Dans un environnement hautement concurrentiel et avec des besoins générationnels en pleine mutation, l’attractivité des talents prend une place grandissante dans les priorités des entreprises et de leurs top managers. Désormais, il n’est plus rare de voir les DRH mettre à plat cette problématique et l’adresser avec des plans d’action concrets. Dans cette interview, Nadia Touhami, Partner EY en charge de l’activité People Consulting, expose les leviers qui permettent de renforcer l’attractivité des talents.
Comment les entreprises à ressources limitées peuvent-elles concurrencer les grandes entreprises dans la guerre des talents?
Ces entreprises ont tout intérêt à développer une réflexion centrée autour de l’expérience collaborateur, de l’attraction à l’offboarding en passant par le recrutement, l’onboarding, la rétention et le développement. En fait, quelle que soit sa taille, une entreprise se doit de mettre en place un dispositif qui lui permette de mesurer, d’évaluer et d’améliorer l’expérience de ses collaborateurs. À ce niveau, il faut noter que la rémunération, bien qu’elle joue un rôle très important, n’est pas le seul facteur attirant. Les entreprises, particulièrement celles à ressources limitées, peuvent mettre le focus sur plusieurs autres facteurs pour améliorer leur attractivité. Je cite, à titre d’exemple, l’équité, la responsabilisation, le développement continu des compétences, la reconnaissance, une gestion en mode participatif, le work-life balance, une flexibilité au travail, etc. Je dirais même que, pour certains de ces facteurs, les entreprises de taille humaine ont un avantage compétitif par rapport aux grandes firmes. C’est le cas par exemple de la gestion participative qu’il sera beaucoup plus difficile d’implémenter dans une entreprise de taille importante.
Mais dans un contexte inflationniste, les salariés ne focalisent-ils pas sur l’amélioration de leur pouvoir d’achat et, par ricochet, la rémunération?
La rémunération reste un facteur qui continue à conditionner la qualité de l’expérience de l’employeur. Mais elle ne peut pas être le seul facteur différenciateur. Nous avons vu plusieurs secteurs dans lesquels les entreprises ont joué la carte du surenchérissement. Le constat était sans conteste: cela n’a pas été suffisant pour assurer l’attractivité et surtout la rétention des talents. Indéniablement, dans le contexte actuel, la rémunération est un facteur primordial, mais les nouvelles générations sont à la recherche d’un cadre beaucoup plus large et surtout plus épanouissant. Ils cherchent en effet un cadre de vie attractif au sein de leur entreprise, un projet personnel au sein même de leur projet professionnel.
Que doit faire un challenger pour attirer les talents?
Il est important pour les challengers de partager leur vision et leurs ambitions avec leurs employés. Il s’agit d’un excellent moyen d’attractivité pour les talents à la recherche de nouveaux défis, en l’occurrence les nouvelles générations de travailleurs. Je dirais même que le premier facteur de choix serait actuellement la nature et l’impact du projet que porte l’entreprise avant même la marque et la notoriété. Si ce projet porte en lui un défi, une expérience hautement ambitieuse, il peut, en soi, constituer un facteur d’attractivité. Pour pouvoir tirer pleinement profit de ce positionnement, les entreprises challengers n’ont qu’à bien communiquer sur leurs ambitions.
Comment l’entreprise peut-elle assurer l’équilibre entre les projets ambitieux et ceux qui sont arrivés à maturité et assurent sa viabilité?
Je pense que les entreprises peuvent atteindre facilement cet équilibre. Il faut impliquer les collaborateurs dans la recherche et développement, dans l’amélioration des procédés ou encore dans les nouveaux projets. Il est donc important que les employés fonctionnent à double vitesse: sur leurs projets courants mais aussi sur l’anticipation des besoins futurs. Cette diversification est importante pour éviter le plus grand danger auquel peut faire face un employé: la routine au travail.
Quelles sont les erreurs les plus communes que commettent les entreprises et qui les empêchent de développer leur marque employeur?
