L’Université Centrale a accueilli, aujourd’hui le 7 octobre, un événement majeur consacré à la création du Centre de Recherche et d’Innovation Collaborative (CRCI). Cette initiative marque une étape importante pour l’enseignement supérieur tunisien, avec l’ambition d’ancrer la recherche scientifique au cœur des besoins économiques et sociaux du pays.
Lors de son intervention, Houbeb Ajmi, directrice d’Honoris en Tunisie, a présenté ce centre comme « un pont entre le savoir et la société », un espace où chercheurs, étudiants et entreprises travailleront ensemble sur des projets à double impact scientifique et industriel. Elle a rappelé que l’Université Centrale, membre du réseau Honoris United Universities, est aujourd’hui le plus grand établissement d’enseignement supérieur privé du pays, avec plus de 13 000 étudiants et 500 collaborateurs répartis à travers plusieurs régions, de Tunis à Gabès. Ce maillage territorial, selon elle, constitue « un atout majeur » pour encourager la recherche interdisciplinaire et l’innovation collaborative.
« Une université du 21ᵉ siècle ne peut plus se limiter à enseigner : elle doit être un acteur du changement », a affirmé Ajmi, insistant sur la nécessité de repenser le rôle des institutions académiques dans le développement socio-économique. Elle a souligné que la création du CRCI s’inscrit dans la vision du Global Innovation Index 2025 de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), qui appelle à renforcer les liens entre universités et entreprises pour stimuler la compétitivité nationale. La Tunisie, classée 76ᵉ sur 139 économies, a gagné plusieurs places par rapport à 2024, un progrès qu’elle juge « encourageant », mais qui « appelle à poursuivre la dynamique ».
Le centre s’articulera autour de quatre axes stratégiques : la transition numérique et l’intelligence artificielle, la santé et la recherche clinique, la transition écologique et la responsabilité sociétale, ainsi que la gouvernance et la gestion des ressources humaines. Des domaines qui traduisent, selon Ajmi, la volonté d’Honoris de conjuguer rigueur scientifique et impact concret sur la société.
C’est dans ce même esprit qu’a été invité le professeur Armand Hatchuel, éminent chercheur à l’École des Mines de Paris, pour donner une conférence intitulée « Le couplage science-société : la clé oubliée du développement ». Devant un public composé d’universitaires, d’étudiants et de représentants du secteur privé, il a plaidé pour une réinvention du lien entre la recherche scientifique et le monde socio-économique.
Selon ce spécialiste mondial de la théorie de la conception et de l’innovation, la recherche n’avance pas en opposition au marché, mais grâce à son interaction constante avec la société. « Le moteur du progrès n’est pas l’isolement, mais le couplage entre science et société », a-t-il affirmé, remettant en question la séparation historique entre recherche fondamentale et appliquée instaurée dans les années 1930.
Le professeur Hatchuel a illustré cette idée à travers l’exemple du débat sur les vaccins durant la crise du Covid-19, qui a soulevé la question essentielle de la preuve scientifique. Pour lui, l’aller-retour entre la recherche et les besoins du monde réel est le véritable levier de l’innovation. Il a rappelé qu’au XIXᵉ siècle, l’industrie fut un puissant moteur du progrès scientifique, citant le cas de l’Allemagne où des laboratoires collaboratifs ont permis des découvertes majeures, comme celle du brome issue de la gestion des déchets miniers.
Hatchuel a également évoqué le « tournant Fayol » de 1870, lorsque Henri Fayol, père de la science administrative, plaidait déjà pour un rapprochement entre chercheurs et entreprises. Ce modèle a donné naissance à une période florissante de recherche industrielle, dont sont issus plusieurs prix Nobel. Après la Seconde Guerre mondiale, ce modèle s’est effacé au profit du paradigme de la « science pour la science », incarné par le rapport Vannevar Bush et les grands projets militaires. Mais, selon Hatchuel, l’ère numérique et les technologies collaboratives ouvrent désormais la voie à une nouvelle alliance entre la connaissance et l’action.
Pour démontrer qu’un équilibre entre recherche et entreprise est possible, le professeur a cité le modèle CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche), lancé en France en 1980. Ce dispositif permet à des doctorants de mener leurs recherches au sein d’entreprises tout en restant encadrés par des laboratoires universitaires. « Le secret de son succès, c’est la double exigence : le projet doit être à la fois pertinent pour l’entreprise et reconnu comme une véritable question scientifique », a-t-il expliqué.
En conclusion, Armand Hatchuel a invité les universités tunisiennes à s’inspirer de cette logique de couplage, estimant que chaque pays doit construire son propre modèle d’innovation collaborative. Une réflexion qui résonne avec la vision portée par Houbeb Ajmi et le réseau Honoris, pour qui la recherche ne se conçoit plus comme un exercice académique isolé, mais comme une force motrice du développement national et continental.