Pour l’Afrique, la filière sucre représente un enjeu de taille. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), la consommation du continent a évolué de 27% sur les dix dernières années. La production devrait atteindre 16,7 millions de tonnes d’ici 2028, soit 8% du marché mondial. La demande soutenue de produits transformés, de confiseries et de boissons sucrées attire les investisseurs.
Mais en dépit de cette importance, rares sont les études qui se sont focalisées sur cette industrie. BMCE Capital Securities vient de publier une étude intéressante sur la filière dans quelques pays africains qui partagent un point commun : leur incapacité à atteindre l’autosuffisance et leur dépendance des importations.
Le Maroc mise sur Cosumar
Au Maroc, le sucre est un produit largement consommé avec une moyenne annuelle de 35 kg/individu, boostée par la consommation du thé. Le pays comporte un unique producteur, Cosumar, qui assure l’extraction du sucre (80 000 hectares plantés) ainsi que le raffinage du sucre brut importé. Pour développer davantage la filière, un contrat programme a été mis en place, basé sur trois piliers : l’accompagnement des agriculteurs (au nombre de 80 000), le renforcement de la couverture des besoins et l’amélioration de la compétitivité et la pérennité de la filière sucrière à moyen et long termes. Des moyens importants ont été déployés.
Vis-à-vis des agriculteurs, la Cosumar s’est engagée à acheter toute la récolte aux prix contractuels garantis. Un fonds de solidarité a été mis en place afin de protéger les agriculteurs des aléas climatiques et des événements exceptionnels. Pour la canne à sucre, les agriculteurs bénéficient d’une subvention de 6 000 MAD pour réussir les nouvelles plantations et d’une prime de 3 000 MAD pour encourager les plantations précoces. De plus, une prime de 2 000 MAD est allouée pour soutenir l’entretien précoce de la plante. Des investissements techniques ont été réalisés et le taux de récolte mécanique s’élève à 49% pour la betterave à sucre et 52% pour la canne à sucre.
Sur le plan logistique, Cosumar prend en charge l’acheminement des plantes vers les sucreries. Ce plan a déjà donné des résultats. La capacité de traitement de l’usine est passée à 5 millions de tonnes de plantes sucrières et le rendement de sucre par hectare a doublé à 12 millions de tonnes de sucre en dix ans. À noter que le prix reste subventionné et une décompensation est programmée pour 2024, une fois le Registre Social Unifié achevé.
Opération digitalisation
Le Royaume dispose aujourd’hui d’un outil industriel d’une capacité de production de 1,65 million de tonnes de sucre blanc raffiné aux standards internationaux les plus exigeants. Cette capacité de production permet au Royaume de posséder un excédent de capacité de production de plus de 400 000 tonnes par an, ce qui lui offre la possibilité d’exporter. Cosumar a ainsi finalisé la construction d’une plateforme commerciale dans la zone industrielle Gzenaya-Tanger avec une capacité de conditionnement sur place de 250 tonnes/jour.
En même temps, la digitalisation est au cœur du développement de Cosumar via son plan baptisé LEADER@25. Le dispositif Attaissir est une plateforme digitale globale, où les partenaires sont connectés grâce à un système de cartes leur permettant d’y accéder et de bénéficier de l’information en temps réel. Ce projet devrait également permettre à Cosumar d’améliorer les performances par un suivi par géolocalisation des parcelles de plantes sucrières grâce à ses machines agricoles connectées par GPS. Il renforcera également le soutien aux agriculteurs en accélérant les opérations liées à la préparation des campagnes de semis et des récoltes.
Ambitions internationales
Cosumar a des ambitions à l’international et poursuit son investissement dans une nouvelle raffinerie de sucre en Arabie Saoudite, en partenariat avec Consolidated Brothers Company et Industrial Projects Development Company. Cosumar détient 43,3% du capital de la société Durrah Advance Development Company. Bénéficiant d’un emplacement stratégique dans le port de Yanbu sur la Mer Rouge, cette raffinerie devait avoir une capacité annuelle de 840 000 tonnes, visant ainsi les besoins de la zone MENA et même les pays de l’Afrique de l’Est.
En Afrique, un territoire où les marocains sont les maîtres, Cosumar s’est lancée dans le conditionnement et la commercialisation du sucre blanc en Guinée-Conakry, en entrant à hauteur de 55% dans la société Comaguis-Compagnie maroco-guinéenne de sucre. Cela devrait représenter un véritable relais de croissance pour la compagnie.
L’Afrique a besoin d’investissements
En Côte d’Ivoire, la production nationale est basée sur deux grandes firmes d’une capacité de 197 270 tonnes, qui ne couvre pas la consommation locale de 243 000 tonnes (chiffres 2018). Dans l’intention de développer le secteur, les autorités ivoiriennes ont décrété le 29 janvier 2020, l’interdiction de l’importation du sucre pour une durée de 5 ans. Toutefois, une étude a montré les limites de cette stratégie puisque les sociétés locales sont peu compétitives en raison du faible niveau d’investissement et des coûts élevés de production.
Le Gouvernement a donc révisé sa décision et a permis aux entreprises d’importer du sucre à hauteur de 50% des besoins du secteur industriel. En même temps, une enveloppe de près de 285 millions d’euros sera investie dans les deux producteurs locaux.
Au Sénégal, le marché est également fortement contrôlé par l’État. La consommation locale est estimée à 190 000 tonnes, couverte à hauteur de 76,3% par la Compagnie Sucrière du Sénégal. Le Groupe marocain Forafric a tenté de l’acheter, mais l’opération avait échoué. D’autres sociétés tentent de reprendre la société mais l’État sénégalais ne semble pas en mesure de garantir la stabilité réglementaire actuelle qui favorise l’unique acteur local actuellement.
Il y a de vraies opportunités de croissance dans tous les pays du continent. Ce qui semble bloquer l’intervention du capital privé reste cette homologation des prix qui laisse les marges à la merci de l’évolution des cours mondiaux. Une nouvelle illustration que l’interventionnisme tue le développement.