“Nous venons de recevoir une réponse favorable de la ministre des Finances tunisienne au projet de création, par la Tunisie et la France, d’une agence pour gérer les participations de l’Etat dans les entreprises publiques pour en améliorer la gouvernance et cette agence sera également chargée de la gestion de la dette de l’Etat tunisien”.
C’est ce qu’a annoncé André Parant, ambassadeur de France en Tunisie, à la faveur d’une conférence sur la manière de développer les relations économiques entre la Tunisie et la France organisée le 11 mai par l’Association tunisienne des Tunisiens des grandes écoles (ATUGE). Point culminant d’un échange franc avec Khelil Chaibi, président de la CTFCI, et Mouna Ben Halima, présidente de l’ATUGE.
L’ATUGE a tapé dans le mille! Pas de meilleur moment pour tâter le pouls du premier partenaire économique de la Tunisie, son premier client, premier pourvoyeur d’IDE, premier marché touristique européen et 2e fournisseur: la France.
Invariablement aux côtés de la Tunisie
L’ambassadeur André Parant a saisi le moment pour affirmer en toute clarté la position de la France à l’égard de la Tunisie: «Nous sommes et nous resterons aux côtés de la Tunisie. Et si on ne peut régler les choses à la place des Tunisiens, nous sommes prêts à accompagner la Tunisie avec le FMI comme dans les réformes. Car ce sont les autorités tunisiennes qui doivent expliquer à l’opinion publique que les réformes sont la seule voie pour retrouver le chemin d’une croissance durable. Dans les années 2010, le FMI a eu une expérience malheureuse avec la Tunisie et il veut aujourd’hui deux ou trois mesures phare qui marquent son engagement à mettre en œuvre ces réformes. Le plus tôt serait le mieux!».
Le ton est ainsi tout de suite donné alors que Mouna Ben Halima, présidente de l’ATUGE, ne cesse d’intervenir pour relancer l’ambassadeur sur les détails de cette ‘relation’ Tunisie-France, notamment sur les alternatives de relocalisation qui ont émergé de la situation en Ukraine.
L’ambassadeur concède que son pays s’est rendu compte, à la faveur de la crise sanitaire 2020-2021, qu’avoir des sites de production très éloignés et être tributaire de chaînes logistiques extrêmement étirées n’était pas forcément une bonne chose: «Un mouvement s’est engagé, la réflexion est renforcée par les événements actuels en Europe et la guerre en Ukraine. Il y a un mouvement de relocalisation engagé au niveau européen, notamment vers l’Asie. Il est aussi possible d’investir dans des localisations plus proches de l’Europe, et c’est évidemment un enjeu de taille pour la Tunisie de recevoir ces IDE».
Atouts et conditions de la relocalisation
Selon lui, la Tunisie dispose de beaucoup d’atouts pour bénéficier de ce mouvement: avantages comparatifs dans de nombreux secteurs (équipements électriques, textiles haut de gamme…), signature d’une soixantaine d’accords commerciaux qui donnent aux entreprises qui produisent sur le marché tunisien l’accès à un marché de plus d’un milliard de consommateurs, proximité géographique avec l’Europe, monnaie qui est restée relativement stable, main-d’œuvre qualifiée, jeune et relativement peu onéreuse, culture industrielle assez développée dans certains secteurs (mécanique, plasturgie, textiles haut de gamme, produits électriques…), système offshore qui reste attractif malgré la fin d’avantages fiscaux qui ont été compensés par la baisse du taux moyen d’imposition des sociétés, et dernier atout: la francophonie.
Cela fait beaucoup d’atouts, mais les choses ne vont pas se faire de façon automatique. Le marché de l’investissement est extrêmement compétitif et la Tunisie doit rapidement mettre fin aux freins qui entravent son attractivité.
La balle est dans le camp de la Tunisie
Autant dire que la balle est dans le camp de la Tunisie. André Parant montre du doigt ce qu’il appelle une ‘absence de visibilité’, les réformes à mettre en œuvre, le climat des affaires à améliorer, les autorisations administratives à simplifier… «Pourtant, l’état d’esprit des patrons français n’a pas été pour le désinvestissement depuis deux ans, même s’il y a les difficultés sociales souvent dissuasives pour eux. Cependant, ceux qui avaient des projets d’investissement attendent d’y voir plus clair! Un maître-mot: attentisme!».
Et la liste se poursuit: situation financière très dégradée, indicateurs dans le rouge, problèmes structurels non résolus, plusieurs entreprises françaises souffrent d’impayés sur l’Etat et les administrations tunisiennes à hauteur de 25 millions d’euros (essentiellement sur la Pharmacie centrale), manque de visibilité économique et politique à moyen et long terme, pas encore d’accord formel avec le FMI, difficultés logistiques (surtout le port de Radès), tourisme qui souffre de la comparaison avec les autres pays, régler les problèmes des secteurs des énergies renouvelables (notamment le raccordement de la centrale de Tataouine à la Steg !!)…
Khelil Chaibi, président de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie, est dans le même état d’esprit: «L’instabilité fiscale, le Code des changes, les problèmes de logistique, les procédures administratives, le secteur informel (à tel point que quand on parle de balance commerciale on n’a jamais les chiffres exacts!), les retards des réformes économiques… Avec les autres chambres mixtes, nous comptons sensibiliser les pouvoirs publics à ces questions pour améliorer la compétitivité de notre site. Car il est difficile de parler des prochaines années si on n’a pas de visibilité sur les prochaines semaines! En dépit des difficultés, le secteur privé a fait preuve de résilience, mais tout dépendra des réformes qui seront mises en place pour une démocratie apaisée et une économie ouverte. Nous attendons de la France un engagement et un soutien, mais la balle est dans notre camp! ».