Si le secteur des assurances a été singulièrement sollicité partout dans le monde sous le poids de la pandémie du Covid-19, il a montré qu’il avait de la répartie mais qu’il devait dorénavant se poser beaucoup de questions : Jusqu’où peut-il aller pour faciliter et simplifier le parcours client ? Comment préserver le principe de confiance ? Comment évoluer ? Que pourrait apporter le digital ? Quelle complémentarité entre digital et humain? Quels autres leviers pour mieux s’adresser à la clientèle Corporate ? Quelles sont les solutions pratiques d’assurances pour les TPE et les professionnels ?
« Le risque est là et nous sommes prêts à le couvrir »
C’est pour donner des éléments de réponse à ces interrogations que Le Manager et Ami Assurances ont organisé un Webinaire, lançant ainsi le débat sur le rôle des produits d’assurance dans la création de valeur pour les TPE et les professionnels. En effet, ce sont justement les très petites entreprises (TPE) qui constituent l’essentiel de notre tissu économique.
D’entrée de jeu, Faïçal Hedda, DC et chef du pôle commercial d’Ami Assurances, assure : « Nous avons pour les TPE et les professionnels (segment où nous sommes leaders) des couvertures en Légo, des solutions utiles packagées adaptées à toutes les activités (dégâts des eaux, bris de glace, responsabilité civile…). Le risque est là et nous sommes prêts à le couvrir, c’est notre travail. En bloc, il s’agit de multirisques Ami Pro avec des produits qui couvrent tous les imprévus en gardant en tête que l’être humain, sa famille et son activité sont l’essentiel pour nous.
Ami a été la première à rendre des capitaux de plusieurs millions de dinars rapidement disponibles dans cette perspective ». Pour étayer son propos, Hedda rappelle que, depuis le 23 mars 2020 quand le gouvernement tunisien a annoncé le confinement total, Ami Assurances a été l’une des premières compagnies à essayer de mettre en place des relais pour maintenir les contrats en vigueur, même ceux dont la date a expiré en continuant à payer les sinistres. Ensuite, Ami Assurances et d’autres compagnies ont mis en place le système qui permet à leurs clients de payer de chez eux, prenant l’engagement de leur faire parvenir leurs attestations.
2 Musts : l’humain et le digital
Affinant la réflexion, Sana Atig, – Directeur Deloitte Conseil Tunisie-Leader Assurance, estime qu’il faudrait dorénavant substituer l’approche client à l’approche contrat : « Il faudrait déployer le niveau opérationnel pour appréhender à la fois la sphère professionnelle et personnelle. Dans ce sens, il faut collecter la data qui nous permet d’être plus précis pour les besoins du client avant de restructurer l’offre avec une tarification dynamique ». Selon elle, la couverture des risques n’est plus suffisante, nous avons besoin de prévention, et surtout de muer d’un agent-vendeur à un agent-conseiller. Les compagnies doivent investir pour que les agents s’imprègnent des métiers de leurs clients.
Elle estime que l’amélioration de la réponse aux TPE et aux professionnels passe par une concertation de l’ensemble du secteur sur la manière de les aider: « On ne peut continuer à gérer certaines choses sur le modèle du père de famille, la terminologie juridique est à vulgariser, il y a beaucoup à faire de la part des réseaux pour expliquer tout cela… C’est là que la technologie est très importante pour des mises à jour, des paiements en ligne, des facilités à mettre en place ». Autant dire que le secteur des assurances ne sera plus jamais le même en Tunisie (comme dans le monde) après la pandémie compliquée par une double crise sanitaire et financière.
Selon le co-fondateur de l’assurtech Dqlick, les assureurs se sont rendus compte que la Covid-19 les a obligés de se rappeler qu’ils sont au 21ème siècle et que leur clientèle attend d’eux trois grands engagements : investir dans l’innovation, impliquer les clients dans la conception des produits et procéder à la révision linguistique de la doc pour que les textes soient plus simples. Conséquence : le contact humain est très important mais l’assureur ne peut plus ignorer la place capitale du digital, des simulateurs et des comparateurs en ligne, de l’assurance paramétrique, de la transparence pour clarifier les règles du jeu.
Il est impératif que les Infotechs et les compagnies d’assurance travaillent désormais ensemble : « L’Infotech est agile, c’est son point fort par rapport aux acteurs traditionnels pour mettre rapidement en place des solutions sur le marché. Avec les Fintech, les collaborations sont de mise. On parle d’interaction, tout le monde a compris qu’il faut mettre la main dans la main. » Nous sommes manifestement devant une opportunité pour développer le secteur en partenariat entre les intervenants de l’écosystème et pour améliorer le degré de confiance, lever les confusions, éclairer les articles incompréhensibles.
