Il a un regard sur tout et il maîtrise tout du nouveau monde qui arrive. Il en est même un acteur majeur. Il ne fait pas mystère de son savoir et de son savoir-faire. 5G, connectivité à la demande, intelligence artificielle, blockchain et analyse d’une data en abondance façonneront vraisemblablement de nouvelles technologies de production, changeront la nature des emplois, élèveront les gains de productivité et créeront des produits et services inédits. Paroles d’un homme à la fibre technologique accrochée au cœur. Autant dire que la révolution industrielle est en marche. C’est avec beaucoup de lucidité, de sérénité et de rationalité que Michaël Trabbia, Chief Technology and Innovation Officer du groupe Orange et président de conseil de Sofrecom, nous entraîne dans cet univers de demain qui a déjà commencé. Une immersion dans d’infinis horizons. Lors de notre rencontre, il était heureux de venir célébrer les 10 ans de Sofrecom Tunisie. Fier qu’il était que le management de Sofrecom et ses 1000 collaborateurs entre ingénieurs et développeurs ont pu hisser la société en haut du podium des sociétés de services numériques en Tunisie. Ce X-Télécom, ancien directeur de cabinet adjoint du ministre chargé de l’Industrie et chef du pôle « filières industrielles », avant de rejoindre le groupe Orange en 2011 et le management d’Orange Belgique, nous explique comment l’innovation et les nouvelles technologies créeront de nouvelles opportunités, appuieront les entreprises dans leurs orientations stratégiques et les aideront pour aligner leurs offres commerciales aux besoins des utilisateurs en perpétuelle mutation. Il décortique les différents enjeux imposés par la nouvelle transition numérique et les innovations technologiques ainsi que les perspectives et les stratégies de développement du groupe Orange. Explorateur passionné des temps futurs, il nous fait part de sa vision de l’avenir de l’offre technologique et des modes d’adaptation des divers acteurs économiques. Avec fortes convictions et assurance, il affirme que Sofrecom Tunisie saura accompagner les organisations et les entreprises tunisiennes à épouser ces transformations et formera les compétences du futur pour préparer les métiers de demain.
Si nous nous penchions sur les perspectives du high-tech et les tendances futures des mutations technologiques, pouvez-vous nous parler des technologies disruptives qui vont changer la face du monde économique et le mode de déroulement du business ?
On assiste principalement à trois grandes ruptures technologiques : la première est autour de la l’intelligence artificielle dont on ne voit actuellement que des prémices. Aujourd’hui, ce domaine majeur est en train de se développer progressivement, mais dans le futur, il va changer radicalement la vie de tous les acteurs économiques que ce soient des particuliers ou des entreprises. Les solutions offertes par cette technologie vont pouvoir s’adapter aux besoins et expériences des différents utilisateurs : par exemple, si une personne est en déplacement à l’étranger, elle pourrait avoir une traduction automatique quand elle lit un panneau ou discute avec quelqu’un dans une langue étrangère. Quant au monde professionnel, l’apport de cette nouvelle technologie serait l’optimisation des processus du travail et la conception des outils d’aide à la décision, de suivi des projets et de développement industriel.
La deuxième rupture concerne le réseau et la connectivité : à notre ère, tout passe par le numérique et donc par le réseau, d’où l’importance d’une connectivité sous-jacente qui répond aux besoins de tous les usages de demain. Cette connectivité devrait se caractériser par un niveau de disponibilité et de résilience extrêmement fort, vu l’ampleur de son impact sur le fonctionnement de tout le pays, notamment dans un contexte marqué par la montée notable des risques de cyberattaques et la vitalité des enjeux de la cybersécurité et de la souveraineté technologique. Se doter d’une connectivité ambiante et disponible partout et à tout moment s’avère donc une exigence primordiale. Dans ce cadre, l’enjeu majeur serait la virtualisation des réseaux à travers l’adaptation des solutions de « non-logiciel » via la séparation entre la partie hardware et la partie software, ce qui nous donnerait des réseaux plus « intelligents ». Ces réseaux vont pouvoir améliorer la connectivité et offrir une gamme de solutions et de services à la demande qui s’adaptent aux différents besoins et exigences particuliers des utilisateurs, notamment avec la 5G.