À travers l’accompagnement que nous offrons aux entreprises tunisiennes, nous avons détecté cinq erreurs fréquentes. D’abord, les entreprises ont tendance à mal communiquer sur leur marque employeur. Cela suppose bien évidemment que cette marque soit conçue et bien formalisée. Ensuite, dans cette liste des erreurs les plus fréquentes, nous trouvons également les fausses promesses. C’est lorsque les entreprises disent ce qu’elles ne font pas réellement ou, pire, agissent de manière contraire à leurs valeurs. Certaines entreprises “oublient” de s’adresser à tous les stakeholders de leur marque employeur et focalisent leur attention sur les candidats potentiels. Les premiers “clients” de cette marque sont les employés actuels de l’entreprise qui doivent vivre cette expérience et la partager. Les alumni de l’entreprise sont aussi des acteurs clés dans la marque employeur, puisqu’ils jouent le rôle d’ambassadeurs. Autre élément, les entreprises ne doivent pas omettre de faire participer leur écosystème, notamment les universités, les centres de formation et les recruteurs avec qui elles doivent partager leur vision de la marque employeur. Une autre erreur assez fréquente est que, souvent, les entreprises ne formalisent pas leur marque employeur de manière précise et ne mesurent pas régulièrement la perception des différents acteurs de cette marque. Ces mesures permettent de s’assurer que la perception de la marque employeur est conforme aux aspirations du management et, si besoin est, de l’adapter aux évolutions de son environnement. La mesure doit se faire de manière régulière, au moins une fois par semaine, et à travers des index qui permettent de comparer les résultats dans le temps.
Parlez-nous des stratégies d’acquisition de talents de EY.
À EY, nous devons faire face à deux défis clés. D’abord, nous évoluons dans un marché très compétitif avec un concurrent de taille: l’international. Nous avons également le challenge de devoir recruter dans plusieurs métiers: conseil, audit, fiscalité, stratégie et transactions… Il s’agit donc d’attirer des talents avec des spécialités et des profils différents. Pour ce faire, nous devons nous adresser à eux avec une marque unique mais qui offre des propositions de valeur adaptées à chacune de ces cibles. Pour faire face à ces challenges, nous avons déployé plusieurs actions et la plus importante d’entre elles est de faire appel à nos ambassadeurs: nos collaborateurs actuels et ceux qui nous ont quittés. La possibilité de diffuser notre communication à travers ce canal nous a facilité considérablement la tâche. À EY, nous pensons qu’il est important que notre marque soit portée par nos collaborateurs. C’est pour cela que nous avons mis en place un dispositif pour l’amélioration de l’expérience de l’employé. Nous déployons ainsi notre propre index, le EY Exceptional Experience qui nous permet de mesurer le niveau de satisfaction de nos collaborateurs et de détecter les axes d’amélioration. Nos efforts ne se focalisent pas uniquement sur nos salariés actuels, puisque nous avons développé un processus de gestion des alumni d’EY pour en faire des ambassadeurs capables de coopter de nouveaux candidats. Le deuxième axe de notre stratégie consiste à l’ouverture d’EY sur son écosystème, notamment les universités. À cet effet, nous avons mis en place un dispositif de relation de proximité avec les candidats ciblés qui a pour objectif de faire connaître les étudiants de notre entreprise, mais aussi de notre métier. Cela nous permettra de leur proposer directement cette expérience et de les onboarder à temps. Le troisième axe de notre stratégie se résume en un simple mot: rien n’est jamais acquis. Nous veillons à ce que nous ayons une logique d’amélioration continue. Nous évoluons dans un environnement très dynamique qui fait que nous avons besoin de mettre à jour continuellement nos stratégies pour les adapter aux besoins actuels et ambitions futures. Nous sommes également très attentifs à tous les indicateurs et signaux qui nous permettent de détecter les pistes d’amélioration de notre stratégie d’attractivité.