qui résonne particulièrement en Tunisie, où la deuxième édition des «Rencontres du Financement» a réuni le 21 octobre 2025 un panel d’institutions financières internationales face à un tissu entrepreneurial en demande de solutions concrètes.
Organisé par la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-française, le forum a traité 61 demandes de financement émanant d’entreprises tunisiennes tous secteurs confondus. Quarante-cinq entretiens bilatéraux entre porteurs de projets et financeurs ont été programmés parallèlement aux sessions plénières.
Khelil Chaibi, à la tête de la Chambre, a cadré les enjeux en appelant à repenser les outils de financement. Son intervention a mis l’accent sur l’impératif d’aligner les mécanismes financiers sur les contraintes opérationnelles des PME locales, confrontées simultanément à des mutations technologiques, des exigences environnementales croissantes et un contexte économique complexe. Les préconisations des organismes multilatéraux plaident pour un bouquet diversifié associant crédit bancaire classique, injection de capitaux, dispositifs de garantie et appui technique.
BERD: 2,7 milliards d’euros mobilisés via quatre dispositifs d’intervention
Depuis son entrée en Tunisie en 2012, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement a mobilisé plus de 2,7 milliards d’euros dans l’économie nationale, avec une contribution de 240 millions sur la seule année 2024. Firas Moalla, banquier associé au département secteur privé, a détaillé l’architecture de l’offre institutionnelle.
Les entreprises peuvent d’abord solliciter un accompagnement consultatif dont la BERD assume 70 % du coût. Cette prestation couvre l’optimisation des chaînes de production, la mise aux normes internationales ou encore la réalisation d’audits énergétiques préparatoires à des installations solaires.
Au-delà de dix millions d’euros, la BERD octroie des prêts en direct. Pour les montants inférieurs, dès un million d’euros, elle a conçu un mécanisme de garantie partielle adossé aux contrats standards des banques tunisiennes partenaires. Cette formule simplifie les procédures tout en ouvrant l’accès à l’assistance technique et, dans certains cas, à des subventions additionnelles.
Trois illustrations concrètes ont été présentées: un conditionneur ayant acquis une ligne de production réduisant la consommation électrique de 15%, un transformateur agroalimentaire équipé d’une installation photovoltaïque et d’un système économisant 90% de la ressource hydrique, ainsi qu’une unité industrielle dotée d’une centrale solaire de 5 mégawatts.
La BERD injecte également directement des fonds propres dans certaines sociétés et participe à plusieurs véhicules d’investissement tunisiens. Dans le segment PME, Firas Moalla a évoqué Land’or, qui a développé une implantation industrielle au Maroc, ainsi que Telnet.
La Banque cible aussi les établissements bancaires locaux, les institutions de microfinance et les sociétés de crédit-bail. Dans les jours précédant la rencontre, deux accords de lignes de crédit ont été paraphés avec des banques pour faciliter l’accès de leur clientèle à des prêts destinés aux investissements écologiques.
Chaque dossier est évalué selon six critères: compétitivité, qualité de la gouvernance, inclusion socio-économique, résilience et performance environnementale, ce dernier axe occupant une position prioritaire.
BAD: un portefeuille régional de 600 millions d’euros
Fernando Rodrigues, responsable des opérations du secteur privé pour l’Afrique du Nord à la Banque africaine de développement, a exposé l’étendue des instruments disponibles. Au premier trimestre 2025, l’enveloppe dédiée au secteur privé dans la zone nord-africaine s’élevait à plus de 600 millions d’euros, extraite d’un portefeuille continental global de 5 milliards.
La structure de financement repose majoritairement sur des prêts à longue maturité (60 % du volume), complétés par des lignes de crédit, des injections en fonds propres et des garanties partielles de risque.
La BAD vise les entreprises autonomes financièrement, dotées d’une gouvernance structurée, pour des opérations démarrant à 10 millions d’euros. L’institution couvre typiquement le tiers du montant total requis. Les durées de remboursement s’étendent jusqu’à 15 ans, prolongées à 20 ans pour les projets d’infrastructure ou énergétiques. Des ressources concessionnelles viennent bonifier les conditions tarifaires dans le domaine des énergies renouvelables.
Le projet solaire de Kairouan, cofinancé avec la SFI pour 37 millions d’euros, constitue un exemple local de cette approche combinée. À l’échelle régionale, la Banque a appuyé un industriel franco-ivoirien spécialisé dans la transformation du caoutchouc et participé au bouclage financier d’une cimenterie de 50 millions d’euros au Maroc.
IFC: 68 millions d’euros dans l’agroalimentaire
Sarah Morsi, représentante résidente de la Société Financière Internationale, a explicité les conditions d’éligibilité. En janvier dernier, l’IFC a débloqué 68 millions d’euros pour un producteur tunisien de tomates cerises employant 3000 personnes dans la région de Gabès. Elle a également structuré le financement de la centrale solaire Tozeur One (100 mégawatts) sur une échéance de vingt ans.
Le ticket minimal d’entrée constitue le premier filtre : l’IFC requiert dix millions de dollars ou d’euros, un montant justifié par l’ampleur des coûts de traitement. Cette barrière peut être abaissée pour des initiatives présentant un potentiel de développement exceptionnel. La rentabilité commerciale, la solidité technique et le respect des standards environnementaux et sociaux complètent la grille d’analyse.
L’institution propose des participations minoritaires directes, plafonnées à 20% du capital, étalées sur une période pouvant atteindre dix ans. Pour les PME ne franchissant pas le seuil d’intervention directe, l’IFC a élaboré une stratégie d’accès indirect via les banques commerciales, les sociétés de leasing et les fonds de private equity. Un investissement récent dans le fonds Flat6Labs en Tunisie illustre cette approche.
Le volet conseil constitue un complément: diagnostics sur les pratiques de gouvernance, études d’efficience énergétique et accompagnement dans les stratégies de décarbonation, notamment face au dispositif européen d’ajustement carbone aux frontières.
Sarah Morsi a listé les secteurs d’intervention prioritaires: l’industrie pharmaceutique dans le cadre de l’objectif africain de 60 % d’autosuffisance médicamenteuse d’ici 2030-2035, les énergies renouvelables, l’agroalimentaire et la gestion hydrique. L’IFC travaille actuellement avec l’ONAS et la SONEDE sur des programmes visant à renforcer leur viabilité financière et à structurer des montages de partenariat public-privé.