La guerre en Ukraine aura un impact sur le marché mondial de nombreuses matières premières, en termes de disponibilité d’abord et de prix ensuite. Cela se traduira par effet mécanique sur le budget de la Tunisie pour l’année 2022 à travers les dépenses de subventions et sur le pouvoir d’achat des Tunisiens à travers une augmentation des prix des produits subventionnés et une inflation inexorable, qui pourrait atteindre un taux à deux chiffres, sachant que les prévisions de la Banque centrale de Tunisie tablaient sur une inflation de 6,8% en 2022 avant le déclenchement de la guerre.
Pour y faire face, l’IACE propose une batterie de mesures qui méritent d’être considérées pour amortir les effets de la crise et son impact sur l’économie tunisienne, tout en espérant que cette crise durera le moins longtemps possible :
– Mettre en place d’urgence une cellule de crise pour identifier les alternatives en ce qui concerne les sources d’approvisionnement et les mécanismes de financement requis, dans la mesure où la solvabilité des clients va devenir un critère important dans la priorisation de l’approvisionnement par les fournisseurs (et que la Tunisie présente aujourd’hui un risque de solvabilité élevé).
– Communiquer sur la réalité de la situation et son impact afin de faire prendre conscience aux populations des difficultés que nous allons devoir affronter pour les sensibiliser et exhorter aux changements de nos habitudes alimentaires (notamment en évitant le gaspillage), en insistant sur la nécessité de prioriser l’intérêt général sur les intérêts particuliers.
– Mobiliser nos ressources financières, aussi faibles soient-elles, vers les approvisionnements en produits essentiels aux populations au détriment des produits « secondaires ».
– Orienter nos ressources hydriques agricoles exclusivement vers les cultures céréalières pour améliorer autant que faire se peut les perspectives de la récolte à venir.
– Arriver impérativement à une augmentation de la production du phosphate en vue de relancer la production d’engrais pour fournir le marché local et accroître nos ressources à l’exportation.
– Agir immédiatement sur les performances du port de Radès, pour réduire les délais d’attente en rade et ceux de manutention pour encourager les armateurs à desservir ce port et réduire les coûts logistiques du port pour compenser quelque peu l’augmentation des tarifs de transport maritime.
– Considérer la possibilité d’une aide d’urgence aux familles nécessiteuses moyennant le déblocage d’un montant de 300 millions de dollars, à l’instar de ce qui a été fait en 2021 avec l’appui de la Banque mondiale.
– Obtenir le déblocage immédiat de l’aide de l’Union européenne au titre de l’appui budgétaire de 300 millions d’euros.
– Accélérer les négociations avec le FMI et la Banque mondiale pour obtenir une aide exceptionnelle d’urgence de 1 à 1,5 milliard de dollars pour l’année 2022.
– Envisager de négocier le rééchelonnement de la dette tunisienne (hors marchés financiers), pour transférer les ressources dédiées au service de la dette vers le financement de l’approvisionnement en produits de base, d’autant que les institutions financières bilatérales et multilatérales seront dans l’obligation d’assouplir leurs positions vis-à-vis des pays vulnérables tels que la Tunisie. Pour rappel, le service de la dette en principal est de 10 milliards de dinars pour l’année 2022.
– Engager les actions nécessaires pour maintenir les objectifs de la saison touristique 2022 en investissant sur les touristes d’Europe occidentale. Après 2 années de crise sanitaire, la demande est en augmentation et la crise va impacter les ménages et les orienter vers les marchés les plus compétitifs, ce dont la Tunisie doit bénéficier. Il faut, pour cela, débloquer les ressources nécessaires pour assainir l’environnement de nos principales zones touristiques.
Beaucoup de ces chantiers ne sont pas nouveaux mais leur acuité va gagner en importance du fait de cette crise et il devient urgent de les résoudre, en décrétant la sécurisation des approvisionnements comme objectif national, en mobilisant la solidarité nationale dans ce sens à travers un moratoire de deux années sur les grèves et les revendications salariales, en contrepartie des mesures de soutien aux salariés et aux couches vulnérables.
Ces mesures sont d’une urgence absolue, mais doivent nécessairement s’accompagner d’une réflexion à moyen terme, à la lumière des instabilités que connaît le monde aujourd’hui (pandémie, guerres, changements climatiques), pour mettre en place des stratégies plus élaborées en matière de sécurité alimentaire et énergétique et de gestion du stress hydrique.
Il est important d’accélérer la mise en place d’une vraie stratégie d’amélioration des rendements agricoles et d’encouragement des agriculteurs. De même qu’il faudrait s’engager dans un programme plus ambitieux pour ce qui concerne les énergies renouvelables, en premier lieu le solaire, et présenter une stratégie de développement de la filière de l’hydrogène vert, qui est probablement l’énergie du futur. Sans négliger le renforcement de nos capacités de stockage des matières premières agricoles, du pétrole et du gaz.
Les différentes crises que le monde a connues doivent être prises comme des signaux pour la nécessaire révision de nos approches économiques dans divers secteurs, il en va aujourd’hui de l’indépendance du pays et de sa sécurité.