L’objectif principal serait la garantie de certains usages critiques quoi qu’il se passe et la mise à disposition d’un débit minimum pour assurer un délai de transaction extrêmement bas pour les usages en temps réel, à l’instar d’un contrôle de la qualité des soudures en temps réel pour minimiser l’impact sur la chaîne de production , d’une supervision en temps réel d’un véhicule connecté tel qu’une navette autonome pour pouvoir reprendre la main à distance et trouver une solution s’il se retrouve bloqué dans la circulation par exemple, ou d’une coopération entre des robots fluide et sans risque. L’autre particularité de la connectivité est l’automatisation : la gestion du réseau sera automatisée grâce à l’intelligence artificielle. Cela permet de détecter en temps réel les problématiques du réseau dans les différents endroits et de rediriger les trafics des autres cellules pour pouvoir couvrir au maximum la zone concernée. La troisième rupture est celle de l’environnement physique augmenté, appelée autrement metaverse. Cela implique fortement la technologie de l’internet des objets (IoT). On a aujourd’hui des projets sur l’agriculture connectée où nous avons mis en place des capteurs qui nous permettent d’analyser le degré de pluviométrie et de gérer par la suite l’irrigation. Cette technologie marquerait sa présence dans plusieurs domaines comme le transport et l’industrie, etc.
Pouvez-vous nous parler du déploiement de ces technologies au sein de l’entreprise ? Quel est l’apport de ces changements dans les processus du travail et de la transformation digitale ?
Nos offres portent sur plusieurs éléments. Il y a tout d’abord la connectivité qui est considérée comme la base de tous les services. Dans ce cadre, nous visons une connectivité multidimensionnelle qui s’adapte aux différents besoins des utilisateurs. Cette connectivité peut être soit une connectivité standard, soit une connectivité « dédiée » à travers l’installation des réseaux privés sur les sites industriels. Aujourd’hui, nous avons commencé à déployer des réseaux privés 5G pour répondre aux besoins de nos clients. Nous interviendrons également dans le domaine de la collecte et de la gestion des données via l’application de la technologie de l’intelligence artificielle. Le traitement des données dans les différents domaines (agriculture, transport collectif, etc.) serait dans le cadre du respect et de la protection des données personnelles. Dans le cadre de la prestation de nos services, nous comptons collaborer avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème et des spécialistes métiers pour pouvoir concevoir des objets et des matériels connectés comme, par exemple, le véhicule connecté qui nécessite une spécialisation dans les solutions embarquées.
Votre groupe a déposé 225 brevets en 2020. Quels sont les domaines concernés par ces brevets ? Est-ce que vous avez mis l’accent sur une activité en particulier ? Et quelles sont les perspectives des usages de ces brevets ?
On a la chance de développer une activité de recherche et de développement au sein de notre groupe. On a aujourd’hui plus de 700 chercheurs qui travaillent sur plusieurs domaines que ce soit ici en Tunisie ou à l’international. D’où l’importance de la propriété intellectuelle et du dépôt des brevets pour nous, notamment dans un contexte marqué par une grande rivalité et une course agressive à la protection et à la valorisation de l’innovation. Les brevets concernent plusieurs domaines et principalement notre core business, à savoir la connectivité : on a des brevets qui font partie de la famille des brevets essentiels comme ceux dans la 4G et la 5G. Nos activités de recherche et de développement englobent également le son et la vidéo. Historiquement, on a des dépôts des brevets importants sur le nouveau codage ou le codec qui assure une qualité de son et d’image meilleure avec une consommation de débits toujours faible. Quant à l’utilisation de ces brevets, nous exploitons dans ce cadre des contrats de licence avec des tiers ou pour concevoir et développer nos propres solutions, à l’instar de celles conçues dans le domaine de la reconnaissance vocale ou le NLP (Natural Language Processing) qui permet une interaction automatique et en temps réel avec les clients.
La cybersécurité est un maillon primordial de la chaîne de valeur, comment intervenez-vous dans ce domaine et quelles sont vos solutions pour les acteurs économiques ?
Une chose est évidente : plus les réseaux sont vitaux, plus les menaces sont fortes. Aujourd’hui, le travail d’un hôpital ou d’une industrie peut s’arrêter à cause d’une cyberattaque. Notre centre Orange Cyberdéfense, leader européen en prestation de services en cybersécurité, met à la disposition de nos clients des solutions de haute qualité en matière de protection contre les cyberattaques. Nos spécialistes n’interagissent pas seulement d’une manière passive, dans le sens qu’ils interviennent après une attaque pour limiter les dégâts et remettre le système en marche, mais d’une manière active en travaillant sur le volet de la prévention et de la formation du personnel. Nous supervisons tout ce qui se passe chez le client pour pouvoir alerter et intervenir en temps réel afin de le protéger contre les cyberattaques. Conscient de l’importance de ce domaine, le groupe a fourni des efforts et mené une opération d’acquisition pour intégrer cette expertise dans la panoplie de ses services et aujourd’hui il a plusieurs filiales qui se spécialisent dans ce métier autour de Orange Cyberdéfense.
