Au début de l’année 2020, la propagation du Covid-19 a provoqué la pire récession mondiale depuis la période suivant immédiatement la Seconde Guerre mondiale. Cette année, avec le début du conflit russo-ukrainien, le monde est confronté à l’événement militaire le plus important en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Le choc néfaste créé par le conflit russo-ukrainien accélérera les tendances “stagflationnistes” (faible croissance accompagnée d’une forte inflation) et risque d’annuler une partie des gains économiques générés par les mesures de relance extraordinaires qui ont suivi le choc Covid-19. L’Union européenne (UE) est particulièrement vulnérable dans ce nouvel environnement. Cet article décrit en détail comment une crise énergétique se rapproche de l’UE.
Les mesures économiques qui ont suivi le début des hostilités en Europe de l’Est créent déjà des perturbations importantes sur les marchés des matières premières. Avant même le début de la guerre, le prix de plusieurs produits de base atteignait déjà des sommets historiques et les stocks étaient à des niveaux historiquement bas. Les marchés de l’énergie sont un élément important de cette tension. Les exportations russes ont représenté respectivement 13 % et 26 % du commerce mondial du pétrole et du gaz au cours des deux dernières années. Alors que l’UE a exclu le secteur de l’énergie de ses sanctions à l’encontre de la Russie, les flux maritimes de pétrole brut sont déjà perturbés, en raison des activités militaires en mer Noire et des restrictions commerciales et logistiques auxquelles se livrent les compagnies maritimes, les négociants en matières premières et les banquiers. En revanche, le flux de gaz russe vers l’UE, essentiel pour la sécurité énergétique du continent, est toujours en cours. Toute perturbation de ces flux serait susceptible de créer une crise énergétique majeure pour l’UE.
Les discussions actuelles sur la monnaie à utiliser pour payer les exportations de gaz russe laissent penser que Moscou ne souhaite pas accumuler d’excédents commerciaux en USD ou en EUR, qui font l’objet de sanctions. La Russie a récemment demandé à être payée pour ses exportations de gaz dans sa monnaie nationale, le rouble russe. Certains craignent que cette discussion n’entraîne une interruption du commerce du gaz.
Trois faits essentiels soulignent l’ampleur du problème du gaz pour l’UE.
De prime abord , 61 % de la consommation énergétique de l’UE est importée, ce qui la rend particulièrement vulnérable aux chocs d’approvisionnement douleureux dans le complexe énergétique mondial. Il est important de noter que le gaz naturel est une source d’énergie majeure pour l’UE, représentant près de 25 % de sa consommation totale. Environ 90 % de ce gaz naturel est importé, dont plus de 40 % provient traditionnellement de Russie, sous forme de gazoducs et de gaz naturel liquéfié (GNL). Par conséquent, les volumes de gaz russe sont actuellement nécessaires pour maintenir le fonctionnement normal du système énergétique de l’UE.
Ensuite, certains pays de l’UE sont plus vulnérables que d’autres à un arrêt soudain des flux de gaz russe. Les pays d’Europe du Nord, dont l’Allemagne, mais aussi l’Autriche et l’Italie, sont particulièrement dépendants du gaz russe transporté par gazoduc. Une plus grande dépendance nécessiterait un effort plus important pour mettre en place des sources d’approvisionnement alternatives pour ces pays de l’UE.
In fine, les principaux exportateurs de gaz et de GNL, comme l’Australie, le Qatar et les États-Unis, ne peuvent pas, à court terme, remplacer immédiatement le gaz russe pour l’UE par du GNL. Cela est dû à un manque d’infrastructures énergétiques nécessaire dans les pays consommateurs de l’UE. Le réseau électrique de l’UE n’est pas intégré et les installations de regazéification du GNL sont limitées en nombre et à peine réparties sur le continent. En outre, les flux d’approvisionnement en GNL sont en grande partie liés à des engagements contractuels à long terme qui ne peuvent être facilement modifiés sans coûts importants. Il faudra du temps et des ressources financières importantes pour intégrer le réseau électrique de l’UE, construire de nouvelles installations de regazéification, rénover les anciennes installations énergétiques et réapprovisionner les importations d’énergie. Selon Annalena Baerbock, ministre allemande des affaires étrangères, son pays est prêt à “payer un prix économique très, très élevé” dans cette crise, qui risque de voir “les lumières s’éteindre” en Allemagne ou en Europe. Les plans de transition énergétique pour s’éloigner des combustibles classiques sont également suspendus temporairement et réformés, la sécurité énergétique devenant une priorité. Le charbon et d’autres sources d’énergie considérées comme relevant de la “transition fossile et non verte” pourraient contribuer à combler le déficit énergétique jusqu’à ce que les alternatives créées par de nouveaux investissements se concrétisent. Parallélement cela reporterait l’agenda politique de certains pays européens en faveur d’une transition énergétique vers un environnement à zéro émission nette de carbone.
Dans l’ensemble , le conflit Russo-Ukrainien constitue une menace majeure pour la sécurité énergétique de l’UE. Le gaz naturel est essentiel dans le bouquet énergétique de l’UE et la Russie est un important fournisseur de gaz à l’Europe. Les flux de gaz peuvent être perturbés à la fois par l’activité militaire et par les mesures économiques prises contre la Russie, telles que les sanctions, les embargos et les interdictions d’exportation. Les pays d’Europe du Nord sont particulièrement vulnérables à la crise, en raison de leur plus grande dépendance à l’égard du gaz russe.