Une population de 1.4 milliard d’habitants et qui devrait passer à 4.2 milliards d’ici 2100 selon les statistiques de l’UNICEF, le continent africain présente incontestablement un gisement de croissance et de développement économique pour les pays qui marqueraient leur présence sur terrain et tisseraient des liens diplomatiques très forts avec les gouvernements des pays cibles.
Les pays de l’Afrique subsaharienne ont affiché un taux de croissance moyenne de 6% sur la dernière décennie. Conséquence directe, des avancées significatives ont été observées dans tous les secteurs : la scolarisation a augmenté de 50%, les pandémies régressent dans des proportions inédites, un chiffre de mortalité infantile en chute libre et un fort accès aux technologies d’information et de communication grâce à la généralisation de l’Internet.
L’amélioration des fondamentales conjuguées à une richesse naturelle inestimable font de cette région un vivier de bénéfices pour des milliers de grands groupes et de PME. Longtemps confinée à une seule coopération économique avec son partenaire classique à savoir l’Union européenne, la Tunisie a marqué une présence timide en Afrique avec des échanges commerciaux très limités et concentrés principalement sur l’Algérie, la Libye et le Maroc. Or, de par son emplacement géographique, son histoire et ses spécificités culturelles, la Tunisie devrait être parmi les pays les mieux placés pour gagner du terrain sur le continent africain et arracher la part du lion en matière d’investissements directs et des exportations.
Ces dernières années, les tentatives de se pencher sur le marché africain et de diversifier le panier de la coopération commerciale ont été multipliées afin de réduire le gap et de mieux asseoir les bases du partenariat Sud-Sud. Un long chemin reste tout de même à parcourir.
L’Afrique : des secteurs à large débouchés pour les entreprises tunisiennes
Presque les trois-quarts (73.7%) des exportations tunisiennes s’adressent vers l’Union européenne contre 2.7% seulement qui sont destinées au marché de l’Afrique subsaharienne. Ce constat qui taxe lourdement le champ de la coopération économique de la Tunisie et creuse sa dépendance commerciale appelle à une révision en profondeur de la nature des liens établis avec l’ensemble des pays africains pour plus d’intégration et de développement de partenariats. Des partenariats qui visent une population de 1.4 milliard offrant une main d’œuvre abondante et un potentiel de croissance à dénicher.
L’une des meilleures opportunités à saisir serait le secteur de l’énergie, notamment l’énergie renouvelable. Selon les statistiques de l’Agence Internationale pour les énergies renouvelables (AIE), près de 650 millions de personnes ne seront pas capables d’accéder à l’énergie d’ici 2030 si aucun engagement fort ne soit pris. La capacité de l’Afrique en matière des énergies renouvelables pourrait atteindre 310 GW d’ici 2030, ce qui placerait le continent au premier rang de la production de l’énergie renouvelable dans le monde grâce à son potentiel quasi-illimité en énergie solaire (10 TW), l’abondance en matière d’énergie hydroélectrique (350 GW), d’énergie éolienne (110 GW) et de sources d’énergie géothermique (15 GW).
L’expérience marocaine en la matière représente une source d’inspiration : le Royaume ne vise pas moins de 52% d’énergie renouvelable dans son mix énergétique en 2030. Dans ce cadre, il a été créé le plus grand complexe solaire thermodynamique au monde avec une capacité de 580 MW, dont 72 MW en photovoltaïques. L’Afrique du Sud fait également partie des pays africains leaders en matière d’énergie solaire avec l’inauguration en octobre 2014 du parc photovoltaïque de Jasper.
L’établissement des partenariats avec ces pays en vue d’une meilleure coopération et d’échange d’expertise afin de généraliser l’expérience de l’exploitation des énergies renouvelables sur tout le continent semble être une piste à conquérir surtout avec la demande accrue de la population et l’attraction des investissements directs étrangers dans le domaine de l’électrification par bon nombre de pays africains à l’instar de l’Ouganda qui gagnait en attractivité grâce à la mise en place d’un cadre légal et des efforts pour favoriser le climat d’affaires, lutter contre la corruption et la planification énergétique. Le secteur des technologies de l’information et de la communication ne manque pas lui aussi d’opportunités d’investissement, jusqu’ici peu exploitées.
Ainsi, le pourcentage des habitants de zones rurales ayant accès à Internet est passé de 15.7% en 2015 à 25.6% en 2019 selon les statistiques de l’OCDE. Le nombre de startups opérant dans le secteur du high-tech a augmenté de 256% en passant de 160 entreprises en 2011 à 570 entreprises en 2020. Selon le rapport Google-IFC intitulé «e-Conomy Africa», le montant des capitaux propres investis dans les startups numériques a augmenté de plus de 350 millions de dollars en 2020, témoignant du potentiel de la croissance dont jouit ce domaine. L’importance de la transformation digitale et l’investissement dans les technologies modernes a été surtout reconnue lors du combat contre la pandémie de Covid-19 où les ministères de l’Éducation de 27 pays africains ont eu recours aux plateformes d’apprentissage en ligne efficaces à l’intention des étudiants.
Aussi, la plupart des banques centrales africaines ont fortement encouragé la population à utiliser les services de paiement digital. Nous estimons, dans ce cadre, que les besoins de l’innovation et des produits digitaux vont continuer à accroître dans tous les aspects de la vie quotidienne du citoyen africain et le secteur du high-tech va connaître un essor spectaculaire principalement avec la prise de conscience de l’impact de la technologie, le développement de l’infrastructure de la télécommunication, l’abondance de ressources humaines et l’adaptation du cadre légal aux nouvelles spécificités économiques.
