Un séminaire régional vient de se tenir à Tunis du 10 au 11 décembre 2021 dans le cadre du projet « Donner aux femmes entrepreneures de la région MENA le pouvoir d’accéder, sur un pied d’égalité avec les hommes, aux affaires et aux marchés », partenariat entre le Kvinna till Kvinna (des femmes aux femmes) et le Centre des femmes arabes pour la formation et la recherche (Cawtar) ; une contribution aux 16 jours d’activisme international contre la Violence Genre, du 25 novembre (Journée internationale pour l’élimination de la Violence Contre les Femmes) au 10 décembre (Journée des droits humains).
Il s’agit de pouvoir ! Car on dirait un plan de bataille quand on entend les vocables présentant le projet : organiser, valider ; outils, recommandations, priorités, références… pour signifier que le projet « Donner aux femmes entrepreneures de la région MENA le pouvoir d’accéder aux affaires et aux marchés sur un pied d’égalité avec les hommes » ne pouvait être qu’une montée au créneau, exactement dans le style de Cawtar.
Une vision des mécanismes de coordination
De l’activisme sous couvert d’académisme, donc ! Cela commence par des notions pacifiques de « présenter et discuter, analyser et évaluer » à la faveur de six ateliers nationaux (pour proposer les termes de référence et les tâches du mécanisme de coordination) et cela finit par une revue de stratégies, outils électroniques, renforcement des capacités, priorités…
Des femmes qui s’adressent aux femmes, en somme. Et c’est d’ailleurs la traduction directe de l’appellation de l’Association suédoise « Kvinna till Kvinna » qui finance le projet et dont la représentante Hajer Messaoudi parle d’une violence universelle ; une quasi-guerre menée contre les femmes arabes qu’elle décrit comme « occi-orientales » (occidentales-orientales) où les avant-gardes ne sont autres que les femmes entrepreneures qui bataillent pour accéder aux fonds, aux marchés, à la reconnaissance. Pourtant, un homme soutient cette avant-garde sans limites ; Ridha Chaâra, président d’Open Tunisia, l’autre centrale patronale qui se démarque par l’accueil en son sein d’une structure pour les femmes entrepreneures, une centrale qui est déjà implantée dans 20 pays arabes et africains.
Faïza Ben Hadid, coordinatrice du projet au sein de Cawtar (Centre of Arab Women for Training and Research), abonde dans le concept de lutte en soulignant que ce séminaire est stratégique dans le processus du projet et demande aux participantes d’en fixer les priorités et de proposer leur vision des mécanismes de coordination nationaux inspirés des priorités de la recherche, et c’est pour cela qu’elle a tenu à ce que 5 personnes de chaque pays soient représentées (ministères du commerce, de la femme, secteurs TIC, agroalimentaire, textile).
Allant exactement dans le même sens, Imen Louati, modératrice de Cawtar, emprunte une démarche inhabituelle en demandant à chaque participante de parler d’elle et de son entreprise, clairement, pour se faire une idée des personnalités et des parcours de toutes ces dames qui viennent d’Algérie, d’Égypte, de Jordanie, du Liban, du Maroc et de Tunisie. Elles sont dans les secteurs TIC, le chocolat, l’administration de l’Etat, le savon, BTP, agroalimentaire, habillement (pour les noces), syndicat patronal, e-commerce, applications mobiles, organisation de femmes, département genre dans l’administration, expert genre, développement de marchés, recherche économique…
Résultats, méthodologie, incidences
Une part importante de la rencontre a été consacrée aux résultats attendus du projet, alors que les femmes sont -selon l’étude- absentes de beaucoup de conventions avec l’UE et d’autres (même dans celles qui sont Gender Blind), doivent être épaulées pour parvenir aux ressources, avoir à disposition un e-window, des unités de e-learning, par exemple les capacités techniques surtout dans la négociation, parfaire leurs attributs compétitifs… Il faut dire que les obstacles ne manquent pas : le financement reste un défi majeur, la maîtrise de la gestion, les difficultés de communication avec les employés, l’accès à l’information, les réseaux professionnels…
D’où une méthodologie basée sur la réalité du terrain et commençant par une évaluation de l’environnement des affaires et le choix du travail, comme l’explique Rola Saadi, représentante du Liban. Il s’agit de déterminer les facteurs de non-équité, les poches de discrimination contre les femmes, des documents de toutes catégories, la revue biblio pour enrichir le contenu, un mapping en 4 étapes (priorités, organisations, rencontres avec les porteurs de projets, sectorielles), ensuite le Rapid Assessment puis la Value Chain. Il y eut beaucoup de complications sur le chemin de l’étude, notamment la Covid car il fallait à chaque fois repartir de zéro.
