Question
La créance bancaire assortie d’un état de liquidation prime-t-elle sur les autres créances bancaires en cas de pari passu ?
Réponse
La clause “pari passu” (expression latine pour « pied d’égalité ») est une disposition de la pratique bancaire qui se trouve incluse généralement dans les contrats de prêt à long et moyen terme, dans lesquels l’emprunteur s’engage à faire bénéficier le prêteur des mêmes garanties et mêmes rangs. Les bailleurs de fonds recevront, en cas de réalisation de la garantie suite à des poursuites judiciaires, des paiements équitables proportionnellement à leurs créances.
En pratique, les promoteurs se dirigent vers les établissements de crédits pour financer leurs projets tout en présentant des garanties réelles (hypothèques, nantissements…) pour garantir le remboursement du crédit. La pluralité des bailleurs de fonds est due essentiellement à ce que la banque, face à l’ampleur de l’investissement, n’accepte de financer qu’une partie du projet, d’où la nécessité pour le promoteur d’obtenir des crédits complémentaires pour compléter le schéma d’investissement ou pour couvrir des investissements imprévus dus à une variation, à la hausse, du coût du projet. La banque chef de file trouve aussi son compte en accordant le pari passu aux autres bailleurs de fonds. Et ce, pour les encourager à débloquer les fonds et compléter le schéma d’investissement, assurant ainsi le remboursement de son crédit.
Le pari passu pourra être accordé par la signature de la banque qui a accordé le crédit initial sur le contrat de crédit de l’autre banque ou par la signature d’un acte séparé mentionnant clairement l’octroi du pari passu en faveur de l’établissement financier bénéficiaire.
La banque qui intervient pour compléter le financement pourra se trouver face à un projet qui a bénéficié du concours d’une ou plusieurs banques et dont le promoteur a signé des contrats de crédits assortis de garanties réelles inscrites.
Partant du principe « premier inscrit, premier servi », la banque sollicitée pour le crédit complémentaire doit exiger le pari passu avec les autres bailleurs de fonds afin de se prémunir contre une éventuelle réalisation de la garantie suite à des poursuites judiciaires pour insolvabilité.
Exemple : une banque X a accordé un crédit d’investissement assorti d’une hypothèque de premier rang sur un immeuble immatriculé à une société. La banque X a procédé à l’inscription de son hypothèque à la Conservation de la Propriété Foncière. Après une année, la société a obtenu un crédit complémentaire auprès de la banque Y (sans le pari passu de la banque X). Suite à des difficultés financières, la société n’a pas honoré ses engagements de paiement et la banque X a procédé aux poursuites judiciaires et a engagé une affaire en vente immobilière pour la réalisation de son hypothèque. En cas de la réalisation de la vente, la banque X est prioritaire dans la distribution du produit de la vente. La banque Y se trouve, soit écartée de la distribution, soit colocataire dans le reliquat du produit de la vente. La banque Y aurait pu être prioritaire au même rang que la banque X dans la distribution des deniers si elle a eu son pari passu.
Toutefois, le principe du pari passu connaît des limites. En effet, le pari passu n’a plus d’effet en cas de la non-inscription de la garantie. Une banque qui n’a pas inscrit son hypothèque ne pourra jamais se prévaloir de son pari passu avec une autre banque qui détient une hypothèque inscrite. Dans ce cas, les règles générales de distribution s’appliquent. En effet, en application de l’article 278 du code des droits réels « l’hypothèque ne se constitue qu’après son inscription… ». La banque dont l’hypothèque n’est pas inscrite est considérée comme créancier chirographaire, malgré sa possession d’un pari passu. Cette hypothèse ne se présente pas en cas d’hypothèques notariales, le pari passu garde tous ses effets puisque l’inscription au registre foncier est remplacée par la mention de l’hypothèque sur le titre de propriété portée par deux notaires (article 278 du code des droits réels).
Notons, enfin, que le législateur tunisien a accordé des privilèges très importants aux banques qui ont bénéficié d’un pari passu auprès d’autres établissements de crédits qui détiennent des états de liquidation obtenus sur des crédits d’investissement octroyés sur des fonds garantis par l’État. En effet, partant du principe que les créances de l’État sont des créances privilégiées, remboursables en priorité, le législateur tunisien a consacré ce principe pour les banques octroyant des prêts sur une ligne de crédit garantie par l’État. Et ce, en leur accordant la possibilité de discerner des états de liquidation signés par le ministre des Finances pour se faire rembourser en priorité. Le principe est qu’une créance assortie d’un état de liquidation est une créance privilégiée. L’article 65 de la loi n°113 du 30 décembre 1983 portant lois de finance pour la gestion 1983 stipulait que : « Le bénéfice du privilège général reconnu à l’État en vertu de l’article 33 du code de la comptabilité publique est étendu aux prêts accordés par les banques sur des ressources budgétaires garanties par l’État. En cas de concurrence, il est donné préférence aux créances de l’État.
Le recouvrement des créances au titre des prêts susvisés est poursuivi au moyen d’États de liquidation conformément aux dispositions des articles 26 et 27 du code de la comptabilité publique. Ces états de liquidation sont décernés par les Présidents Directeurs Généraux des banques concernées et rendus exécutoire par le ministre des Finances.
Les dispositions de cet article ne sont applicables au secteur agricole qu’en cas de calamités naturelles ».
Cet article a été abrogé par la loi n° 91-98 du 31 décembre 1991 portant loi de finance pour la gestion 1992 dans son article 70 qui a ajouté un paragraphe à l’article 65 susmentionné, stipulant que : « Cet article ne s’applique pas également dans le cas où le projet bénéficie d’un cofinancement sous forme de crédits à moyen et long terme accordés sur les ressources bancaires et sur la base de garanties de même nature et de même rang ».
Désormais, les banques, munies d’état de liquidation, ne peuvent plus se prévaloir du privilège de l’État quand il s’agit des crédits d’investissement octroyés en pari passu avec d’autres bailleurs de fonds. Ce principe consacré par le législateur a encouragé les autres banques à cofinancer des entreprises qui ont bénéficié de crédits octroyés sous la garantie de l’État sans soucis d’écartement en cas de distribution judiciaire.