C’est sur le long chemin de l’autonomisation des femmes que se sont segmentés les deux panels de l’atelier sur le leadership transformatif. Un premier panel consacré aux priorités d’actions et questions post-recherche et un second aux processus de changement des femmes-leaders. Des recommandations raisonnées couronnent l’atelier.
L’idée de singularisation : pourquoi des femmes surmontent leur condition, et d’autres pas ?!
Le premier panel sur « leadership transformatif, priorités d’actions et questions post-recherche » parle surtout d’ouverture ; pas seulement une question d’attitude mais un réel modus vivendi. Les panélistes nous parlent ainsi de femmes qui ont des postures ouvertes et qui ont besoin d’adrénaline, pas de femmes vierges de toutes choses, mais des victimes de violences qui les ont transformées. Mais il est aussi question de garder le débat ouvert et de se placer déjà dans la post-recherche.
Sihem Najjar, coordinatrice scientifique de l’étude régionale, propose de chercher le lien tacite entre le leadership transformatif et la violence dont les femmes sont victimes. Un exercice difficile : « Nous avons changé de perspective de la chaîne d’interprétation. Il s’agit de mettre en valeur ces femmes, changer de cap vers la logique du renard : le sociologue en tant que renifleur social. Dans cette perspective, la notion de violence fondatrice purement anthropologique : la société a besoin du conflit pour se renouveler ! ».
Et c’est sur ce terrain accidenté que se rencontre la « Serendipity », cette découverte non anticipée mais fructueuse ; une bifurcation biographique impliquant une rupture (avec les 4 types de violences : parentale, conjugale, sexiste, politique) mais l’idée de singularisation : pourquoi des femmes arrivent à prendre des décisions, à surmonter leur condition, et d’autres pas ?!
Selon Soukeina Bouraoui, directrice de Cawtar, il faut saluer les femmes qui s’en sont sorties parce qu’elles ont trouvé quelqu’un qui leur a tendu la main : « L’Etat a le premier devoir de défendre les plus vulnérables ; à commencer par les femmes. Et nous, au Cawtar et au Credif, nous avons le devoir de rendre nos données sur la lecture de portraits approfondis ouvertes à tous les chercheurs du monde en open data ».
Le débat évoque l’environnement hautement conflictuel, les abus imprévisibles et incontournables, les manipulations, la terreur, l’agressivité qui alimente de l’intérieur pour pouvoir combattre (face aux violences, les femmes deviennent agressives), les femmes qui donnent des leçons pour aller au-delà. L’étude a outillé les femmes pour comprendre qu’elles peuvent devenir leaders, la connexion entre violence et leadership est très importante, la violence contre les femmes qui a explosé en période de confinement Covid, la femme-leader devait « s’en sortir » pour être réellement dans le processus de leadership transformatif. Il n’y a pas de réussite sans souffrance, disent les panélistes, il faut refuser l’injustice en acceptant la lutte contre soi-même et c’est au bout que la femme-leader va naître !
Au cours de ce premier panel, une connexion a été nouée avec la Jordanie et deux chercheuses ; Meysoun Atoum et Amal Khârouf sont intervenues via Internet sur les femmes jordaniennes influentes et les mécanismes de la victoire ainsi que l’accès des personnes aux besoins spécifiques.
Comment devenir femme-leader ?
Le second panel sur « les processus de changement des femmes-leaders » montre tout de suite que Cawtar tient à documenter les expériences des projets qu’il mène, non seulement pour les bonnes pratiques et les conclusions à tirer, mais aussi sur le sujet de la femme dans les médias qui est généralement négative, au moins une présence médiocre.
La documentation de cet atelier comporte des éclairages sur certaines femmes qui ont été interrogées au sein du processus de l’étude. Les modèles sont différents, et le concept même de leadership était différent pour ces femmes qui appartiennent à leur environnement local. Lobna Najjar (chercheuse à Cawtar) présente une publication du centre sur 20 portraits de Tunisie, du Maroc et de Jordanie. Elle souligne que leurs parcours sont différents mais qu’elles se rencontrent dans l’influence, le travail sur les ressources disponibles pour en tirer le meilleur, la réussite à convaincre la société locale de reconnaître leurs mérites.