C’est précisément ce que croit Mounir Hbaïeb, expert-comptable et membre du BE du CJD, qui voit un moment à saisir à la faveur de la crise financière et pandémique. Une attitude partagée par Faïçal Hedda qui atteste que la vente traditionnelle de produits et l’usage de la technologie sont complémentaires car chacune vise une population différente : « Il reste beaucoup qui ne sont à l’aise qu’au moment où le contact est direct. En Tunisie, les relations de confiance et de conseil sont très importantes mais nous comprenons que ces jeunes avec leur tablettes sont nos prochains clients, et nous nous préparons à cela ».
La part des pouvoirs publics
Ceci côté jardin, si l’on ose dire. Côté cour, les assureurs sont loin d’avoir toutes les cartes en main. Faïçal Hedda le dit clairement : « Nous considérons cette pandémie mondiale comme un risque systémique comme il est d’usage avec toutes les catastrophes ; là où les compagnies d’assurance quelle que soit leur taille ne sont outillées que pour des solutions orientées micro-économie. Quand on observe ce qui se passe de l’autre côté de la méditerranée, dès qu’il y a des inondations, par exemple, les compagnies attendent que le cas soit décrété catastrophe naturelle pour que des fonds publics soient mis en branle avant que les assureurs n’interviennent pour la prise en charge ».
Le propos est clair : nous sommes devant le même cas de figure avec cette pandémie Covid-19 et les assureurs partout dans le monde essayent de se réorienter et de se restructurer pour présenter des solutions. Entre les lignes, il faut comprendre que les plus gros sinistres sont généralement d’origine financière. Les jeux olympiques de Tokyo ont été annulés; s’il n’y avait pas un assureur et un réassureur derrière, cela n’aurait pas été possible. Cela a coûté plusieurs milliers de milliards de dollars et c’est énorme. Même chose pour le tennis à Wimbledon.
Par contre, les Français ont été obligés d’organiser Roland Garros et le Tour de France car les assureurs ne pouvaient pas prendre en charge leur annulation ! « En Tunisie, le secteur des assurances est un petit village, nous prenons tout en charge ensemble; c’est l’effet mutualité. Seulement, n’oublions pas que le taux de pénétration de l’assurance est de 2% en Tunisie alors qu’il est de 8 à 15% dans les pays de l’autre rive », ajoute-t-il.
Sana Atig explique plus en détail l’importance du mutualisme pour contrebalancer les problèmes d’évolution, non seulement en matière de sinistre mais également au niveau professionnel. Elle reconnaît que des efforts ont été faits en Tunisie pour améliorer la réponse offerte aux TPE mais avertit que l’ensemble du secteur doit affronter les impératifs de la manière d’aider ces professionnels dont les besoins sont très spécifiques sans omettre de souligner que le sinistre est le grand moment de vérité pour prouver aux clients que les assureurs sont capables de suivre.
Consulting, agilité, fluidité
Le secteur d’assurance est universellement influent ; il génère 7% du PIB mondial mais la quote-part des pays émergents n’y pèse pas beaucoup. Ce déséquilibre n’est pas une mauvaise chose. Au contraire, il s’agit en vérité d’un atout pour nos compagnies afin de développer leurs produits. Et le parallèle est vrai en ce qui concerne ce moment de crise financière et pandémique : c’est encore une occasion très importante pour les compagnies de présenter leurs produits, une opportunité pour développer leur secteur en partenariat avec les autres intervenants de l’écosystème.
Selon Mounir Hbaïeb, expert-comptable et membre du BE du CJD, le degré de confiance est capital dans cette situation : « En Tunisie où la majorité des entreprises sont de petite taille, la confiance vis-à-vis des compagnies a été altérée et le rétablissement de cette confiance est le rôle des compagnies, sinon on continuera à constater que la majorité des clients se contentent des contrats obligatoires ». Il tente également une analogie avec son métier d’expertise comptable où l’accès au statut de commissariat aux comptes n’a pas permis d’aller vers le consulting, et appelle les assureurs à travailler au développement de cette frange haute de leurs compétences.
La porte des recommandations étant ouverte, Hamdi Bouslah estime que les Infotechs et les assurances doivent s’allier pour rattraper notre retard sur l’assurance paramétrique fondée sur l’indice de perte du client, de température, d’automatismes de remboursement… avec le risque calculé sur une base rationnelle où la transparence fait loi pour clarifier les règles du jeu : « L’infotech est agile, c’est son point fort par rapport aux acteurs traditionnels pour aller vers le marché et mettre rapidement en place des solutions.
Il y a des collaborations, comme les Fintech. On parle d’interaction, tout le monde a compris qu’il faut mettre la main dans la main ». L’assureur Faïçal Hedda tempère toute cette somme d’enthousiasme en rappelant que si sa compagnie s’est investie dans le digital, elle garde pour ceux (nombreux) qui veulent garder le contact les processus papier ; l’essentiel étant de rendre le parcours client le plus fluide possible : « Nous avons accompagné nos clients quand tout était fermé, nous avons optimisé nos délais et notre qualité de prestation. Nous observons la maturité du marché tunisien, si le client va acheter sa police d’assurance avec sa carte et nous sommes convaincus qu’il y a une niche mais nous y travaillons ».