En ce qui concerne la 5G, comment est-ce que vous voyez les modalités de son déploiement ? Et c’est pour quand ?
La 5G a déjà commencé puisqu’elle est déployée dans plusieurs endroits au monde comme la Chine, les Etats-Unis et l’Europe. Orange a déjà 1,6 million de clients 5G dans six pays européens. La présence de la 5G dans ces pays apporte à nos clients un meilleur confort des usages actuels, et va permettre de développer de nouveaux usages avec un potentiel de croissance important. En France, plus d’un tiers de la population ont eu accès à la 5G en moins d’un an. Sur le continent africain et en Tunisie en particulier, on voit qu’il y a un intérêt fort pour la 5G, vu la croissance notable du trafic data aussi bien pour les besoins mobiles que pour les besoins fixes comme les réseaux fixes sont moins développés. Avec l’infrastructure de réseau en place comme la 4G, le trafic data se fait avec une grande consommation de débits et de fréquences, ce qui impacte son efficacité, d’où l’importance d’avoir une technologie plus performante comme la 5G pour maintenir la qualité de nos réseaux et pour s’aligner sur la croissance de la data et, par conséquent, la croissance des entreprises et de l’économie tunisiennes. Ce que nous constatons, par ailleurs, c’est que contrairement à la technologie de la 4G sur laquelle nous avons accusé un retard de quatre ans par rapport à l’Europe, avec la technologie 5G nous allons être en retard d’un ou de deux ans au maximum. Chez Orange, nous avons effectué des tests sur la 5G avec des cas d’usage réels. En plus de sa forte capacité, de débits plus élevés, d’une latence réduite et d’une meilleure efficacité énergétique, la 5G permettra de réaliser l’objectif de la connectivité ambiante avec ses diverses utilisations comme la connectivité entre les robots. Cela développera davantage les services offerts aux entreprises.
Quel est l’argument sur lequel vous allez appuyer pour convaincre l’entreprise de basculer de la 4G à la 5G ? Est-ce qu’il y a des métiers ou des spécialités qui vont être impactés significativement par ce changement ?
Le premier élément est la croissance du trafic data. Au fait, nous sommes tous des utilisateurs de data. La connectivité n’est plus limitée aux canaux classiques comme les SMS, les gens optent de plus en plus pour l’utilisation de data via des smartphones. Cela nécessite le déploiement d’une nouvelle technologie qui met à la disposition des utilisateurs des débits plus qui sont aujourd’hui trois à quatre fois plus élevés que la 4G. Le deuxième élément est que l’on travaille aujourd’hui avec des secteurs comme celui de l’automobile qui présente des besoins sur les cas d’usage de l’industrie du futur où on aura des robots qui sont connectés à la 5G pour être plus flexibles et des techniciens qui gèrent et fixent les paramètres des outils avec une interaction à distance avec un expert métier et en temps réel. Un autre cas d’usage est le computer vision : avec des caméras haute définition qui vont filmer tout ce qui se passe en temps réel et l’analyser grâce à l’intelligence artificielle. Cette solution est valable par exemple pour du contrôle qualité car elle permet la détection des défauts et l’intervention en temps réel, tout en maîtrisant les rebuts et déchets. Un autre déploiement de la 5G concerne le travail à distance, notamment dans le BTP. L’opérateur qui, habituellement, monte en haut de la grue, avec tous les risques afférents, pourra utiliser son cockpit en bas de la grue et disposer de la même vision à 360° grâce à une latence très basse. Aussi, il y aura, par exemple, la possibilité de piloter des bateaux à distance pour dépolluer les ports ou même des robots à distance.
Est-ce que la coexistence entre la 5G et d’autres protocoles de communication comme la 4G ou le LoRa sera possible ?
Dans un premier temps oui, et ce n’est pas parce que nous avons lancé la 5G que nous allons écarter les technologies précédentes. On a aujourd’hui la 2G, la 3G et la 4G qui coexistent et bientôt la 5G. A terme, se posera la question de la migration des technologies les plus anciennes, mais au début il est très important que les clients continuent à accéder à nos réseaux sans avoir à changer leurs téléphones. Donc, la 5G va être une option pour les utilisateurs et non pas une obligation. La migration complète des technologies pourra s’envisager lorsque les utilisateurs auront suffisamment basculé vers la 4G et la 5G.
