Qu’est-ce qui rend un projet «vert»? Dans le cas des parcs éoliens ou des centrales photovoltaïques, la réponse est évidente. D’autres définitions peuvent être plus floues. Une banque peut, par exemple, accorder un financement climatique à un élevage de moutons s’il respecte certaines pratiques agricoles durables.
Après l’accélération des manifestations de changements climatiques et les pressions réglementaires provenant de la rive nord de la Méditerranée, de plus en plus de banques et d’institutions financières se fixent des objectifs en matière de prêts verts ou durables. Toutefois, les définitions des projets ou des entreprises pouvant bénéficier de ce type de prêts sont souvent floues. Cela pourrait facilement transformer ces initiatives en études de cas d’écoblanchiment.
Des définitions flexibles
La finance durable est une définition large. Elle comprend les obligations vertes, dont les fonds sont affectés à des projets liés à l’environnement ou au climat. Pour le moment, aucune émission n’a eu lieu en Tunisie, bien que le cadre réglementaire soit en place depuis des années, avec les obligations vertes, socialement responsables et durables. Les bonnes volontés ne suffisent pas et nous sommes juste au début d’un long chemin mondial qui a amené les 24 premières banques européennes et américaines à fixer des objectifs de financement durable qui s’élèvent collectivement à 15 trillions d’euros d’ici à 2030. C’est très ambitieux comme plan, mais l’inclusion du financement de la transition dans les calculs devrait faciliter sa concrétisation. Nous devons tirer les leçons des expériences dans les économies les plus avancées où, en dépit du chemin parcouru, il est curieux de constater que les définitions des banques en matière de financement de la transition varient considérablement. Et comme le diable réside dans les détails, c’est une porte bien ouverte pour inclure le financement d’entreprises polluantes. Certaines idées peuvent paraître assez surprenantes. Par exemple, les entreprises susceptibles de bénéficier d’un financement de transition pourraient inclure un groupe de télécommunications, s’il s’agit d’un logiciel de téléconférence. Un élevage de bovins peut être éligible si les vaches ont une meilleure rentabilité. Ce sont donc des définitions flexibles revues en permanence selon l’évolution mondiale des critères de transition. D’autres domaines sont plus simples. L’immobilier est un domaine particulièrement fort de la croissance de la finance verte, avec des prêts moins chers pour l’achat de maisons à haute efficacité énergétique, souvent des propriétés nouvellement construites.
La finance tunisienne a pris le chemin de la durabilité
En Tunisie, nous avons constaté que la Caisse des dépôts et consignations, soutenue par l’État, a été l’une des premières à adopter un programme de développement durable. Il y a aussi quelques banques qui ont pris de l’avance et les autres établissements sont en train de rattraper leur retard. Toutefois, les comparaisons sont difficiles, car les objectifs de financement durable peuvent être définis de différentes manières avec des horizons temporels variables. Certaines banques incluent également des projets sociaux et des entreprises plutôt que de se concentrer uniquement sur le climat. Ce qui est sûr à ce stade, c’est que tous les bailleurs de fonds en Tunisie reconnaissent le potentiel de revenus de la finance durable, mais aucun d’entre eux n’a encore converti cela en une histoire de capitaux propres. Pour que les initiatives de financement vert perdurent, les établissements de crédit doivent prouver aux investisseurs qu’elles sont plus qu’un simple exercice promotionnel.
Au-delà des prets traditionnels
Si les activités de prêt traditionnelles, par le biais d’obligations et de prêts standard, constituent la principale méthode qui sera utilisée par les banques pour promouvoir la décarbonisation, des niches plus spécialisées ont également de l’importance. Le financement à effet de levier, le financement du commerce international et la gestion de trésorerie ont toujours été plus tardifs dans le domaine des ESG, partout dans le monde, mais cela est en train de changer. Le financement à effet de levier est celui dans lequel les entreprises (généralement des sociétés de capital-investissement) s’endettent pour financer leur expansion ou leurs acquisitions. Intégrer les caractéristiques de durabilité dans les mandats de prêts peut pousser vers une adoption plus large des normes ESG. C’est une opportunité pour rendre plus transparent un marché habituellement très opaque. Par conséquent, les entreprises qui ne rendent pas compte de leurs activités ou qui n’intègrent pas les critères ESG dans leurs accords de financement risquent de voir leurs options d’investissement se tarir. Les banquiers spécialisés dans le financement du commerce international, quant à eux, accordent la priorité aux ESG et certains se concentrent sur l’offre de taux favorables basés sur des critères de notation extra-financière afin de favoriser les ESG dans les transactions. L’examen de la réalité montre qu’il est encore trop tôt pour pouvoir compter sur un tel mécanisme. La majorité absolue des professionnels n’utilise pas les services de notation ESG lors de l’évaluation ou de la structuration des transactions. L’impact du développement durable sur la gestion de trésorerie est peut-être encore plus récent. Certaines banques estiment que le département de trésorerie peut contribuer aux objectifs ESG d’une entreprise en alignant sa stratégie sur ceux-ci. Par exemple, les gestionnaires pourraient fixer des normes ESG minimales pour les transactions avec les contreparties, y compris les fournisseurs et autres. Ils pourraient également automatiser davantage de processus, envisager des jetons numériques pour des transactions plus efficaces et auditer les processus internes pour voir où les gaspillages et les coûts peuvent être réduits. Mais les entreprises clientes des banques pourraient avoir besoin d’être davantage convaincues. Est-ce qu’elles ont vraiment le luxe de mettre en place une politique définie à ce sujet? Nous en doutons sérieusement.
Blended finance
Le financement mixte (l’utilisation de sources de fonds publics pour attirer des investissements privés dans les pays en développement) est un domaine restreint mais croissant du financement de la lutte contre le changement climatique. Il est depuis longtemps considéré comme un outil adapté à la transition énergétique, et de plus en plus d’initiatives voient le jour avec le soutien de grandes banques internationales. À la fin de l’année dernière, par exemple, plusieurs gouvernements, dont l’Union européenne et les États-Unis, ont lancé des partenariats pour une transition énergétique afin de mobiliser jusqu’à 15,5 milliards de dollars au Vietnam et 20 milliards de dollars en Indonésie. L’objectif est que le secteur privé mobilise la moitié du capital, et plusieurs grandes banques sont impliquées par l’intermédiaire de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero. Les établissements de crédit et les autres prestataires de services financiers sont en mesure de soutenir les entreprises qui cherchent à lutter contre le changement climatique, à la fois en finançant des projets de décarbonisation et en influençant le comportement des entreprises. En Tunisie, nous devons profiter de cette démarche pour attirer un maximum d’argent au profit des entreprises locales. Nous devons être pragmatiques et joindre l’utile à l’agréable: ouvrir l’économie tunisienne à l’investissement étranger dans le cadre de la stratégie nationale de décarbonisation. Les chiffres de la Banque mondiale évoquent un besoin de financement de 35 milliards de dollars d’ici à 2050 si nous voulons atteindre la neutralité carbone. Seuls, nous ne pouvons pas être bons. Les décideurs politiques, les régulateurs et les consommateurs qui réclament davantage d’actions en faveur du climat doivent accepter cette réalité. La conscience du rôle des banques dans l’allocation des capitaux pour la transition est nécessaire. Cela a été déjà mis en évidence ailleurs, et nous ne devons pas perdre encore du temps.