Les données de terrain avertissent que beaucoup reste à faire pour l’empowerment des femmes rurales: finance, information, formation, sécurité sociale, accès à la terre et à l’eau… C’est ce que montrent les études exposées et débattues lors du webinaire sur la Résilience des femmes rurales organisé, le 9 mars, pour commémorer la Journée internationale de la femme du 8 mars, par le Cawtar et le Programme alimentaire mondial (PAM) et leurs partenaires (le Réseau francophone pour l’égalité femmes-hommes de l’OIF et la FFEM) avec la participation de UN Women et de la FAO.
« La résilience des femmes rurales doit être abordée sur le terrain et ce webinaire présente les résultats d’enquêtes récentes dans ce sens, en allant au fond de la question de leur autonomisation économique en Tunisie et dans la région », atteste Soukaina Bouraoui, directrice exécutive du Cawtar, qui souligne à plusieurs reprises la nécessité de mettre en relation les acteurs nationaux et régionaux si nous voulons donner la pleine mesure des projets. Begoña Lasagabaster, représentante d’ONU-Femmes en Tunisie et en Libye, est également favorable à l’idée d’agir de manière conjointe pour faire face aux obstacles: accéder à la terre et aux technologies, améliorer les conditions de travail, faire entendre leur voix dans les négociations financières…
Témoignages dramatiques de Nahla, Fatma, Ribh, Zouhour, mais…
De la résilience individuelle à la résilience collective des femmes rurales en post-Covid-19, il y a un potentiel à renforcer et c’est à cela que s’est employée une étude qualitative de l’universitaire Latifa Ziadi en se basant sur un échantillon de 50 femmes (36 ans de moyenne d’âge, niveau d’instruction élevé) en 3 focus groups sur 3 zones géographiques. Elle révèle qu’elles ont été frappées de plein fouet par la Covid alors que 70% de leur récolte était destiné aux écoles (avec leur fermeture, leur CA a baissé de 50%). Elle parle de témoignages dramatiques devant les préoccupations des institutions orientées vers de nouvelles urgences, des projets arrêtés, l’insécurité alimentaire car privées de salaires. « Nahla, Fatma, Ribh, Zouhour… ont pourtant montré quelque chose de magique; elles ont subi le choc mais opposent une forte résistance, déploient un grand potentiel d’adaptation et de récupération, elles se sont débrouillées pour survivre », commente-t-elle.
Ce qu’il faut retenir, c’est que des femmes éduquées, instruites, sont mieux dotées des outils nécessaires pour entamer de nouvelles expériences et comprennent qu’elles doivent se constituer en groupes au sein des structures communautaires locales et nationales, mais ces structures (GDA, par exemple) doivent être adaptées.
Exposant son étude quantitative, sur la résilience face aux aléas socioéconomiques de la crise Covid-19, Fadhila Najah, universitaire et analyste, présente les leçons apprises de 350 femmes membres de 50 Groupements de développement agricoles (GDA) dans les gouvernorats aux taux de pauvreté les plus élevés. Elle regrette le déséquilibre hommes/femmes montrant les femmes essentiellement comme de simples adhérentes qui peinent à couvrir leurs charges, à accéder aux structures de support, à adopter de nouvelles méthodes de commercialisation et qui sont acculées à recourir à l’aide de la famille.
1000 bénéficiaires de Jendouba, Kairouan et Médenine
Dans le détail de l’impact de la Covid-19 sur la résilience et la sécurité alimentaire des femmes membres de GDA, Aziza Bouhejba, chargée de projet au Programme alimentaire mondial (PAM), propose une lecture de l’étude en lien avec l’approche genre. Selon l’indice de consommation alimentaire, les femmes ont un score d’alimentation de 38% (pauvre, comparé à 67% pour les hommes); en matière de diversité du régime alimentaire, 67% des femmes consomment moins de 5 groupes d’aliments par semaine. Une vulnérabilité croissante où il est question de réduire le nombre de repas par jour, restreindre la consommation des adultes pour que les enfants puissent manger, encourager le travail des enfants pour contribuer au revenu des ménages, et c’est encore plus dur pour les ménages tenus par des femmes où la situation peut aller jusqu’à retirer les enfants de l’école pour les envoyer mendier! « On voit que les femmes sont beaucoup plus vulnérables et touchées d’une manière disproportionnée par la Covid », ajoute-t-elle.
Présentant le programme Rural Women Economic Empowerment (RWEE), Silvia Luchetti (PAM), rappelle que la Tunisie est le premier pays de la région Mena à accéder à ce programme sur les couches vulnérables en milieu rural et l’aspect de mise en valeur des projets adjacents, en insistant sur la nécessité d’appropriation des gouvernements locaux (ministères, bureaux d’appui): « Jendouba, Kairouan et Médenine sont les récipiendaires directs avec presque 1000 bénéficiaires (femmes, saisonniers, membres de coopérative, transporteurs, propriétaires, unions professionnelles…) avec 4 objectifs: améliorer la sécurité alimentaire, renforcer les capacités de production en utilisant des technologies innovantes, augmenter les revenus, renforcer le cadre juridique, en plus d’objectifs transversaux genre ».
Les institutions partenaires se sont également largement exprimées lors du webinaire.
Noro Ravaozanany a parlé de l’expérience de Madagascar, Souad Benmassaoud sur le Maroc, Ndioro Ndiaye sur le Sénégal, Mina Cheballah sur l’Algérie, Koné Satigué sur la Côte d’Ivoire; et il a été souvent question de e-commerce, de services logistiques, d’alliances, de normes sociales, d’information, de comment être visible pour promouvoir la marchandise.
Choisissant de finir sur un ton prospectif, Soukaina Bouraoui a invité les webinaristes à énoncer les grandes priorités qu’ils jugent nécessaires à l’empowerment des femmes rurales, soulignant que cela fait 20 ans qu’elle pose la question. Voici ces priorités: l’accès au revenu puis à l’information, la formation en marketing digital, l’accès à la sécurité sociale, l’accompagnement et la sensibilisation, l’accès à leurs droits qui émanent du code du travail, leur droit de vivre une vie libre sans violence (y compris au niveau des ménages), la résolution du problème de l’accès à la terre (seulement 4% des femmes sont exploitantes!), la réalisation d’une cartographie des déséquilibres et des disparités genre, la garantie de l’accès à l’eau, l’aide dans l’élevage et la forêt…