Le CJD Talks 2024 a récemment reçu M. Oualid Gadhoum, professeur de droit à la faculté de SFAX et expert indépendant, pour discuter des nouvelles réglementations relatives aux chèques en Tunisie et leurs implications. Ce podcast a offert un éclairage précieux sur les changements du 2 août 2024 et leurs répercussions pour les utilisateurs de chèques et les entreprises.
Une culture du chèque profondément ancrée en Tunisie
Depuis trois décennies, l’usage du chèque comme garantie et l’émission de chèques antidatés sont devenus monnaie courante en Tunisie. Ce phénomène s’est transformé en véritable culture, où les transactions commerciales s’appuient sur des chèques, souvent sous la pression de pratiques établies.
Une panique généralisée avec la nouvelle réglementation
La nouvelle loi sur les chèques, effective à partir du 2 août 2024, a semé la panique chez ceux ayant des chèques antidatés jusqu’en 2026, voire 2028. Conformément à cette réglementation, tout chèque antidaté portant une échéance au-delà du 1er février 2025 sera invalidé.
Principaux changements de la réglementation
-Suppression des chèques au porteur : L’endossement des chèques devient interdit, et tous les chèques doivent être barrés.
-Expiration des chèques : Chaque chèque est désormais soumis à une date d’expiration.
-Introduction d’un plafond : Les chèques ne peuvent plus dépasser 30 000 dinars, une mesure qui pose problème aux grandes entreprises habituées à des transactions plus importantes.
Ces mesures visent à réduire l’usage du chèque comme garantie et encouragent plutôt le recours aux virements bancaires.
Un impact majeur pour les entreprises
La limitation des chèques à un plafond de 30 000 dinars pose un défi particulier aux entreprises avec des volumes d’affaires élevés. Ce changement pourrait également affecter les sociétés ayant recours aux chèques pour des paiements fréquents, comme dans le cas des agences de voyage ou des commerçants, qui pourraient voir leurs pratiques bouleversées.
Des conséquences pour les paiements commerciaux et quotidiens
En Tunisie, il est courant d’utiliser des chèques sans ordre spécifié pour des transactions de routine. Cette pratique deviendra désormais interdite, obligeant les utilisateurs à inscrire un bénéficiaire unique, empêchant ainsi la réutilisation du chèque dans d’autres transactions. Ce changement marque une rupture avec les usages actuels.
Le rôle des banques dans la gestion des chèques impayés
Pour les chèques d’un montant inférieur à 5 000 dinars, la banque est désormais tenue de couvrir la somme, sauf si elle adhère à la plateforme de la Banque centrale. Cette plateforme, prévue pour gérer les vérifications de provision, s’accompagne d’obligations pour les banques. En l’absence d’adhésion, la banque devra prendre la responsabilité des chèques impayés.
La nouvelle plateforme numérique de vérification
À partir de février 2025, une plateforme numérique permettra de vérifier la provision d’un chèque, et de bloquer le montant si nécessaire. Cependant, cette procédure pourrait engendrer des délais pour les entreprises qui reçoivent de nombreux chèques quotidiennement, nécessitant éventuellement des recrutements pour gérer ce processus.
Des options de paiement alternatives pour alléger la pression
La nouvelle réglementation encourage le recours à d’autres options de paiement, comme la carte bancaire ou le virement, mais aussi des solutions de cession sur salaire pour les paiements échelonnés. Ces alternatives nécessitent une collaboration accrue entre les entreprises, les banques, et leurs clients pour éviter de recourir aux chèques.
Des risques et des attentes pour une plateforme performante
Pour éviter des retards, la plateforme doit garantir des informations actualisées sur la provision des chèques en temps réel. La Banque centrale publiera également, tous les six mois, une liste des banques adhérant à la plateforme, offrant plus de transparence sur les acteurs du secteur.
Conséquences économiques et judiciaires de la réforme
Les statistiques du ministère de la Justice révèlent qu’à ce jour, moins de 500 personnes sont emprisonnées pour des chèques sans provision, tandis que 10 000 autres ont quitté le pays pour échapper à la justice. Cette réforme, bien qu’essentielle pour moderniser le système financier, pourrait provoquer des difficultés économiques et judiciaires majeures pour les entreprises qui dépendent des chèques dans leurs transactions.
Une période de transition difficile pour les entreprises tunisiennes
Les premiers mois d’application de la loi s’annoncent compliqués, surtout pour les entreprises ayant recours aux chèques antidatés et de garantie. Ces dernières devront cesser cette pratique et trouver des solutions pour les chèques déjà émis. Dans l’immédiat, la période d’adaptation pourrait voir certaines entreprises subir des pertes financières, voire la faillite.
Un futur sans chèques : quelles perspectives ?
À long terme, M. Gadhoum estime que l’usage des chèques pourrait disparaître, laissant place à des méthodes de paiement plus sécurisées et réglementées. Cependant, pour les banques, cette transition pourrait engendrer un manque à gagner, tandis que les entreprises devront repenser leurs pratiques pour éviter les perturbations.