Donc, à terme, tous les services de l’IoT passeront par la 5G ?
Il est clair que l’IoT est l’une des applications phares pour lesquelles la 5G a été pensée. A terme, avec l’ensemble de ses composantes, la 5G sera à même de répondre à tous les usages IoT, des plus contraints énergétiquement jusqu’aux plus exigeants en termes de criticité. En même temps, l’IoT dispose dès aujourd’hui, au travers des technologies LoRaWAN et 4G basse consommation (LTE), de solutions de connectivité matures et pérennes, à même de répondre aux besoins de la ville intelligente, du secteur de l’énergie, ou de l’agriculture. Ces technologies continueront d’être utilisées parallèlement à la montée en puissance de la 5G, dont les applications se concentreront dans un premier temps sur les usages critiques, en particulier dans l’industrie. »
Est-ce que vous pensez que cela va être faisable et rentable pour les opérateurs ?
Cela dépendra des attentes du pays en question. À chaque attribution de fréquence, on a affaire à ce genre de débat. Souvent, les pays se retrouvent face à un arbitrage entre l’enjeu financier et celui économique. Cependant, il faut garder en tête que cette technologie fait partie de l’infrastructure nécessaire pour le développement de l’économie de chaque pays. Et là, il faudrait être capable de faire le bilan et de ne pas tomber dans le piège des concessions, comme ce fut le cas avec plusieurs gouvernements. Les pays européens, par exemple, ont bien fait l’étude de rentabilité de cette technologie et ils ont pour leur majorité lancé la 5G.
Parlons de réchauffement climatique, nous savons qu’Orange est très active dans le processus de réduction de l’émission de CO2. Quelles sont les actions que vous comptez entreprendre?
Je confirme que cette question est une préoccupation majeure pour nous et se situe au cœur de notre plan stratégique. Orange s’est fixé un objectif ambitieux d’être NET ZERO CARBONE en 2040, soit dix ans avant l’objectif de l’accord de Paris. Cela implique la réduction des émissions directes et indirectes de 80% et de compenser les émissions résiduelles à travers plus d’efficacité énergétique à travers le déploiement de réseaux plus efficaces communément appelés GREEN ITN comme la 5G qui en 2025 consommera dix fois moins d’énergie que la 4G de 2019 par gigaoctet. L’utilisation des smartphones est aussi considérée comme un facteur augmentant l’émission de CO2. Dans ce sens, nous travaillons sur le développement de l’économie circulaire en essayant de trouver des solutions pour prolonger la durée de vie des smartphones et des outils en cherchant des pistes pour leur redéploiement et réutilisation. Nous visons également des partenariats pour la mise en place des fermes solaires malgré les contraintes réglementaires auxquelles on fait face en Tunisie. Notre objectif est de miser sur les ressources renouvelables à concurrence de 50% et nous cherchons, pour y arriver, différents acteurs dans le cadre de synergies, à l’instar des projets de PPA.
Concernant le business model d’Orange et les perspectives des activités, quelles sont les niches sur lesquelles vous travaillez ? Est-ce qu’il y a des spécialités que vous comptez viser ? Et quelle est votre stratégie pour l’Afrique ?
Le premier relais de croissance est la data et sur ce volet, Orange se positionne comme un leader avec des perspectives de croissance importantes. Les autres relais de croissance permettent l’accès à l’internet grâce au réseau mobile et aussi les services financiers. De plus, on a des opportunités de développement dans ces activités-là au sein des entreprises comme dans le domaine de la cybersécurité et autres branches de l’IT. Sur le continent africain, j’estime qu’Orange est très engagée et impliquée dans cette région avec toutes les opportunités de croissance et les risques qu’elle présente. Notre implication est stratégique et long-termiste : nous croyons fort au potentiel africain et nous visons à développer davantage nos activités dans la région MENA. Nous faisons du développement dans 17 pays du continent. Ceci nous a permis de doubler la part de l’Afrique dans le groupe sur la dernière décennie et notre ambition est de réitérer et de la doubler encore. Notre intervention ne se limite pas à la prestation de services et s’étend à l’engagement sur la RSE : nous estimons devoir, en tant qu’acteur économique, jouer un rôle social très important dans la région en assurant une inclusion sociale et numérique. Nous investissons dans la formation et la valorisation du capital humain et la contribution à l’émergence de nouvelles générations de leaders africains et entrepreneurs avérés. Dans le groupe Orange, nous nous sommes oeuvré pour faire émerger une classe dirigeante originaire de la zone et qui a un ancrage territorial très fort.