Marouane Chikhaoui, de Tunisie, éclaire la situation sous l’angle des chaînes de valeur économique sensibles au genre (CVE, de la production à la consommation en passant par le transport, le marketing…) ; un outil stratégique dont le but est de donner accès à une plus grande valeur ajoutée. Des chaînes choisies pour permettre aux femmes de s’imposer devant le déséquilibre des forces flagrant dans les CVE via les difficultés auxquelles doivent faire face les femmes.
Après tout cela, rien d’étonnant que les principales incidences de l’étude montrent la persistance des barrières spécifiques genre ; une attitude genre (!) dont on voit évidemment les effets, d’abord en matière d’environnement économique. Le classement des différents pays de la région MENA montre tout le ridicule d’entraves souvent surréalistes, même si certains pays réussissent quelques petites percées ; spécialement là où les femmes sont compétitives (l’agriculture, l’industrie légère et les services, y compris lesTIC, applications mobiles…).
Le besoin d’élever la voix !
Pour tout dire, il y a de quoi se demander si les femmes ne devraient pas affronter la réalité que rien ne se gagne sans haute lutte, et certainement pas par les seules voies académiques, allions-nous dire, mais en élevant la voix à toutes les occasions (et tout ce qui va avec). Cette interrogation posée par « Managers » a tout de suite suscité les réactions des participantes au séminaire.
Certaines nous ont fièrement rappelé que les acquis actuels sont le résultat de combats sanguinaires et de sacrifices des femmes dans toute l’histoire et que construire des réseaux et y militer tient de la défense des droits des femmes. On nous parle aussi de combats qui ont gagné la nomination « genre » et tout ce qui s’ensuit. D’autres évoquent leurs souvenirs, par exemple avec l’ONU, où il fallait se battre pour les questions de revenus, d’équité, d’échange d’expériences…
Des mots de sagesse ont même fleuri au milieu de cette foule de dames dont beaucoup sont militantes avant d’être patronnes, singulièrement quand on nous a signifié que des efforts de délicatesse (par exemple en matière de Gender versus genre social) pouvaient donner des résultats étonnants. Le savoir est ce qui vous donne l’opportunité de convaincre et nos peuples sont enclins à vous adopter dès que vous parvenez à les gagner à votre cause, nous a-t-on rétorqué. Des arguments faciles quand on sait que le travail que fournissent les femmes chez elles est de 8 heures par jour alors que l’homme n’en fournit que 45 mn. Elles disent qu’elles ne veulent pas devenir des hommes mais reconnaissent que le féministe est par nature provocateur et qu’elles ont souvent besoin d’élever la voix, simplement pour revendiquer leurs droits.
En attendant le prochain cycle de consultations/discussions/validation/adoption
Pour aller de l’avant, il fallait des recommandations. Ce séminaire qui fait partie d’un premier cycle de consultations a mis en évidence, transversalement si l’on ose dire, une demi-douzaine de compréhensions :
– Nécessité de mises en réseaux et de collaborations trans-pays pour échanger les infos et identifier les opportunités
– Assurer une meilleure appropriation/compréhension des réglementations et une veille permanente pour satisfaire aux exigences en progression
– Apporter une grande attention à la formation sur les questions techniques
– Veiller à intégrer les facteurs de gestion des risques dans le listing des compétences prioritaires
– Développer la GRH et la gestion financière
– Investir dans les outils TIC destinés à la planification d’entreprise, notamment en matière de e-commerce et de e-marketing.
Selon Cawtar, il est de bon aloi de s’attendre à ce que toutes les parties qui s’approprient le projet se préoccupent d’enrichir les résultats de ce premier cycle avec leurs expériences, surtout dans les segments des points communs/priorités/stratégie ; en attendant le prochain cycle de consultations/discussions/validation/adoption qui sera lancé lors du 2e séminaire régional prévu pour le premier semestre 2022.