Le virus Corona vient couronner une longue procession de maux qui n’ont cessé de harceler l’économie tunisienne depuis une décennie. Lamjed Ben Mbarek nous parle de l’accumulation des problèmes dus à l’augmentation de la dette nationale, du taux de chômage qui s’envole, de la chute de la croissance… et rappelle que le FMI prévoit désormais une récession de plus de 4% à la Tunisie alors que les économistes estiment que son déficit budgétaire à fin 2020 dépassera les 10%. Un constat qui montre le degré de menaces face aux perspectives business de la Tunisie en 2021 et qui anticipe l’élargissement du gap entre les opportunités et les défis pour notre économie au cours de la période post-Covid.
Une période d’apprentissage pour les entreprises
Il est clair que si le gap s’élargit en faveur des défis au détriment des opportunités, c’est tout simplement parce que nous sommes loin d’avoir toutes les cartes en main. Selon l’analyse de Ben Mbarek, les fermetures régionales ont largement affecté la demande et la chaîne d’approvisionnement et les entreprises qui avaient centralisé leurs opérations dans des régions éloignées (Chine, Inde…) ont, depuis, dû faire face à un manque de matières premières et de fournitures importantes pour leur entreprise et ont donc été contraintes à réduire leur production et à diminuer leurs ventes.
Pourtant, notre interlocuteur se veut constructiviste:«Cette période pandémique représente sans aucun doute une période d’apprentissage pour de nombreuses entreprises, et au fur et à mesure qu’elles commenceront à rouvrir, il sera nécessaire qu’elles améliorent leurs modalités opérationnelles. En premier lieu, diversifier leur dépendance à une région et de pousser vers une présence mondiale ; puis comprendre que si elles ont hésité à s’établir sur les marchés étrangers par crainte d’implications et d’exposition juridiques, elles devront dorénavant être plus ouvertes à l’idée après les bouleversements de la pandémie ».
L’État régulateur, évaluateur et dynamo de la transparence
Allant au bout de son constructivisme, Ben Mbarek avertit que les entreprises auront absolument besoin de l’engagement total de l’État pour s’armer du courage essentiel qui leur permettra d’affronter la période post-Covid : « La Tunisie doit améliorer le climat des affaires, l’éducation, la gouvernance, la recherche scientifique et réduire les distorsions. Surtout, l’État doit créer la différenciation qui réside au niveau des systèmes incitatifs qui accompagnent ses politiques selon les besoins de chaque secteur, mais doit les ajuster au fur et à mesure et les supprimer si nécessaire. »
Pour lui, il est impératif que l’État joue à fond son rôle de régulateur, d’évaluateur et de dynamo de la transparence. C’est dans ce sens qu’il appelle l’État à éliminer toutes les barrières qui empêchent les ressources d’être exploitées et améliorer l’efficacité des dépenses publiques après la crise sanitaire. Encore dans la coupelle des acteurs économiques, les recommandations de Ben Mbarek sont extrêmement concrètes: trouver des solutions au manque de ressources humaines adéquates (par exemple, en mettant à niveau les diplômés qui ne trouvent pas de postes adéquats à leurs formations); faciliter l’accès au financement pour les porteurs de projets; améliorer le modèle d’intégration avec les partenaires européens (en termes de gouvernance, de fiscalité, de réglementation…); investir dans la digitalisation et favoriser l’adossement du secteur manufacturier à un secteur tertiaire compétitif (télécommunication, banques, logistique et marketing).
La Tunisie, un paradis pour les logisticiens
Virant du constructivisme au positivisme, Ben Mbarek nous confie sa conviction de l’aptitude de la Tunisie à devenir carrément un paradis pour les logisticiens:«Nous sommes devant une grande opportunité d’ordre logistique. La crise qui a commencé en Chine avait provoqué des pannes et des pénuries dans les chaînes de valeur de secteurs entiers. Ceci au moment où l’Europe, premier client de la Tunisie, a pris conscience que la proximité deviendra pour les prochaines décennies, la première condition pour une chaîne de valeur plus fiable et pérenne. Un pays comme la Tunisie peut ainsi faire prévaloir sa proximité à l’Europe, avec plus ou moins d’avantages similaires à ceux que l’on trouve dans des pays d’extrême Orient. »
Il pose cependant une condition : la Tunisie doit avoir des ambitions pour proposer des produits et services à forte valeur ajoutée et ne pas se contenter d’être la prochaine usine de l’Europe. Ben Mbarek conjugue cette même logique au marché intérieur de l’Afrique du Nord en nous expliquant qu’à condition d’être suffisamment compétitif, cet espace est capable de satisfaire à l’idée d’une mondialisation de proximité : « Avec un tel espace, nos opérateurs économiques pourront être challengés, poussés à une meilleure compétitivité et à dépasser les chapes de non créativité au niveau de l’innovation et du progrès technique ».