La Chine ambitionne d’être le premier grand pays à émettre une monnaie numérique souveraine. De ce fait, les tests commencent à grande échelle dans ce pays où le paiement mobile est déjà très populaire. Le mois dernier, dans 10.000 boutiques de la ville de Suzhou, à l’ouest de Shanghai, des clients ont pu payer en e-yuan. Depuis 2013, la Chine a commencé le développement du système baptisé paiement électronique en monnaie numérique (Digital Currency Electronic Payment, DCEP), qui sera utilisée pour simuler les activités bancaires quotidiennes, comprenant les paiements, les dépôts et les retraits à partir d’un portefeuille numérique.
Si le gouvernement chinois décide d’officialiser ce système, les utilisateurs seraient ramenés à télécharger une application de portefeuille électronique autorisée par la Banque populaire de Chine (PBOC), qu’ils devraient lier ensuite à une carte bancaire pour commencer à payer ou à recevoir des yuans numériques à l’aide d’un téléphone mobile auprès de commerçants ou à effectuer des virements avec un distributeur automatique de billets et autres utilisateurs. Il existe également une option qui ne nécessite pas de compte bancaire pour détenir et effectuer des transactions en yuan numérique.
Et contrairement à d’autres plateformes de paiement en ligne déjà couramment utilisées en Chine, notamment Alipay d’Alibaba et WeChat Pay de Tencent, le système DCEP prend en charge les transactions de paiement même sans connexion Internet. La Chine n’est pas le seul pays à commencer à tester la monnaie digitale. Au fait, la course aux cryptomonnaies nationales est lancée et la Banque centrale de Suède a déjà pris une longueur d’avance. La Riksbank a annoncé récemment avoir commencé à tester officiellement la « e-couronne », une monnaie numérique qui pourrait permettre aux Suédois de se passer d’argent liquide à terme. Le projet a été lancé en 2016 et s’est accéléré avec les annonces en 2019 de projets comme la libra de Facebook.
« Le but du projet est de montrer comment une e-couronne pourrait être utilisée par le grand public », a indiqué la Riksbank, qui a précisé qu’effectuer un paiement en e-couronne serait aussi simple que d’envoyer un SMS. À la différence du bitcoin, les cryptomonnaies émises par les banques centrales ne sont pas décentralisées. Elles sont cependant également basées sur des blockchains qui leur permettent de sécuriser et de tracer les transactions. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si la Suède est la première à lancer un tel projet. Le royaume scandinave est en effet l’un des pays où l’argent liquide est le moins utilisé, ce qui en fait l’un des terrains de jeu privilégiés pour la monnaie numérique.
Le cryptodinar ? C’est encore plus compliqué
En Tunisie, la question de la monnaie digitale basée sur une blockchain a déjà fait l’objet d’un débat public. Le gouverneur de la Banque centrale a indiqué, à plus d’une occasion, sa volonté d’étudier le lancement d’une CBDC tunisienne. En 2018, la Banque centrale a même organisé la Blockchain Summit. Et récemment, la Banque centrale a sélectionné quatre startups opérant dans le monde de la blockchain pour intégrer la première cohorte de sa sandbox réglementaire dédiée aux fintech. “C’est un signe fort encourageant”, a indiqué au Manager Anis Mnejja, fondateur de la startup Yanvesti. Ces signaux “positifs” ne doivent en revanche pas cacher une réalité moins glorieuse des crypto-monnaies en Tunisie, notamment l’absence d’un cadre juridique. “La Banque centrale a préféré garder le silence sur cette question”, a déploré Mnejja.
(Le Manager a contacté la Banque centrale pour avoir sa vision du sujet, mais nous n’avons pas eu de retour jusqu’à la rédaction de ces lignes).
En théorie, l’absence d’un texte juridique qui interdit l’usage des cryptomonnaies ouvre la porte à utiliser cette technologie en Tunisie, affirme de son côté l’avocat Chiheb Ghazouani. “Rien n’interdit le mining de bitcoins ou autres cryptomonnaies en Tunisie”, a-t-il indiqué. Mais il paraît que la pratique est tout autre. “Récemment, la douane a saisi des cartes graphiques qui étaient destinées à être utilisées pour miner des cryptomonnaies”, a affirmé l’avocat. Une fois le bitcoin (ou autre coin) généré, en revanche, le respect de la loi devient de plus en plus difficile. D’abord, pour détenir de la cryptomonnaie, il faut utiliser un wallet électronique. Or, “il est interdit d’avoir un wallet en Tunisie”, affirme Ghazouani.
“La circulaire sur les établissements de paiement, qui régit les wallets, n’a pas été mise en application”, a-t-il expliqué. Pire encore, la conversion du bitcoin en dollars, par exemple, peut représenter une infraction à la fameuse loi de change. Grâce au développement d’une pléthore de services tirant profit des avantages qu’offre la technologie de la blockchain, l’utilisation du Bitcoin et des autres cryptomonnaies ne se limite plus au règlement des achats en ligne. Plusieurs entreprises dans le monde utilisent la cryptomonnaie pour lever des fonds de manière rapide et efficace à travers des ICO ou des campagnes de crowdfunding. “La réglementation des cryptomonnaies n’est pas l’affaire exclusive de la BCT”, a noté Anis Mnejja. “Le CMF et la BVMT ont aussi un rôle à jouer”, a-t-il indiqué. Pour le CEO de Yanvesti, mettre en place un cadre réglementaire peut contribuer au développement du marché qui, à son tour, peut offrir de nouvelles opportunités d’investissement et donner aux entreprises l’opportunité d’accéder à de nouvelles sources de financement.
Des opportunités de développement cryptographique
Ce vide juridique n’a pourtant pas empêché plusieurs startups tunisiennes de développer des solutions basées sur la blockchain — y compris celles sélectionnées par la BCT. Quelques-unes d’entre elles ont même brillé à l’échelle internationale. “Coinsense a reçu un don de 100 mille dollars de la part de l’Unicef”, a affirmé le fondateur de Yanvesti. Les opportunités sont pourtant nombreuses. “Des pays comme Malte et l’Estonie ont réussi à attirer plusieurs startups et investisseurs rien qu’en mettant en place un cadre réglementaire crypto-friendly”, a indiqué Mnejja. “Une telle ouverture peut permettre au secteur de se développer rapidement en créant des opportunités d’emplois aux jeunes tunisiens”, a-t-il ajouté. Cerise sur le gâteau, la forte demande de compétences dans ce domaine partout dans le monde ouvre la porte large aux spécialistes tunisiens. D’après le site de recrutement ZipRecruiter, le salaire moyen annuel d’un spécialiste de la blockchain peut aller jusqu’à 199 mille dollars ! “Il est temps d’agir vite”, affirme Mnejja.