Alors que le challenge ‘Les Négociales’ organisé pour la première fois en Tunisie (après la France, la Belgique, la Suisse et le Maroc) par S Value à l’Université libre de Tunis (ULT) les 5 et 6 février 2022, nous nous trouvons devant des rites de passage inédits qui marient bienveillance, timing, dilemme image/trésorerie, jeux de rôle, com et aptitudes.
D’abord, il faut bien s’imprégner du fait que les Négociales tunisiennes sont un concours national ; c’est-à-dire que la concurrence est singulièrement rude et que seuls les meilleurs auront les fameux billets de voyage à Epinal, en France, pour la grande 33e finale multinationale du 22 au 24 mars 2022 (avec une prise en charge des frais de déplacement et d’hébergement). Le tout dans une recette proposée pour la toute première fois dans notre pays et rendant légitime l’interrogation : comment ce concours va-t-il se passer chez nous ?
C’est simple : la mise en scène de négociations commerciales individuelles de 10 minutes (zéro-zéro, chrono en main) sur la base d’un cas de négociation réel d’une entreprise où l’étudiant mène sa négociation face à un professionnel de la vente et en présence d’un jury composé de professionnels. Exercice en 2 actes : demi-finale en matinée et finale l’après-midi.
« J’insiste sur le terme ‘bienveillance’ avec les étudiants »
Pour bien expliquer les choses, un link est tendu avec la France où un expert des Négociales, Mathieu Scheidegger, use d’une explication de cas pour éclairer toutes les facettes du challenge. Il présente des infos sur Würth, entreprise familiale dans les produits de fixation, 13,8 milliards d’euros de CA, 2 800 commerciaux, 30 mille références, des magasins libre-service avec des Proxishops, 250 mille clients, un engagement dans le développement des collaborateurs et dans le socio-environnemental.
« Tous les éléments doivent être mis entre les mains des étudiants pour leur présentation. Sur le rôle de l’acheteur, j’insiste sur le terme ‘bienveillance’ avec les étudiants (donner la répartie, respecter le sujet présenté, 10 mn chrono, pas une de plus, c’est extrêmement important -c’est le principe du concours -, donnez-leur des éléments constructifs, ne soyez pas méchants ! », recommande-t-il à l’assistance.
Il met les acheteurs également dans le bain, leur indique qu’au moment de passer leur commande ils ont débuté les travaux (les étudiants ne savent pas cela), ensuite un chef de travaux les a appelés pour des problèmes de cloueur. Il utilise le langage télégraphique comme le font les gens dans la réalité de l’entreprise : « Premier scénario : vous avez un programme chargé et vous ne pouvez pas consacrer plus de 10 mn au vendeur ; vous avez 500 euros de budget ; un concurrent -Equiptou- propose moins, les retards sont très négatifs sur votre image ; c’est votre première problématique ; vous avez besoin d’une livraison à 24h et vous pourriez alors dépasser un peu votre budget.
Second scénario : un budget de 1 500 euros pour 4 cloueurs, vous ne souhaitez pas mettre cette somme sur la table, les étudiants vont vous offrir la possibilité de louer les cloueurs : vous appréciez car vous avez une obligation d’image mais également une obligation de trésorerie à ne pas dépasser : la location permet la conciliation (plus une batterie de 7 000 clous de charge!).
Le plus dur pour les étudiants est de concilier image et budget. Quant au jury, il doit remplir la grille pendant que les étudiants passent (le temps est important, les étudiants passent tous les quarts d’heure, vous avez 5 mn de passage, puisqu’ils n’ont que 10 mn pile ».
Jeux de rôle : 10 mn par candidat, 3 mn de délibérations
A l’étape suivante, les étudiants se consacrent à la préparation du cas de négociations. Puis c’est le moment de passer devant le jury. Le jury procède sur la base d’une grille d’évaluation qui note la communication non verbale, la communication verbale et les aptitudes à négocier ; ces trois facteurs étant passés par un triple crible : comportements observés (contact, formulation, argument prix/valeur, voix, vocabulaire, enthousiasme…), ce qui fait baisser la note (banalité, pas de justification du prix, vocabulaire approximatif, pas d’originalité…), et ce qui fait augmenter la note (accroche probante, questionnement ouvert, prix légitimé, compréhension des opportunités…).
Exemple type : l’étudiante Aya Sayari rencontre l’acheteur Mahran Abid, Customer Success Manager à Whitecape (ingénierie software), et le jeu de rôle commence par les présentations ; elle entre dans le vif du sujet et s’enquiert des besoins de l’entreprise pour la situation que l’acheteur décrit comme urgente ; elle propose un cloueur à gaz dont elle aligne les qualités et l’opportunité de prix qui englobe deux batteries, un chargeur, une rallonge ; elle fixe le délai à 24 h et l’acheteur demande des détails techniques sur le cloueur ; il ne lui cache pas qu’il a des offres d’autres concurrents et qu’il trouve que les 100 clous du chargeur ne sont pas suffisants, elle consulte ses fiches et explique qu’il s’agit seulement de la capacité du chargeur (8 000 clous étant le nombre d’insertions par batterie) ; il demande les prix des fournitures en diverses configurations, packs, quantités ; et la commande se monte en définitive à un cloueur, clous, lunettes de protection, bouchons d’oreilles ; elle propose des cartouches de gaz à la capacité de 1 000 clous…
Le jury, composé de Wahb Essid, directeur ressources humaines d’Infor Tunisia (éditeur de logiciels), et Fadi Kammoun, Growth Manager MedTn (plateforme de contact), nous fait une courte récap du cas Aya Sayari : selon eux, en matière de comportement, elle n’a pas de maîtrise totale et cela se justifie par son manque d’expérience, mais elle a certainement de la volonté, et aussi elle a su cacher sa déstabilisation et a poursuivi la négociation courageusement. Pour Wahb Essid et Fadi Kammoun, ce qui a fait baisser la note de Aya, c’est son manque de maîtrise des techniques de vente ; et ce qui a fait augmenter sa note, c’est le fait qu’elle s’est bien présentée et a réussi à briser la glace.