L’App Store pourrait ne plus jamais être le même. Le procès entre Epic Games, le studio américain de développement et distributeur de jeux vidéo qui gère Fortnite, et la multinationale Apple connaît un nouveau rebondissement.
La décision rendue vendredi par la juge Yvonne Gonzalez Rogers dans le procès Epic contre Apple impose à Apple de donner à tous les développeurs la possibilité de pointer directement vers d’autres systèmes de paiement, en plus de son propre système d’achat in-app (IAP). Cette décision va droit au cœur des quelque 19 milliards de dollars que l’App Store rapporte chaque année à Apple, car, en fin de compte, l’App Store tire l’essentiel de ses revenus des achats in-app à l’intérieur des jeux en téléchargement gratuit.
Ce n’est pas un coup de massue total au cœur du jardin clos d’Apple ; la décision maintient toujours l’App Store comme le seul endroit où les utilisateurs peuvent se rendre pour acheter ou télécharger de nouvelles applications, et ne remet pas en cause la part de 30 % de ces achats qui revient à Apple. Enfin, la décision n’a pour l’instant qu’un impact technique sur les entreprises basées aux États-Unis, qui, selon Bloomberg, ne représentent qu’environ 6,3 milliards de dollars (soit environ un tiers) des recettes mondiales de l’App Store d’Apple,
Mais pour les entreprises qui créent des applications gratuites avec achats in-app, des applications par abonnement et pratiquement tout type d’application ou de service qui ne nécessite pas de paiement initial pour acheter l’application elle-même, c’est une toute nouvelle donne.
L’App store est une entreprise dont le sommet est remarquablement lourd
Un fait souvent négligé concernant l’App Store est qu’il s’agit d’une entreprise dont le sommet est remarquablement lourd. Il suffirait de quelques développeurs pour avoir un impact énorme sur l’activité d’Apple, qui représente environ 19 milliards de dollars par an.
Selon des rapports de SensorTower cités par le New York Times en 2020, plus de 95 % des recettes totales de l’App Store proviennent des 2 % de développeurs les plus importants, les 98 % de développeurs restants gagnant moins d’un million de dollars par an (ce qui leur permet de bénéficier de tarifs réduits dans le cadre de l’App Store Small Business Program d’Apple).
Et, comme le révèle l’injonction, la grande majorité des facturations de l’App Store provient des jeux. Les jeux représentent environ 70 % des recettes de l’ensemble de l’App Store et 98 % des recettes des achats in-app. L’App Store est une boutique de jeux, et plus particulièrement une boutique de jeux massifs et gratuits qui tirent la quasi-totalité de leurs revenus des articles achetés dans l’application.
L’App store est une boutique de jeux, avec 98% d’applications de jeu dans le store
Un rapide coup d’œil aux listes des applications les plus lucratives de l’App Store semble confirmer ces chiffres : presque tous les jeux figurant sur la liste sont des applications gratuites qui dépendent exclusivement des achats in-app pour gagner de l’argent (à l’exception de Minecraft, qui est une application payante avec des achats in-app).
Il ne faudra pas non plus que de nombreux clients changent d’avis pour que les gains d’Apple fassent des vagues. Comme l’explique la décision, les 70 % des recettes de l’App Store émanant des jeux proviennent de seulement 10 % de tous les utilisateurs de l’App Store ; plus de 80 % des comptes clients ne génèrent “pratiquement aucun revenu”, que ce soit pour Apple ou pour les développeurs.
Cela suppose, bien entendu, que les développeurs soient disposés à adopter l’option de modes de paiement alternatifs qui sera bientôt ajoutée à la date du 9 décembre fixée par le tribunal. Et ce, en attendant que d’éventuels appels mettent cette décision en suspens – Epic a déjà annoncé son intention de faire appel.
Il y a beaucoup de détails qui devront être réglés. Les développeurs pourront-ils proposer un bouton PayPal ou Stripe, ou devront-ils créer un lien vers des sites externes ? Apple pourrait-elle exiger que les développeurs facturent le même prix pour les paiements tiers, ou les développeurs proposeront-ils des prix réduits pour ne pas avoir à payer la part d’Apple ?
Ces questions sont appelées à être résolues en fonction des cas qui se présenteront. Les revenus de l’Apple Store pourraient être totalement bouleversés par cette nouvelle mesure de paiement.