Parmi les documents sauvegardés dans les archives nationales de Tunisie, on trouve le répertoire téléphonique de Bourguiba datant de 1951 qui contient environ 80 noms. Parmi ces derniers: des dirigeants du Néo-Destour et des organisations nationales, des avocats et de grandes figures. À une ère où les smartphones n’existaient pas encore, il n’est pas surprenant que ces numéros soient conservés sur un bout de papier. Mais ce qui est surprenant, du moins pour une personne qui n’a pas vécu à cette époque, c’est le format des numéros de téléphone: 78-10 pour Ahmed Ben Salah, 22 pour Mongi Slim, …
À une époque où les lignes fixes étaient un luxe auquel seuls les plus aisés avaient accès, il n’était pas (encore) nécessaire d’encombrer leurs détenteurs avec des numéros à rallonge. Mais au fur et à mesure que la technologie se démocratise, cela est devenu un must. C’est pourquoi votre numéro de téléphone se compose de 8 chiffres. C’est le même problème auquel ont dû faire face les “gardiens” de l’internet dans les années 2000 lorsqu’ils ont réalisé que les adresses IP ― l’équivalent des numéros de téléphone pour internet ― ne sont plus suffisants pour répondre aux besoins de ce réseau.
Et il n’est pas difficile de voir les raisons de ce déficit: le format traditionnellement utilisé (192.168.1.10) ne permet en effet d’avoir que 4.3 milliards d’adresses IP différentes. Ce chiffre, bien qu’il semble important, ne permet pas de répondre aux besoins d’un réseau aussi énorme et complexe que l’internet. C’est ainsi que, en 2012, une nouvelle version des adresses IP a été lancée: l’IPv6. Moins“photogénique” (0000:0000:0000:0000:0000:ffff:c0a8:010a), cette nouvelle norme permet en revanche d’avoir un nombre beaucoup plus grand d’adresses IP. 340.282.366.920.938.463.463.374.607.431.768.211.456 addresses pour être exact.
Problème résolu? Pas si vite. Comme vous pouvez le constater avec les deux exemples cités ci-dessus, l’IPv6 n’est pas rétro-compatible avec l’IPv4, i.e. les systèmes qui ont été conçus pour fonctionner avec l’IPv4 ne peuvent pas assimiler le nouveau format, à moins que des modifications lui soient apportées. La transition entre les deux normes n’a donc pas été instantanée. Au fait, plus de 10 ans après le lancement de l’IPv6, une grande partie de l’internet tourne encore avec son prédécesseur. C’est dans ce contexte que l’Organisation arabe des technologies de l’information a organisé le Sommet interrégional de l’IPv6 qui a vu la participation de plusieurs intervenants de la région.
L’urgence du passage à l’IPv6 était le thème principal du mot de Mohamed Ben Amor, secrétaire général de l’Aicto, qui a rappelé que les évolutions rapides que connaît l’utilisateur de l’internet dans le monde ne fera qu’accélérer l’épuisement des adresses de 4ème génération. Il a indiqué dans ce contexte que la démocratisation rapide de l’IoT et le développement de la 5G seraient parmi les plus importants accélérateurs de cette transition. Ben Amor a noté également que les préparations au passage à l’IPv6 n’avancent pas au même niveau dans tous les pays de la région et a appelé dans ce cadre à renforcer la coopération et la coordination entre ces pays.
Notant les limites de l’IPv4, le vice-président exécutif de Huawei Northern Africa, Philippe Wang, a, de son côté, réaffirmé l’indispensabilité de l’IPv6 pour toutes les applications intelligentes, la télémédecine à titre d’exemple. Le responsable du géant technologique a rappelé dans ce cadre que l’ensemble des équipements proposés à l’entreprise chinoise sont compatibles avec la nouvelle génération d’adresses internet. Mieux encore, l’équipementier a développé encore plus cette technologie en proposant l’IPv6 Enhanced. Ce dernier permet l’acheminement des données de manière plus efficiente et sécurisée, tout en offrant la possibilité de créer des canaux spécialisés pour plusieurs types de données.
Autre argument en faveur de l’IPv6: l’augmentation du prix des adresses IPv4 encore disponibles. Selon Dr. Xipeng Xiao (Datacom Standard & Industry Development Huawei Europe), le prix d’une adresse IPv4 a doublé en 2021 pour atteindre 50 dollars. Ce qui représente un coût considérable par comparaison avec celui de l’acquisition d’un stock d’adresses IPv6. Le Registre internet régional pour l’Afrique (Afrinic) a, rappelons-le, décidé d’octroyer ces ressources gratuitement. Un atout majeur qui ne peut que favoriser l’accélération de la migration vers la nouvelle version du protocole internet en dépit des challenges. Ceux-ci sont répartis sur quatre catégories: la motivation, le savoir, l’écosystème et la technologie. Se référant à une enquête réalisée par l’Afrinic en 2017, le responsable chinois a expliqué que le management, le savoir et les compétences venaient en haut de l’échelle des défis à surmonter pour réussir la transition vers l’IPv6 en Afrique.
Outre ces défis, la migration vers l’IPv6 nécessite des efforts conjoints de tous les acteurs. Qu’il s’agisse de gouvernements, d’entreprises ou d’acteurs du secteur des technologies de la communication. Fédérer cet écosystème semble une priorité. C’est ce qu’a laissé entendre le secrétaire général de l’Union africaine des télécommunications, John Omo. « L’Afrique a encore de longs pas à parcourir à ce niveau », a-t-il affirmé,appelant à s’interroger sur les raisons des retards accusés dans le déploiement de l’IPv6 par les pays africains.
Cet évènement a, notons-le, été marqué par la publication d’un livre blanc axé sur les moyens susceptibles de préparer convenablement la migration vers l’IPv6. Dans l’ensemble, il recommande de mettre en place des campagnes de sensibilisation et d’inclure la formation à l’IPv6 dans les cursus universitaires, la création d’une stratégie nationale de haut niveau et la définition des conformités pour les fournisseurs de services et les réseaux gouvernementaux.