Le risque grandissant d’une généralisation systémique des conflits a bouleversé les relations internationales et recomposé en profondeur des équilibres internationaux. À quoi ressemblerait le monde dans les mois (semaines ?) à venir ? Un webinar organisé le mois dernier a abordé la question. Y ont participé Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, Ulysse Gosset, éditorialiste à BFMTV et Jean-Pierre Raffarin, l’ancien Premier ministre français. Écoutons-les.
Changement climatique, terrorisme, Covid-19, … l’humanité fait face depuis des années à une série de problématiques transfrontalières nécessitant une réponse collective. Pourtant, la montée du nationalisme n’épargne aucun continent.
L’antidote à l’unilatéralisme américain
Le président américain était clair, dès le début, quant à ses intentions à désengager les États-Unis de son rôle de policier du monde pour focaliser principalement sur les problèmes à l’intérieur de ses frontières. Ceci s’est traduit, comme le note Boniface, par le désengagement américain de plusieurs organismes et traités mondiaux : l’Accord de Paris, l’OMS, l’OMC, … “Trump est en train de détruire ces organismes”, a prévenu l’expert. Et d’ajouter : “Ceci est dangereux parce qu’il risque de pousser les autres pays à se poser la question sur la validité de suivre les règles mondiales”. Pour Raffarin, ce désengagement américain pourrait avoir des conséquences encore plus graves : rendre plus difficile la réforme du système multilatéral mondial qui date déjà de plus de 75 ans. “Face à la crise de 2008, nous avons témoigné par de puissantes réponses multilatérales”, affirme l’ancien Premier ministre français.
“Les présidents français et américain ont fait du G20 une plateforme de coordination”, a-t-il indiqué. Et de souligner : “En 2020, c’est toute une autre histoire”.
Cela dit, Boniface a noté que l’unilatéralisme américain n’est pas le fruit de la politique de l’actuelle administration américaine. Loin de là. Au fait, Bill Clinton, “le plus multilatéraliste des présidents américains, a procédé à bombarder l’Irak sans se soucier d’aller chercher un mandat de la part des Nations unies”, a-t-il rappelé. Ajoutant que c’est sous le règne de Barack Obama que BNP Paribas s’est vu infliger une amende de 9 milliards de dollars pour avoir effectué du business avec le Soudan à l’époque sous les sanctions américaines. “Pour les américains, on ne peut jamais parler de multilatéralisme mais, parfois, d’unilatéralisme modéré”, a-t-il noté. Et d’ajouter : “Chez nous, Européens, c’est tout à fait le contraire. Nous, le multilatéralisme est dans notre ADN stratégique”.
Assurer l’indépendance de l’Europe
Et c’est ce multilatéralisme qui va permettre à l’Europe d’assurer son indépendance envers la Chine aussi bien sur le plan économique que politique. Car, “face à la crise du Covid, il y a eu une prise de conscience de la part des Européens quant à leur dépendance vis-à-vis de la Chine”, a noté Gosset. Tout comme le reste de la planète, l’Europe dépend de la Chine dans plusieurs secteurs, notamment l’industrie. Pour Boniface, en revanche, l’urgence est de faire face à la montée rapide de la Chine en termes d’intelligence artificielle et de 5G, deux secteurs clés pour l’économie de demain.
“Les Chinois et les Américains ont une longueur d’avance sur l’Europe”, a-t-il insisté. Et d’ajouter : “C’est là qu’il ne faut pas perdre la bataille”. Le directeur de l’IRIS a noté à cet égard qu’il n’y a pas de géants européens dans la technologie capables d’équilibrer la scène. Pour ce faire, l’Europe est appelée selon Gosset à multiplier les investissements pour qu’elle ait ses propres fournisseurs. Soulignant que “Huawei a pris de l’avance sur le plan technologique mais aussi en offrant des prix imbattables” ce qui est plus difficile de justifier de tels investissements. Pour Boniface, “rien ne sera possible sans rapprochement franco-allemand”, affirme Boniface. Et d’ajouter : “La France a besoin d’une Allemagne forte, mais il faut que cette force soit au profit de l’Europe et non pas pour écraser des pays du sud comme la Grèce et le Portugal. Il faut convaincre les allemands qu’une Europe puissante profitera à l’ordre mondial”.
Gosset est optimiste à cet égard. L’Allemagne a compris que si l’Europe tombe en récession, elle ne tardera pas à suivre, a-t-il expliqué. C’est ainsi qu’Angela Merkel a réussi à changer de paradigme. “Elle a convaincu le pays d’aller dans le sens d’une plus grande générosité et de mutualisation de la dette”. Aussi, Merkel, dont le mandat à la tête de la Chancellerie allemande s’apprête à prendre fin, a certainement l’ambition de sortir de la crise par le haut pour bien terminer son mandat, a souligné le journaliste de BFMTV. L’Europe aurait certainement un rôle important à jouer dans les mois à venir. Le Vieux continent ne veut plus attendre l’arrivée d’un autre président à la Maison-Blanche en janvier prochain … ou en 2025.