Avec une telle accélération de l’histoire, aucun modèle économique et social robuste ne pourra être développé si le capital humain, la formation et l’apprentissage ne seront pas placés au cœur des politiques publiques. Mohamed Madhkour, Senior managing partner chez Value Development, spécialiste des politiques publiques et stratégies dédiées à l’emploi, l’entrepreneuriat et la promotion de l’investissement privé dans les territoires, nous livre sa vision sur le développement et la modernisation de la formation professionnelle en Tunisie pour en optimiser l’usage.
La formation professionnelle en Tunisie a pour but d’offrir des programmes de formation initiale et continue correspondant à la demande des entreprises. Toutefois, l’accès au dispositif public de formation professionnelle reste souvent très inégalitaire, selon Mohamed Madhkour, qui précise que la taxe à la formation professionnelle (TFP) sur la masse salariale est au taux de 1% pour les entreprises manufacturières et de 2% sur le reste des entreprises.
Un accès inégalitaire
“Les entreprises totalement exportatrices et les sociétés en développement régional sont exonérées de la taxe TFP alors qu’elles sont de grandes consommatrices de formations. De plus, ces entreprises embauchent de la main-d’œuvre qui est majoritairement issue du système de formation professionnelle”, explique Madhkour, avant de poursuivre: « Il est important de proposer une fiscalité incitative pour les TPE/PME en mettant en place des réformes pour un modèle fiscal moins inégalitaire et plus favorable pour les TPE/PME opérant dans le secteur des services par exemple. D’autant plus que le financement de la formation professionnelle coûte très cher aux TPE ».
Une offre de formation professionnelle plus adaptée aux attentes des PME
L’État admet des formations en interne ou en externe en faisant bénéficier les entreprises d’un système de ristourne. Dès lors, la formation continue facturée aux bénéficiaires peut faire l’objet d’une prise en charge partielle par un mécanisme de ristourne sur la TFP. Madhkour précise que lors de sa mise en place par l’État, ce système de ristourne a très bien fonctionné. Néanmoins, le développement du paysage de la formation professionnelle fait face à plusieurs enjeux. D’un côté, l’absence de normes qualité de la formation professionnelle notamment avec l’entrée sur le marché des cabinets, dont le dispositif de formation continue n’est pas servi avec autant de sérieux et est basé sur des supports de qualité médiocre.
D’un autre côté, la complexité des procédures administratives pour l’accès à la formation continue qui sont rigides, bureaucratiques et décalées, notamment les démarches auprès du CNFCPP. Les lourdeurs bureaucratiques rebutent ainsi les PME tunisiennes, qui redoutent leur complexité. « Bien que ce système de ristourne sur la TFP ait permis aux PME non seulement d’ancrer la formation continue dans leur culture managériale, mais aussi de couvrir au maximum leurs dépenses de formation, l’absence d’un processus de suivi ou de labellisation incitant les organismes de formation, qui poussaient comme des champignons, à suivre des démarches aboutissant à l’obtention d’un label qualité constitue un réel défi », déplore Madhkour en assurant que les PME se retrouvent ainsi privées d’un ensemble de formations dans des thèmes assez intéressants, à savoir les techniques commerciales, la gestion de projet, etc.
Renforcer le rôle des organisations professionnelles
Aujourd’hui, le marché de la formation se retrouve dominé par les organismes de formation privés, alors que ce sont les professions qui devraient organiser les formations, souligne Madhkour. « Bien que le dispositif de la formation initiale ou continue soit défini par le modèle de gouvernance et de pilotage des centres de formation professionnelle, professionnaliser la formation sur le plan pratique demeure un véritable défi », poursuit-il.Selon notre expert, il est donc important de souligner le rôle des branches professionnelles, à savoir les académiciens issus du monde universitaire ou experts reconnus dans le processus de démocratisation de la formation professionnelle au sein des PME.
Néanmoins, Madhkour précise que les organisations professionnelles telles que l’Utica, les chambres syndicales, les fédérations… ne semblent pas être assez impliquées dans les besoins de la formation du secteur. Par conséquent, le rôle des acteurs professionnels regroupés dans des ordres ou des associations offrant des formations continues, à l’instar de l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF), doit être valorisé davantage Selon Madhkour, l’APTBEF sert aujourd’hui d’exemple avec une offre de cursus de formation à 3 niveaux et la signature d’une convention de partenariat avec des établissements en France pour des formations en 3e cycle proposées aux employés des banques.
« Les organisations professionnelles (ordre des experts-comptables, ordre des architectes, etc.) doivent s’accaparer le dossier et s’investir plus en proposant une offre de formation continue plus adaptée et en corrélation avec les besoins des professionnels des PME », ajoute-t-il. Ainsi, il est nécessaire de soutenir le rôle des branches professionnelles dans leur appui au dispositif public de formation professionnelle continue en Tunisie. Par ailleurs, il est important de souligner que la création du Groupement d’intérêt économique (GIE), dont l’objectif est de proposer et dispenser des actions de formation continue, fait face à certaines contraintes d’ordre légal imposées par l’Etat.
Partenariat universités et TPE/PME
Madhkour indique que l’offre proposée par les établissements d’enseignement supérieur n’est malheureusement pas en adéquation avec les besoins du marché. Et de poursuivre: « De telles formations (exemple MBA) ciblent essentiellement le personnel des grandes entreprises ». Selon lui, l’offre des formations techniques assez stratégiques pour les PME est quasi inexistante en Tunisie. « Afin d’assurer la montée en compétences pour les collaborateurs à haut potentiel, les PME se retrouvent obligées de les inscrire à des formations certifiantes à distance avec des centres à l’étranger », assure-t-il. Et d’ajouter: « Il est intéressant que le marché de la formation professionnelle commence à exploiter le vivier des séniors, notamment les anciens de l’administration publique ou des sociétés de renommée, qui représentent d’excellents mentors pour les PME ».
Vers une formation tout au long de la vie
Se former tout au long de la vie constitue une forme d’apprentissage continu qui aura pour but d’améliorer régulièrement les connaissances techniques. « Afin de démocratiser cette forme d’apprentissage, le Code du travail tunisien, devenu archaïque, doit être réformé afin qu’il ait des cadres conventionnels obligeant les entreprises en Tunisie à installer la formation continue », assure Madhkour. Il a tenu à rappeler que les institutions d’enseignement publiques doivent revoir leurs offres en réajustant leurs conditions d’accès à la formation, tels les mastères « professionnels », pour qu’elles soient plus adaptées aux professionnels, notamment le volume d’heures et les plages horaires des cours en présentiel. « En Tunisie, l’absence de dispositifs de validation des acquis de l’expérience professionnelle et l’élaboration de passerelles entre certifications constituent aussi des contraintes quant à la mise en place de la formation tout au long de la vie », a-t-il fini par déclarer.