2020 était une année exceptionnelle. Comment la crise a-t-elle impacté l’activité d’UGFS ?
Oui, effectivement. L’année 2020 était particulièrement difficile. Nous avons sondé les PME et les startups de notre portefeuille. Les résultats étaient clairs : c’est la survie de l’entreprise qui est en jeu. Pour assister les entreprises de notre portefeuille, nous avons déployé deux types d’actions. Pour les PME, nous avons mis en place un plan de sauvetage en sollicitant les bailleurs de fonds et en les aidant à consolider leurs fonds propres. En ce qui concerne les startups, nous les avons assistées pour lever des fonds de survie. Nous avons ainsi collaboré avec l’ATIC et la CDC pour la mise en place du programme de soutien aux startups. Cela dit, nous n’avons pas arrêté d’investir dans de nouvelles entreprises car la crise est le moment propice pour investir. Au fait, 2020 est l’année durant laquelle nous avons investi le plus et ce depuis le lancement d’UGFS! Nous avons aussi participé à des opérations de co-investissement avec d’autres fonds partenaires, ainsi qu’à des opérations de cash-in/cash-out en partenariat avec Ekuity Capital, ou entre les différents fonds d’UGFS.
Quelles étaient les plus grandes difficultés des entreprises que vous accompagnez ?
Les entreprises tunisiennes font face à trois principales difficultés: un marché limité, un accès difficile au financement et un déficit des capacités managériales. Pour résoudre la problématique de la taille limitée du marché, il est aujourd’hui important de trouver un espace plus large pour nos entreprises. Et les décideurs politiques ont un rôle important à jouer pour élargir les horizons économiques de l’entreprise. À titre d’exemple, il est inconcevable pour la Tunisie de ne pas avoir des relations économiques privilégiées avec l’Algérie et la Libye. Une intégration entre ces trois pays — à l’image de celle entre la France et l’Allemagne — permettrait de multiplier par trois la taille du marché pour les entreprises tunisiennes. Mieux encore, ces deux marchés voisins sont proches, aussi bien en termes de distance — ce qui revient à avoir des coûts d’accès moins élevés — que sur le plan culturel. Cela va sans dire, une telle ouverture doit se faire dans les deux sens pour permettre aux entreprises de ces deux pays de s’installer en Tunisie. Il faut aussi noter que ce problème de marché se pose aussi pour les startups tunisiennes malgré tous les atouts technologiques dont elles disposent. Dans ce cas, en revanche, je pense que c’est aux startups d’essayer de casser les barrières psychologiques et de sortir de leur zone de confort. Rien n’empêche, par exemple aujourd’hui, une startup de donner des cours d’arabe à des étudiants en Amérique latine ou en Asie. Les startups peuvent à cet égard tirer pleinement profit du large réseau de diaspora tunisienne.
L’administration n’a-t-elle pas aussi un rôle à jouer ?
À vrai dire, l’administration a aménagé tous les efforts nécessaires, notamment à travers le Startup Act qui a permis de doter les entreprises de plusieurs avantages qui devaient les aider à s’internationaliser tels que les cartes internationales, des procédures simplifiées à la douane, etc. Le fonds de fonds va de son côté permettre aux startups tunisiennes d’avoir des financements en devise. Résultat: la Tunisie peut être considérée comme l’un des meilleurs pays — du moins en Afrique — en ce qui concerne l’appui aux startups au niveau réglementaire. Néanmoins, le blocage intervient à deux niveaux. D’abord, celui des acteurs de financement et d’accompagnement. Nous sommes restés dans des configurations très locales qu’il faut réviser notamment en collaborant avec des partenaires internationaux. Prenons l’exemple d’Iris Technologies, grâce à un programme d’accélération d’un fonds Omani, cette startup est aujourd’hui présente dans 6 pays. Malheureusement, nous n’avions pas la possibilité d’accompagner l’entreprise dans une telle expansion à l’international puisque nous n’avons pas la possibilité d’investir à l’étranger. Lorsque la dynamique de l’écosystème startup a commencé à germer en Tunisie, nous avons focalisé sur l’innovation. J’estime que nous avons réussi le pari vu le nombre de projets innovants qui sont en train de voir le jour dans le pays. Désormais, il faut changer de cap et focaliser aujourd’hui sur la scalabilité, surtout à l’international.
Pour ce qui est de l’accès au financement, que proposez-vous comme issue ?
Le tissu économique est trop dépendant du secteur banquier et il est temps de changer ce modèle. Ainsi, le portefeuille global de private equity en Tunisie ne représente que 3 milliards de dinars. Si nous voulons que l’économie soit plus performante, il faut multiplier ce chiffre par 3 et percer la barre psychologique des 10 milliards de dinars. La pandémie a démontré que le modèle classique du crédit “aveugle” qui ne tient pas compte des changements au niveau du marché n’est plus viable dans un environnement aussi mouvementé que celui d’aujourd’hui.
Vous avez évoqué un déficit des capacités managériales au sein des entreprises tunisiennes. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Les entreprises tunisiennes font face à un problème de manque de capacités managériales. La communauté ne nous a pas accordé beaucoup d’importance aux capacités managériales. Les performances du manager ont un impact direct sur les performances de l’entreprise. Il faut détenir les soft-skills nécessaires pour pouvoir bien gérer ses équipes. Il faut aussi être visionnaire, pouvoir travailler et, surtout, partager avec les autres, pouvoir tisser des réseaux,… Les capacités managériales vont permettre de trouver des solutions, de mobiliser les troupes. Ainsi, le choix du dirigeant de l’entreprise ne doit pas se faire sur la base de la taille des parts, mais de la capacité de la personne en question de bien diriger. Et pour réussir, il faut des capacités managériales au-dessus de la moyenne. Pour surmonter cet obstacle, les entreprises tunisiennes ont besoin d’accompagnement et de capacity building. À l’UGFS, nous avons commencé à expérimenter avec la nomination de nouveaux managers dans les entreprises que nous accompagnons, tout en les encourageant à avoir des parts dans l’entreprise — entre 10% et 20%.
Quelles seraient vos attentes pour l’année 2021 ?
En 2021, la priorité doit être à la restructuration des entreprises touchées par la crise pour se préparer à la reprise et je suis content de voir que la Banque centrale a pensé à la mise en place d’un fonds de relance. C’est un prérequis pour bien se préparer à la reprise qui, grâce au vaccin, ne tardera plus. Cette année pourrait aussi marquer la reprise de la reconstruction de la Libye et il est temps de commencer à s’y préparer. Si ceci s’avère le cas, on peut s’attendre au lancement de plusieurs projets d’infrastructures ce qui va créer en Libye un important marché de travail pour la main-d’œuvre tunisienne, mais aussi une opportunité de taille pour les entreprises tunisiennes du secteur. Qu’avons-nous préparé pour en tirer profit ? En ce qui concerne les startups, la dynamique devrait se renforcer encore plus avec l’arrivée du fonds des fonds doté d’une colossale enveloppe de 100 millions d’euros. Dans ce cadre, il faut rappeler que tout ce que nous avons pu réaliser durant ces dernières années a été réalisé avec une facture de seulement 50 millions de dinars. L’enveloppe de 100 millions d’euros a donc le potentiel de changer la donne pour l’économie tunisienne.