Les besoins en financement extérieur de la Tunisie sont nettement plus élevés que ceux de ses voisins. C’est ce qu’explique le panorama semestriel de l’Agence Française de Développement pour le premier semestre 2021. Alors même que certains pays commencent à sortir de la crise Covid, la lourde dette tunisienne et le fort ralentissement de l’industrie touristique pèsent d’un poids conséquent sur les finances du pays.
Tourisme : même si l’activité a chuté, la diversification de l’économie tunisienne a sauvé le pays d’une chute encore plus dure
L’industrie touristique a été mise à l’arrêt par la fermeture des frontières et le confinement des populations, affectant dix-sept destinations africaines en proportion du poids du secteur dans leurs économies. Les destinations touristiques d’Afrique du Nord, dont les économies sont relativement diversifiées, sont modérément exposées, avec une contribution de moins d’un quart des exportations de biens et services du Maroc et de l’Égypte, et de l’ordre de 10 % en Tunisie (contre 46 % pour l’Éthiopie). À l’inverse, la vulnérabilité des petites économies insulaires a une nouvelle fois été mise en exergue. La chute de la fréquentation touristique, qui génère les deux tiers des recettes en devises des Seychelles, a creusé le déficit courant à -29 % du PIB en 2020. L’enchaînement des vagues épidémiques, notamment dans les pays avancés pourvoyeurs de touristes, limite fortement la reprise du secteur en 2021 et son redressement sera très progressif.
Dette extérieure : la Tunisie contribue à la dette de moyen et long terme
L’amortissement de la dette extérieure de moyen et long terme (MLT) alourdit significativement les besoins de financement africains, avec 73 Mds USD en 2020 puis 65 Mds USD en 2021. Les trois quarts de ces montants concernent les pays en développement de l’ASS. L’Égypte concentre la moitié des échéances de l’Afrique du Nord, contre 29 % pour le Maroc.
En mettant de côté les flux de remboursement de dettes de court terme, les besoins en financement extérieur (BFE) attendus des pays africains s’élèvent à plus de 170 Mds USD par an entre 2020 et 2022, soit des flux annuels équivalents à 6,8 % du PIB continental en moyenne, dont environ 60 % au titre des déficits courants et 40 % au titre du remboursement de la dette extérieure. L’ampleur des besoins est comparable de part et d’autre du Sahara, rapportée aux PIB de ces deux sous-régions.
La Tunisie se démarque au sein de l’Afrique du Nord par des besoins significativement plus élevés que ceux de l’Égypte (6 % du PIB en 2020-21), du Maroc (7 % du PIB en 2020) ou de l’Algérie (9 % du PIB en 2020). La hausse de l’amortissement de la dette extérieure (8 % du PIB en 2021 contre 6 % du PIB en moyenne en 2017-2020) porte le BFE de la Tunisie à 17 % du PIB en 2021 (contre 13 % en 2020). Il devrait rester élevé dans les prochaines années, avec une projection à 14 % du PIB en moyenne entre 2022 et 2025.
La Tunisie a dû puiser dans ses réserves
La situation est contrastée en Afrique du Nord. Contrairement à l’Égypte et au Maroc qui sont déjà parvenus à émettre post-crise et qui devraient retourner sur les marchés en 2021 et 2022, la Tunisie s’est retrouvée dans une position plus délicate compte tenu des inquiétudes planant sur la soutenabilité de sa dette publique extérieure. Alors que deux émissions d’eurobonds de 500 Mns USD chacune arrivaient à maturité cet été, le pays a dû puiser dans ses réserves dans l’attente d’un financement FMI. Cette option reste coûteuse pour les économies africaines : les émissions à maturités comprises entre 10 et 15 ans réalisées entre 2018 et 2020 l’ont été avec un coupon de plus de 7,5 % en moyenne (AFD, 2021). En 2021, si les spreads tendent à retrouver des niveaux pré-crise, ils restent élevés malgré un environnement mondial de liquidité et de taux favorable, reflétant l’appréciation du risque par les marchés. Dans ce paysage, les spreads astronomiques de la Zambie et l’Éthiopie font figure d’exception : les restructurations de leur dette dans le cadre commun du G20 devrait entraîner celle des eurobonds.
De nombreux pays africains ont été contraints de puiser dans leurs réserves de devises afin de combler le manque en 2020, de sorte que les réserves (hors or) des pays d’ASS ont chuté de 16,9 Mds (FMI, 2021c). En Afrique du Nord, la pandémie a amplifié une contraction des réserves, engagée pré-crise, à hauteur de -34,4 Mds USD en 2020, soit une perte équivalente à 16 % des réserves de 2019. Les économies dépendantes du tourisme (-16 % en Égypte, -9 % au Cap-Vert) et certains pays pétroliers (-31 % en Libye, -23 % en Algérie, -17 % en Angola) ont enregistré des baisses significatives, alors même que ces derniers abordaient la crise avec des réserves déjà affectées par le retournement des cours de 2014. À l’inverse, de moindres factures d’importations et les financements de la communauté internationale ont renforcé significativement la liquidité externe d’une dizaine de pays (+23 % au Rwanda, +37 % au Maroc, +46 % aux Comores). Mais cette hausse des réserves de change apparaît en trompe-l’œil puisque génératrice de dette et/ou associée à une chute temporaire de la demande intérieure. En outre, une reconstitution des réserves ne signifie pas pour autant que celles-ci sont adéquates. En Tunisie, une nette accumulation engagée dès 2019 (+21 % en 2020), permise par l’appréciation du taux de change et le soutien des bailleurs, a porté les réserves à un niveau historiquement élevé, malgré tout insuffisant pour couvrir l’intégralité des engagements à court terme du pays.