C’est le moment pour les entreprises tunisiennes d’aller sur le champ, mener des campagnes de prospection et renouer des accords de coopération avec des institutions et des startups opérant dans le secteur des TIC. Avec l’abondance des terres arables non cultivées (près de 60% des terres arables de la planète) et la main d’œuvre qualifiée grâce à l’amélioration de l’éducation et la généralisation des produits technologiques, le secteur de l’agrobusiness constitue un enjeu stratégique pour l’ensemble du continent. Selon les chiffres de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), le marché de l’agrobusiness devrait représenter plus de 1 000 milliard de dinars à l’horizon de 2030.
Or, le continent importe en moyenne 35 milliards de dollars de produits alimentaires par an et on s’attend à une explosion de la facture à 110 milliards de dollars d’ici 2025. Par ricochet, des efforts devraient être déployés pour améliorer les capacités de production du continent et pousser les grands groupes et les PME à se pencher sur cet énorme pilier de croissance. D’autant plus que selon les estimations de la Société financière internationale (SFI), les PME et les petits exploitants qui seront capables de saisir les opportunités d’investissement offertes dans ce secteur et arracher des parts du marché auront la possibilité de gagner annuellement jusqu’à 1000 milliard de dollars à partir de 2030.
C’est là où nos entreprises pourraient également agir et concrétiser des coopérations pour exploiter la richesse disponible. Des opportunités d’investissement susceptibles de nourrir l’Afrique et de la rendre le premier exportateur des aliments à l’échelle mondiale. Les pays africains représentent aussi un refuge et une planche de sauvetage pour les entreprises opérant dans le domaine du BTP et de la promotion immobilière. Aujourd’hui, la densité de la population pèse lourd sur le marché de l’immobilier et surtout sur le segment résidentiel: 17 pays ont un déficit d’1 million d’unités. Le déficit au Kenya a augmenté de 200 000 unités par an, 178 000 en Afrique du Sud et 400 000 en Éthiopie.
L’investissement dans l’immobilier résidentiel représente encore un « océan bleu » pour le continent. Avec une assise foncière considérable et un développement notable de la notion de la ville durable, les entreprises tunisiennes frappées par la crise de l’immobilier en Tunisie pourraient trouver leur remède en Afrique subsaharienne en exploitant les terrains disponibles et arracher les opportunités offertes par l’aménagement urbain dans plusieurs pays notamment dans la construction des unités résidentielles et hôtelières. Un grand champ d’innovation est mis à la disposition des acteurs dans ce domaine à travers le développement de la notion du PROTECH qui associe immobilier et technologie (Smart cities, économie collaborative, Contech, etc).
Ce secteur a atteint 4.6 milliards USD en 2019 contre 20 millions USD en 2008 (Étude Knight Frank’s Africa Report 2020-2021). Les grands groupes spécialisés dans l’immobilier classique pourraient tirer profit de niche et nouer des partenariats avec les compagnies qui offrent des solutions technologiques innovatrices pour lancer de nouveaux produits en phase avec le développement du secteur.
Conquérir l’Afrique : diplomatie économique, partenariat et conventions bilatérales
Plusieurs tentatives ont été menées pour activer la diplomatie économique à travers des visites officielles organisées par les gouvernements successifs afin d’établir des liens et renforcer les pistes de collaboration bilatérales. L’adhésion de la Tunisie à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) constitue un pas important dans l’effort de l’intégration africaine et de l’ouverture des perspectives de partenariats. Cette convention ouvrira les portes aux entreprises tunisiennes pour conquérir les marchés africains et faciliter la libre circulation des marchandises et services en levant les barrières à l’entrée et les freins d’accès aux régions présentant un potentiel de développement.
Néanmoins, la signature de ce genre d’accords régionaux devrait être appuyée par un cadre institutionnel solide et capable de déployer les ressources nécessaires pour concrétiser les partenariats et récolter les fruits des conventions bilatérales. Des représentants des CEPEX devraient être présents et actifs dans tous les pays avec un suivi rapproché de leurs activités. La multiplication des Think tanks qui travaillent sur l’intégration tuniso-africaine et œuvrent pour renforcer la collaboration économique entre la Tunisie et les pays africains en servant de passerelle entre les investisseurs tunisiens et leurs homologues étrangers.
Aussi, le travail en collaboration avec les autres pays et la pénétration collective des marchés africains sous forme de consortiums et de joint-ventures mis en place entre les acteurs économiques tunisiens et les entreprises étrangères constituent une piste à saisir en vue d’une meilleure coopération et échange d’expertise : nous rappelons dans ce cadre le partenariat établi par la GIZ et le gouvernement tunisien en 2017 pour encadrer les PME tunisiennes et préparer le terrain d’une collaboration avec leurs homologues allemandes dans le but d’accéder aux marchés africains et développer des bases solides de partenariats.
Ainsi, la plateforme mise à la disposition des PME tunisiennes a permis de nouer des contacts et d’accéder à l’information commerciale à travers la tenue de foires économiques, de voyages d’affaires et de rencontres B2B entre les acteurs tunisiens et leurs homologues allemands et africains. La généralisation d’une telle expérience apportera certainement ses fruits en termes de facilitation d’accès aux investissements bilatéraux et du développement de la croissance des différents acteurs économiques.