Dans un contexte social tendu, la priorité du manager tunisien est de purifier le climat de son entreprise. Particulièrement dans l’industrie, cela passe obligatoirement par l’aspect financier car l’essentiel de l’effectif est composé d’employés faiblement qualifiés et dont la rémunération ne dépasse pas deux fois le SMIG. Dans ce cas, penser à un compte épargne en actions ou à une assurance vie est une utopie. Néanmoins, trouver un moyen pour faire participer cette catégorie de travailleurs aux résultats et aux performances de l’entreprise est un grand pas vers l’établissement d’une nouvelle relation sociale. Dans la législation tunisienne, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise n’est pas obligatoire.
Une demi-solution offerte par les Fonds sociaux
Une telle politique de redistribution reste totalement facultative. Certaines sociétés ont opté pour la mise en place d’un fonds social auquel les actionnaires affectent une partie du résultat annuel. Certaines conventions collectives donnent la possibilité de création d’un tel mécanisme dans le cadre d’un accord entre employeur et salariés.
Du point de vue fiscal, et en vertu de l’article 12 du Code de l’IRPP et de l’IS, « la dotation du fonds d’intéressement du personnel salarié constitue une charge déductible lorsqu’elle est constituée en application des dispositions législatives et réglementaires, même si elle n’est pas distribuée aux ayants droit l’année de son prélèvement ». Dans le cas particulier du fonds social créé librement à l’initiative de l’employeur et des salariés, il ne peut pas bénéficier d’un traitement fiscal favorable. En l’occurrence, il ne peut être constaté en charges déductibles mais prélevé sur les bénéfices ayant préalablement supporté l’impôt sur les sociétés.
Du point de vue social, les sommes mises dans un tel fonds ne sont pas soumises à cotisation et ce, dans la limite de 5% de la masse salariale annuelle servie par l’entreprise.
Miser sur l’épargne salariale
Ici, le modèle français est très utile. L’épargne salariale est un moyen qui permet aux employés d’investir dans le capital de leurs entreprises, en constituant une économie à moyen terme (qui ne dépasse pas 5 ans) qui complète le salaire. L’intéressé aura le choix entre épargner les sommes perçues ou les percevoir chaque année. Mais quelle est la source de l’argent investi ? Ce n’est autre qu’une partie des bénéfices de l’entreprise, à l’instar des fonds sociaux. In fine, il s’agit d’une sorte de réinvestissement des bénéfices dans la société.
Les textes en vigueur n’interdisent pas de telles pratiques en Tunisie mais, malheureusement, les employés faiblement qualifiés sont largement sous-estimés. Ils ont besoin d’un coup de pouce de la part du législateur pour pouvoir constituer un capital. Un petit effort des entreprises serait le bienvenu.
La touche des ressources humaines
Un autre avantage important pour ce mécanisme : il peut être aussi utilisé pour doper la productivité. Ainsi, l’attribution de ces primes est fonction des performances évaluées par le responsable des ressources humaines. Ce dernier doit, avant tout, fixer les critères de cette évaluation. Il y a d’abord les objectifs communs qui doivent être concentrés sur l’aspect financier. Nous pouvons citer des exemples :
- des indicateurs liés aux résultats : résultat d’exploitation, résultat net, différentes marges,
- des indicateurs liés à l’activité: maîtrise des coûts de production, seuil de rentabilité,
- des indicateurs liés à la qualité: satisfaction des clients, fréquence des réclamations, niveau de propreté, respect de l’environnement,
- des indicateurs liés à la sécurité : fréquence des accidents du travail, respect des normes de sécurité.
Il y a aussi les objectifs individuels : absentéisme, respect des procédures et des règlements, intégration dans l’équipe, capacité de travailler avec les autres employés. Là, il faut faire très attention à ce que tous les objectifs soient précis et mesurables. Si un employé rencontre des difficultés pour les comprendre et les atteindre, cela ne fera qu’accroître son anxiété et abaisser son rendement.
Un mécanisme de lutte contre l’anarchie syndicale
L’activité syndicale, qui reste un droit incontestable, est plus que jamais un casse-tête pour les chefs d’entreprise. C’est une réalité que plusieurs dissimulent, mais il faut appeler un chat un chat. Pour contourner ces conflits, il n’y a pas mieux que de donner le sentiment, à tous les employés, qu’ils sont importants pour l’entreprise. Si une entité offre au salarié le droit d’accéder à une partie de ses bénéfices, sous n’importe quelle forme, durant les périodes fastes, il sera reconnaissant et à ses côtés dans les moments difficiles. Il n’y aura ni contestations, ni perturbations de la production lorsque la société ne trouve pas de la trésorerie pour verser les salaires à temps. Il faut juste se rappeler des entreprises qui ont été protégées par leurs employés durant les émeutes de 2011. La plupart d’entre elles sont des boîtes qui ont bien traité leurs agents et ce sentiment d’appartenance les a sauvées.
Opportunité pour lancer le LBO
Donner de l’élan à ce type d’actionnariat pourrait engendrer une grande dynamique côté finances. En Tunisie, nous n’avons pas un marché de Leverage Buy Out qui permet aux employés d’acquérir une entreprise. Combien de sociétés n’arrivent pas à trouver un repreneur alors que leur personnel est le mieux qualifié pour le faire ? Combien de postes d’emploi sont détruits chaque année car la boîte a fermé ses portes et le savoir-faire de son personnel est perdu ? Partout dans le monde, les ouvriers sont en bas de l’échelle côté salaires, mais l’effet de levier leur permet de passer le cap.
Plusieurs sociétés qui souffrent de problèmes de succession peuvent suivre le schéma suivant :
- donner la possibilité aux employés de monter dans le capital de leurs entreprises via une dette,
- signer un pacte avec les employés qui fixe les règles de la gouvernance,
- faire de sorte que cette entrée soit dans le cadre d’une opération pré-IPO, rentable pour les employés et garante de la continuité d’exploitation de l’entreprise.
Pas le bon moment pour le faire?
Mais en temps de crise, il faut faire très attention. Dans un environnement de hausse des taux, comme celui de la Tunisie, plusieurs sociétés sont prises à la gorge et sont contraintes à la restructuration financière. Imaginons le cas d’un groupe de personnel qui a contracté une dette à taux variable pour s’offrir une entreprise. Au bout de trois ans, avec la hausse du taux directeur, ces salariés-actionnaires se retrouvent débiteurs. Si la participation en question n’est pas bloquante, ils pourraient facilement être dilués par les autres actionnaires. Voilà un autre aspect négatif de la hausse du TMM ! Dans une économie basée sur l’effet de levier, nous ne pouvons jamais s’en échapper.