Tant épinglé par les rapports nationaux et internationaux et taxé d’être un moteur des inégalités sociales en Tunisie, le système fiscal tunisien est actuellement sous les microscopes des commissions techniques du fonds monétaire international. Une refonte en profondeur de ce pilier du développement semble être une condition sine qua non pour l’assainissement des finances publiques et la relance de l’économie.
Rappelons que notre système souffre de la contraction des recettes fiscales, surtout en 2020 suite à l’effondrement de l’activité économique, de la lenteur des procédures de recouvrement des créances, et de la fuite fiscale estimée à 815 millions de dinars selon un rapport publié par l’ONG la GLOBAL ALLIANCE FOR TAX JUSTICE en 2020 et dont 257 millions de dinars sont dus au dysfonctionnement de l’impôt sur les sociétés. Le plan d’actions élaboré par le gouvernement est venu apporter quelques pistes de réformes afin de remédier à ces défaillances qui grèvent la performance fiscale de l’État depuis des décennies.
Piste 1 : Assouplissement des procédures de collecte et de recouvrement des créances fiscales
Le chantier commence par la préparation du cadre institutionnel à travers la création d’une agence pour la fiscalité, la comptabilité publique et le recouvrement. Cette agence permettra d’optimiser et d’accélérer le recouvrement des créances fiscales surtout celles faisant l’objet de contentieux judiciaires à travers la simplification et l’assouplissement des procédures de suivi. Ainsi, et dans ce cadre, l’État compte accorder des facilités de paiement et une amnistie des pénalités fiscales dans l’objectif de collecter une somme de 1 000 MTND sur les sept prochaines années.
La deuxième vocation de l’agence est d’augmenter la capacité de l’État à générer des recettes fiscales supplémentaires en misant sur des moyens humains encadrés et formés et une politique de rémunération indexée sur la performance en matière de collecte d’impôts.
L’apport phare du plan d’actions reste la digitalisation du système de déclaration d’impôt via la généralisation de la télédéclaration et télépaiement de l’impôt et de taxes. Une mesure que nous estimons cruciale pour tous les acteurs économiques dans le sens où elle va simplifier, rendre plus efficientes les modalités déclaratives, favoriser l’inclusion financière et la transparence.
Une stratégie dont l’efficacité reste tributaire de la capacité de l’État à mobiliser les ressources nécessaires surtout dans un contexte d’austérité budgétaire, à créer une synergie au sein du capital humain en charge de la mission de la collecte des impôts et surtout à imposer l’application de la loi. Faut-il rappeler que les agents du contrôle des impôts avaient entamé une grève générale, depuis le 29 avril suite au versement d’une prime minorée de 25% seulement par rapport à 2019 à cause de la crise épidémique et la baisse de la recette fiscale collectée ?
Piste 2 : Élargissement de l’assiette fiscale de la TVA et la révision des taux appliqués
Étendre le champ d’application de la TVA à un maximum de produits et de contribuables et répartir les taux appliqués entre le taux de droit commun de 19% et le taux minoré de 7%. L’impact de ces mesures diffère selon le secteur économique : Ceux qui vont bénéficier d’une réduction du taux d’imposition verront la pression fiscale s’alléger et par conséquent, leur performance s’améliore si la situation macroéconomique se redresse dans les années à venir. En revanche, ceux qui seront assujettis à des taux majorés verront leurs chiffres, toutes choses égales par ailleurs, se dégrader.
La suppression du taux de 13% appliqué actuellement pour les ventes des immeubles à usage d’habitation acquis auprès des promoteurs immobiliers et le choix du nouveau taux d’imposition décideront du sort du secteur de la promotion immobilière qui croule sous les charges fiscales et la hausse du coût de la production et la baisse des ventes depuis des années. L’augmentation du taux de TVA de 6 points serait le dernier clou dans le cercueil de ce secteur à forte capacité d’employabilité.
Piste 3 : Révision des taux de l’IS
L’instauration de l’impôt sur les sociétés à deux taux 10% et 15% et la suppression du taux de 35%. Les réformes traduisent une volonté de simplifier le système d’imposition des sociétés et de le rendre plus harmonisé. Les établissements de crédits, les compagnies d’assurance, la grande distribution, les concessionnaires automobiles et les opérateurs de télécommunication ne seront plus soumis à un taux de 35% mais plutôt à une redevance de 2% sur les chiffres d’affaires. Une recette fiscale, à priori, considérable vu la capacité de résilience et de génération des bénéfices dont jouissent la majorité des acteurs opérant dans ces domaines. Néanmoins, le gain potentiel d’impôt dépendra de la performance future de ces secteurs et des changements macroéconomiques.
Piste 4 : Révision du régime forfaitaire
La réforme tant attendue et qui faisait controverse chaque année lors de la discussion des lois des finances est celle du régime forfaitaire peu équitable et non performant. Rappelons que la refonte de ce système a été déjà prévue dans le projet de la loi des finances pour l’année 2021 : la suppression du régime forfaitaire qui retient le chiffre d’affaires comme assiette de l’impôt et le passage à un régime réel où l’assiette d’impôt constituée de la marge nette (définie légalement et reflétant la réalité économique de différentes branches d’activité) est soumise au barème de l’impôt sur le revenu prévu par l’article du code de l’IRPP et de l’IS. Un régime d’imposition simple sera instauré au profit des microentreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 300.000 DT sous condition de tenir une comptabilité. Aussi, l’accélération de la mise en place des caisses enregistreuses dans les commerces qui vendent des produits de consommation sur place.
Autant ces mesures permettraient à l’État de collecter une recette fiscale qui reflète la performance réelle de l’activité imposée, autant elles vont pénaliser la profitabilité des personnes assujetties qui souffrent déjà de répercussions de la crise épidémique : l’augmentation de l’imposition conjuguée à la levée des subventions sur l’énergie et les produits alimentaires (fléchissement de la demande suite à la hausse des prix ) vont engendrer des mutations structurelles au niveau du business modèle de plusieurs activités commerciales.
Piste 5 : Révision du barème de l’IRPP
La bonne nouvelle du plan du gouvernement est réservée aux personnes physiques qui verront leurs revenus nets augmenter suite à la baisse de l’IRPP : le plafonnement de l’imposition à 25%, l’augmentation de la tranche exonérée, la diminution du taux moyen effectif de deux points ainsi que la révision des déductions communes. Une mesure dont l’effet risque d’être neutralisé par la levée de la compensation et l’envolée vertigineuse des prix qui en résulterait.