Dans un monde où l’économie numérique trace les contours de l’avenir, la Tunisie se distingue comme un précurseur régional avec un arsenal juridique robuste pour encourager les investissements dans ce secteur. Voici ce qu’en pense Mohamed Chorfi, avocat d’affaires, dans cet entretien.
On ne peut pas parler d’incitation à l’investissement en Tunisie sans s’arrêter un peu sur les mesures d’ordre juridique élaborées par l’Etat pour encourager les investissements dans l’économie numérique.
La Tunisie a été un pionnier et même l’un des premiers pays au niveau régional à mettre en place un système juridique quasiment intégré pour encourager les investissements dans l’économie numérique, et ce, avant même de nombreux pays qui aujourd’hui sont considérés comme des exemples dans ce domaine.
La Tunisie est aujourd’hui un vrai hub pour son entourage euro-méditerranéen de par ses fortes compétences et son arsenal juridique incitatif et protecteur de l’investissement dans un secteur digital prometteur.
Pouvez-vous nous expliquer davantage?
Nul ne peut nier aujourd’hui que le secteur du numérique en Tunisie est un vrai gisement de croissance pour l’économie en souffrance, disposant d’un potentiel d’exportation confirmé par son savoir-faire reconnu sur le marché international.
C’est juste avant l’année 2000 qu’on a commencé à bâtir l’arsenal juridique qui devrait servir d’assiette pour l’encouragement du commerce électronique et l’investissement dans le secteur numérique en général d’une part et la protection des infrastructures y afférentes d’autre part. Le travail ne cesse de continuer pour favoriser l’environnement socio-juridique propice à l’accueil des investissements potentiels dans la nouvelle économie.
Qui parle de nouvelle économie, parle en fait d’un secteur qui présente aujourd’hui des avantages certains aussi bien économiques que financiers pour les différents intervenants (Etat, investisseurs, employabilité). Qu’en est-il de la sphère juridique qui devrait favoriser tout cela, dans un environnement qui trouve que l’immatériel et le juridique sont deux choses incompatibles et la loi ne serait pas un vrai levier, bien au contraire…
La Tunisie jouit aujourd’hui d’une législation favorable aux différents intervenants dans le secteur du numérique, que je vais préciser en deux volets: le volet de l’incitation à l’investissement dans le secteur numérique puis le volet de la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité
Parlons alors du 1er volet et des efforts déployés à haut niveau pour inciter les investissements dans le secteur numérique.
Effectivement, je cite, à titre indicatif, la loi n°2000-83 du 9 août 2000, relative aux échanges et au commerce électronique, qui a pour but de faciliter les échanges de commerce électronique, suivie en 2007de la création du Conseil stratégique de l’économie numérique puis la promulgation de la loi d’orientation n°2007-13 du 19 février 2007relative à l’établissement de l’économie numérique. Ces efforts ont été renforcés, en 2014, parle Plan national stratégique «Tunisie digitale 2020» ayant pour ambition de faire du secteur des TIC un levier important du développement socioéconomique, puis actualisé par le nouveau Plan national stratégique «Tunisie digitale 2025», ayant pour objectif la transformation numérique du pays et le développement du commerce électronique.
Ces premiers pas ont permis à la Tunisie de se positionner à la première place en Afrique du Nord et d’occuper le 77e rang mondial de l’indice2020 de développement du commerce électronique business to consumer (B2C). Cela a été traduit, selon les données indiquées par la Cnuced, par une évolution positive des paiements électroniques en Tunisie au cours de ces dernières années, passant de 111,6 Mtnd en 2015 à 342,4 Mtnd en 2020.
Même si les rapports des ONG spécialisées notent un recul du pays dans «l’Indice d’inclusion numérique», «l’Indice de préparation aux réseaux» et «l’Indice mondial de l’innovation»?
Bien qu’elles soient des données discutables, je ne crois pas que ce recul soit dû aux textes juridiques mis en place. Bien au contraire, les textes réglementaires promulgués ces dernières années ont permis d’instaurer une sorte de culture à forte digitalisation en matière de paiement à distance, envers les nouveaux services liés aux portemonnaies électroniques, aux services prépayés, à la constitution des sociétés à distance, à la consultation et l’édition en ligne et aux virements par téléphone mobile. D’autres lois encadrant la protection des consommateurs et le commerce de distribution constituent une autre base juridique pour le développement des transactions électroniques.
Toutefois, des efforts restent encore à déployer pour gagner rapidement la confiance aussi bien du grand public que des investisseurs.La révision du cadre juridique et de la gouvernance numérique est parmi les axes de la nouvelle stratégie numérique 2022-2025.Le cadre réglementaire, vu la multitude et la dispersion des textes juridiques régissant actuellement le secteur numérique, reste incomplet et les modalités de contrôle et de répression desinfractions y afférentes sont aussi insuffisantes.
Passons au 2e volet ayant trait au côté juridique de la cybersécurité.
La cybersécurité s’est imposée en tant qu’impératif pour la Tunisie qui en a toujours fait un besoin vital et une question primordiale, pour se protéger contre les aléas du cyberespace.
La mise en place d’une stratégie nationale de cybersécurité 2020-2025 a permis aux autorités de prendre au sérieux la question de la lutte contre la cybercriminalité pour assurer la protection du cyberespace national et consolider sa souveraineté numérique.
L’encadrement juridique de la cybersécurité a commencé en Tunisie peu avant l’année 2000 avec les articles 199 bis et 199 ter du code pénal, et depuis un noyau juridique a été mis en place.
En 2004, une loi du 3 février 2004, relative à la sécurité informatique, a été promulguée portant sur l’organisation du domaine de la sécurité informatique et fixant les règles générales de protection des systèmes informatiques et des réseaux.
Depuis, les efforts de promulgation de textes n’ont pas cessé, mais il a fallu attendre l’année 2023 pour qu’un décret-loi important relatif à la cybersécurité voie le jour le 11 mars pour renforcer les attributions de l’Agence nationale de la sécurité informatique (ANSI)et notamment l’élaboration et la mise à jour des politiques de gouvernance de la sécurité pour le cyberespace national tunisien. Une labellisation «sécurisée» des appareils et services électroniques en Tunisie a vu le jour, certifiant un haut niveau de cyberprotection aux organisations tunisiennes d’importance vitale et autres, devant garantir la cyber-résilience de leurs systèmes informatiques et une continuité de service en cas de crise cyber-nationale.
Qu’en est-il des cybermenaces et cybercrimes? Et quels sont les outils juridiques pour les contrer?
Au vu des cybermenaces quotidiennes, la pénalisation des cybercrime sa fait l’objet d’une refonte des dispositions existantes, à savoir les articles 199 bis et 199 ter du code pénal par le décret-loi n°54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication. Ce texte se présente comme un moyen de prévention contre toute infraction se rattachant aux systèmes d’information et de communication, notamment l’atteinte aux données personnelles, à l’accès illégal au système d’information, à la diffusion de données falsifiées. Ces infractions sont assorties de peines d’emprisonnement et d’amendes.
La nouvelle réglementation permettra à la Tunisie d’adhérer à la convention de Budapest sur la cybercriminalité, de relever les défis de la sécurité cybernétique qui dépassent les frontières géographiques et fournira les garanties nécessaires pour ramener et encourager les investissements étrangers dans le domaine du digital.