Entre controverse et adulation, Lloyd Blankfein n’a jamais cessé de sortir des sentiers battus, il a donné une nouvelle compréhension au terme même d’investment banker, donnant la priorité à des recrues à haut profil stratégique et à la parité genre totale. Un Kissinger de la Finance qui n’a jamais perdu le nord et qui a toujours su tourner la situation en faveur de sa banque ; inspirant une étude d’Oxford qui décrit le style de leadership de Blankfein comme le ‘’paradigme du centrisme fondateur’’ ; ce qui implique un état d’esprit, une disposition éthique envers le collectif des actionnaires et une concentration intense sur la création d’une valeur ajoutée exponentielle.
Si vous en avez assez du Covid-19 et du confinement, vous avez quelque chose de commun avec Lloyd Blankfein, surtout si vous êtes convaincus qu’il faut retourner au travail au plus tôt. Il l’a twitté et, comme de juste, avertissant que les mesures extrêmes d’aplanissement de la courbe de croissance du virus ne doivent pas mener à écraser l’économie, les emplois. Il a même recommandé que les personnes à moindre risque devront reprendre le travail. Il a suscité un tollé presque général, l’accusant de professer le darwinisme social et de sacrifier les vies au culte du capitalisme. Mais pas le Président Trump qui a tout de suite saisi la perche et l’a dit à sa manière sur le même réseau : ‘’Nous ne pouvons pas permettre que le remède soit pire que le problème…’’
A contre-courant de toutes les sagesses d’usage, cette opinion de Blankfein décriée par tous est l’exacte réplique de ses attitudes successives à des moments cruciaux de sa vie. C’est hors des sentiers battus qu’il s’est ainsi fait et qu’il a transformé. Newyorkais pur jus mais d’origine modeste, il a fait son droit à Harvard et a fourbi ses premières armes dans un cabinet d’avocats avant de devenir trader de métaux précieux au sein d’une petite compagnie de commerce de matières premières ; J. Aron & Co. qui a été achetée par Goldman en 1981. C’est là qu’il s’illustra au cours des années pour en devenir le CEO quand son patron, Hank Paulson, devint secrétaire d’État au Trésor de George W. Bush. C’est là que son rôle et sa gestion ont été universellement encensés et décriés à la fois quand la crise 2007-2008 frappa l’industrie bancaire !
Un sang-froid à toute épreuve
C’est au plus fort de la bourrasque que les grands caractères se révèlent, n’est-ce pas? Juste après la crise mondiale des sub-primes de 2007-2008, Blankfein ne s’est pas soustrait aux critiques. Au contraire, il a courageusement reconnu avec humilité : ‘’Nous nous considérions comme des experts et la perte de la confiance du public pour défaut de faire face aux attentes que nous avons nous-mêmes suscité prendra des années avant d’être restaurée. Pire, les décisions prises ou non en matière de compensation ont révélé le visage d’égoïsme et d’avidité des banques’’. Une attitude qui a forcé le respect alors que Blankfein avait, en amont, placé Goldman Sachs hors du groupe de tête impliqué dans les valeurs nocives qui ont conduit au désastre. Car, durant la crise financière 2007-2008, Goldman Sachs avait servi comme market maker (faiseur de marché) mais pas comme créateur de ces produits. La nuance est de taille.
Cela veut dire qu’il n’a pas perdu le nord quand les autres se pressaient au portillon des portefeuilles sub-primes. Et la suite des événements a montré que la lucidité dont il fait preuve n’est pas du tout due au hasard.
Au cours de la fin de 2008, la crise poussa la Federal Reserve à faire baisser les taux d’intérêts et le US Treasury à augmenter les investissements publics dans les banques privées et, après l’effondrement de Lehman Brothers et le sauvetage de Goldman Sachs, Blankfein profita de ces bas taux d’intérêts et de cette assistance du gouvernement pour couper l’herbe sous les pieds de la compétition de la part des autres banques d’investissement. Très rapidement, Goldman Sachs devint la seconde plus grande banque d’investissement aux USA alors que les autres sombraient dans la faillite ou le rachat. Une performance extraordinaire (car en temps de déroute) remarquée par le prestigieux Financial Times qui l’a nommé Person of the Year en 2009.
L’année suivante, Blankfein poursuivit la restauration du crédo de Goldman Sachs en se faisant volontaire pour témoigner devant la Commission sénatoriale d’investigation sur la crise. Il a expliqué par le détail comment sa banque avait agi dans les limites strictes de son rôle de market maker, et non comme un créateur de produit.
La nuance est capitale et Blankfein le sait ; un market maker est dans le fond un ‘’commerçant’’ qui négocie les produits disponibles, alors qu’un créateur de produit se comporte en ‘’industriel’’ qui met au point ces produits (ici, des bombes financières à retardement emplies de papier ‘’pourri’’ dangereusement classé au top).
Il avait alors étonné par sa défense de l’attitude de sa banque qu’il a dit n’avoir aucune obligation morale ou légale d’informer ses clients qu’elle pariait contre les produits qu’elle leur vendait, tout simplement parce qu’elle n’agissait pas dans un rôle fiduciaire !
Deux mois plus tard, le magazine Forbes le classait 43ème sur sa liste des personnalités les plus influentes dans le monde en 2011.
Innovations controversées et Leadership
Beaucoup ont tenté de délimiter son identité et c’est de la sorte qu’il était constamment sous les feux de la rampe, pressé de clarifier ses positions. Qu’à cela ne tienne, il se dit Démocrate affilié et Républicain rockefellerien, conservateur en matière fiscale et plus libéral en matière sociale. Il ne recule pas devant le plaisir d’une passe d’armes à l’occasion, n’hésite pas à afficher ses convictions environnementales et ses dons aux organisations caritatives. Selon une étude de l’Université d’Oxford, le style de leadership de Blankfein se caractérise par le ‘’paradigme du centrisme fondateur’’ ; ce qui implique un état d’esprit, une disposition éthique envers le collectif des actionnaires et une concentration intense sur la création d’une valeur ajoutée exponentielle ! En d’autres termes ; après la Real Politik de Henry Kissinger (dont il est proche), voici la Real Finance de Blankfein. Les accusations sont légion. D’abord, il a été pointé du doigt pour avoir fait passer les intérêts des actionnaires avant ceux des clients. Ensuite, est venue l’histoire d’avoir offert des bonus aux employés qui maximalisent les profits de Goldman Sachs, pas de ses clients. Enfin, il a été assigné d’avoir fait un commerce de produits illiquides et opaques…
Toujours en train de traquer les innovations, la réponse de Blankfein à ces critiques a pris tout le monde de court. De prime abord, pour contrer la baisse des ventes et des produits commerciaux, Blankfein a institué de nouvelles priorités de recrutement, notamment en donnant des instructions à ses managers de ressources humaines de se concentrer sur les candidats ‘’stratèges’’ (les fameux Strats) ; c’est-à-dire ceux qui avaient des compétences hautement quantitatives et technologiques. Aussi, Blankfein a fait circuler un Mémo interne (devenu célèbre) où il se fait l’avocat d’une totale parité genre au sein des forces de travail de Goldman Sachs : ‘’Chez Goldman Sachs, nous payons les femmes et les hommes aux rôles et aux performances similaires de manière égale. Seulement, le vrai problème dans notre firme comme dans d’autres est la sous-représentation des femmes en magnitude et en niveaux de séniorité. Nous avons fait certains progrès mais nous avons beaucoup de travail à faire et nous sommes engagés pleinement dans cette œuvre critique’’.