Avez-vous jamais entendu parler de Ahlem Slim, Bchira Halwani, Basma Ommezzine, Fatma Samet, Gamra Naïli, Jazia Dinari, Sofia Znati ?
Deux d’entre elles étaient présentes lors du second panel et elles ont témoigné dans un mélange de récit biographique et d’intelligence émotionnelle (sujet fort présent dans le parcours de ces femmes-leaders).
Gamra Naïli, prof de langue arabe à Jebenyana, dit sa fierté d’avoir fait connaître la production locale des femmes de sa région, avec la création d’un festival orienté femmes et d’un festival pour enfants qu’elle dit également hors zone, exactement comme Jebenyana, son fief, où le développement ne s’est jamais démarqué par une quelconque dynamique : « Je change les choses à partir de ma mission d’enseignante, surtout pour les jeunes filles, et j’aide les femmes à nouer des relations avec leur environnement, l’administration, les autorités. Quand on leur montre la voie, certaines s’illustrent ».
Jazia Dinari Bououni, pharmacienne et activiste associative, membre du conseil municipal de Redayef, se démarque dans le social et le secours ; pour elle, l’anticipation est le meilleur outil dans une société très patriarcale : « Il n’y avait rien pour les femmes ; nous voulions être le premier noyau d’un activisme féminin dans la région, avoir des espaces pour nos activités ; la directrice de la maison des jeunes nous a accueillies et nous avons créé plusieurs clubs, dont un pour les enfants autistes. Nous sommes parties de là et notre expérience se poursuit. Au moment des élections, la parité a été une occasion extraordinaire car nous n’aurions jamais pu accéder à l’autorité locale ; ce fut une expérience extraordinaire ».
Recommandations pour le sujet et l’objet
L’atelier a été couronné par des recommandations sur 3 axes.
D’abord, en matière de développement personnel et développement des relations : identifier les atouts et les mobiliser, maîtriser les émotions et s’adapter aux différents contextes, apprendre à analyser les situations, identifier les problèmes et proposer les solutions, maîtriser le réseau de relations avec ouverture/tolérance/courage, améliorer la compréhension de l’environnement, renforcer le réseautage, collaborer avec des partenaires dans le même domaine.
Ensuite, dans le développement de la gestion et direction des projets : avoir une vision stratégique, convertir les activités concrètes en objectifs et plans d’action, déployer une stratégie de mise en œuvre, capitaliser les solutions et les acquis et identifier les secteurs les plus pertinents pour les exploiter.
Enfin, dans la dimension Vision stratégique et prise de décision : connaître la législation et les décisions politiques, analyser les enjeux de l’environnement des femmes influentes et y inscrire leurs projets, identifier les réseaux d’influence et les mécanismes formant la reconnaissance, démarches de visibilité et de prise de décision appuyée sur les acteurs de la région, faire valoir les décisions des femmes influentes qui ont un effet sur leur entourage, savoir appuyer chaque projet par un réseau de personnes-ressources, savoir se positionner et positionner l’action de la femme influente au niveau public/médiatique/politique.
Il faut bien souligner que ces recommandations tiennent compte des admirables compétences personnelles des femmes dont la majorité a suivi des parcours assez vulnérables où elles ne disposaient pas des ressources de la durée.
Ce qui est étonnant, c’est que toutes ces femmes montrent une extraordinaire disposition à s’investir, déployant de l’énergie et de la persévérance pour arracher leur autonomie, tout en surprenant les autres par leur sens de l’organisation et toutes ces compétences personnelles qui transforment leur communauté. Cet atelier de Cawtar les a aidées à se révéler à elles-mêmes.