Le 8 mars 1971, trois Américains se sont introduits dans les locaux du FBI dans une petite ville en Pennsylvanie et ont procédé au vol d’un grand nombre de documents qu’ils ont envoyés par la suite au Washington Post. Ces papiers, s’avère-t-il, détaillent un programme lancé par la police fédérale américaine pour espionner les opposants à la guerre du Vietnam.
Le WaPo avait déjà préparé un article pour détailler les révélations contenues dans les documents volés lorsque le ministre de la Justice américain de l’époque, John N. Mitchell, a appelé l’éditrice du journal, Katharine Graham. Sa demande? “Ne pas publier d’articles” sur ces documents.
Le média a refusé de donner suite aux demandes du haut responsable et l’article est paru à la une du numéro du lendemain. Un comité d’investigation a été formé dans le Congress et une large opération de restructuration du FBI a été lancée à la suite de ces révélations.
Betty Medsger, la journaliste qui a publié cet article, a reçu plusieurs prix consacrant les efforts qu’elle a déployés pour mettre à découvert la large opération mise en place par le FBI pour espionner les activistes politiques aux USA.
Elle n’a en revanche pas été enquêtée par la police.
Cela n’est malheureusement pas le cas pour le journaliste et le directeur de publication tunisiens qui ont dû se présenter à la brigade anti-criminelle. Raouf Ben Hédi et Nizar Bahloul n’ont pas volé de documents classifiés ni publié des informations qui puissent nuire à la sûreté du pays. Ils ont, simplement, publié un article critiquant les choix politiques et économiques de Najla Bouden, la cheffe du gouvernement.
La plainte, déposée par la ministre de la Justice, accuse les deux journalistes de “diffamation, publication de fausses informations, allégations mensongères contre un fonctionnaire public et injures contre la cheffe du gouvernement”, d’après un article publié par Business News. La plainte précise, d’après la même source, que l’article a “des conséquences touchant la sûreté du pays et cherche à atteindre les institutions de l’État”.
La ministre a invité le parquet à lancer les poursuites pénales nécessaires contre l’auteur de l’article et le responsable de la page du réseau social Business News, et ce, conformément aux dispositions du décret 54 du 13 septembre 2022 relatif aux crimes liés aux systèmes d’information et de communication.
La rédaction de Business News a noté que le choix de cet article comme base de la plainte représente un vice de forme: “Il s’agit d’un article journalistique rédigé par un journaliste, titulaire de la carte de presse officielle”, explique le média. “Vu qu’il y a un code spécifique à la presse (le décret 115), la ministre de la Justice ne peut pas évoquer le décret 54 généraliste. C’est une règle de droit, on ne peut pas évoquer une loi généraliste lorsqu’il y a une loi spécifique”.
Ce qui est inquiétant dans cette affaire, c’est que la ministre de la Justice a jugé utile de porter plainte contre un journaliste pour une opinion qu’il a exprimée ― en bonne et due forme ― devant la brigade anti-criminelle.