Télétravail, ajustement de l’offre, … les entreprises tunisiennes ont multiplié les actions pour s’adapter au contexte inédit du Coronavirus. Certes, certains secteurs ont été lourdement touchés par la crise, mais bon nombre d’entreprises ont su s’adapter et adapter leur offre. C’est que ces dernières ont fait preuve d’agilité, une caractéristique clé pour survivre en temps de crise. Car avec l’incertitude qui règne, rien ne sert de posséder la meilleure stratégie, il faut être le plus rapide à exécuter. À vrai dire, les entreprises tunisiennes ne sont pas les premières à faire ce constat, loin de là.
Agilité : quel apport ?
À la fin de la deuxième guerre mondiale, les constructeurs automobiles japonais étaient face à une crise sans précédent : avec un accès limité au financement et une économie lourdement impactée par la guerre, ces industriels n’étaient pas en mesure de concurrencer leurs homologues américains. Les véhicules de l’Oncle Sam étaient plus puissants, plus sexy et, surtout, moins chers. Mais tout a changé grâce à Sakichi Toyota, fondateur de Toyota. Son approche, à l’époque, était inédite : the Toyota way. Les principaux objectifs de cette approche étaient d’éviter les surcharges et les incohérences et d’éliminer les gaspillages.
Résultat : la petite entreprise était capable d’adapter plus rapidement ses produits aux attentes des clients, offrant des véhicules d’une meilleure qualité et à des prix nettement plus compétitifs. Toyota a même pu s’imposer sur le marché américain ! “L’agilité est le résultat d’un constat que les méthodes classiques, basées sur des cahiers des charges et des équipes en silos ne permettaient pas de satisfaire convenablement les besoins des clients”, a indiqué Slim Mesfar, expert en agilité et CEO de BeAgile.
Dans les années 90, le secteur de l’IT a découvert les avantages des principes développés par Toyota et a commencé à les implémenter dans ses processus. Les systèmes d’information conçus étaient de plus en plus complexes et coûteux à concevoir et à mettre en place. Mais les études ont démontré que les ⅔ des fonctionnalités intégrées dans ces systèmes n’étaient pas utilisées par les end users, a noté l’expert. “La meilleure solution pour éviter ces problèmes est d’adopter une approche value-driven”, ayant comme principal élément la valeur ajoutée fournie au client, a noté Mesfar.
Aujourd’hui, le concept d’agilité s’est enrichi de l’expérience acquise dans le développement logiciel via les méthodes agiles (XP, Scrum, Kanban…) et le manifeste Agile de 2001. Mais rechercher l’agilité au travers d’une formule ready-made serait une erreur, explique l’expert. Il est nécessaire de travailler à développer les capacités propres à chaque organisation en tenant compte de leur contexte spécifique et de leur culture propre.
Dessine-moi l’agilité
L’agilité permet donc d’éviter “l’effet tunnel” : se lancer dans un marathon pour le développement d’un produit ou d’un service sans communication aucune avec un environnement externe et/ou des utilisateurs, explique l’expert. Car, bien que ce mode d’emploi soit le plus simple à mettre en place, il peut causer d’importantes inefficiences. Imaginez une équipe travaillant durant des mois, voire des années, sur un projet sans avoir aucun feedback, pour découvrir, à la fin, que ce qu’elle a créé ne correspond vraiment pas aux attentes réelles des clients.
“Non seulement ceci aura un impact dévastateur sur le moral des équipes, mais aussi engendrera des pertes considérables, sans parler de l’insatisfaction du client”, a indiqué Mesfar. Pour éviter cela, la méthode agile consiste à subdiviser un projet en une série de “sprints” de moins d’un mois, souvent de deux semaines. À la fin de chaque sprint, les équipes présentent leur avancement aux stakeholders qui offrent alors leur feedback et guident l’avancement du projet, soit en ajoutant de nouvelles fonctionnalités soit en apportant des modifications sur les fonctionnalités déjà créées.
“Il est clair que la méthode agile permet de gagner considérablement en temps et en ressources”, a noté l’expert. Aussi, cette méthode permet de s’adapter rapidement si, en cours de chemin, un nouvel besoin fait surface. Ceci est d’autant plus important aujourd’hui que nous vivons dans monde VUCA. “Tous les secteurs sont donc concernés par l’agilité, y compris l’industrie”, a signifié le CEO de BeAgile. Et d’ajouter : “Les industriels font largement appel à la méthode agile dans la R&D pour assurer que leurs produits répondent aux besoins des consommateurs avant de lancer leur industrialisation”.
Comment une entreprise peut-elle devenir agile ?
“L’agilité est avant tout un mindset et une entreprise ne peut se transformer du jour au lendemain en une entreprise agile”, a souligné notre interlocuteur. “Il faut faire l’agilité dans l’agilité”, a-t-il ajouté. Tout commence bien évidemment par dresser un état des lieux pour détecter les axes d’amélioration, aussi bien au niveau des compétences, des process et/ou du produit. “Une entreprise peut être agile sans pour autant appliquer la méthode agile de manière formelle”, a souligné l’expert. Ce manque de formalisme peut toutefois s’avérer néfaste en impactant la productivité, voire même la qualité du produit. Ce premier rapport va permettre de décider de l’approche agile que l’entreprise va adopter (Kanban, Scrum, …).
Par la suite, il est essentiel de mettre en place une gouvernance efficace et de renforcer les compétences des équipes de manière à ce que chaque collaborateur sache bien son rôle dans la nouvelle organisation. “Il faut prendre le temps de bien expliquer la nouvelle approche aux collaborateurs afin que l’ensemble des équipes soient sur la même longueur d’onde”, a indiqué l’expert. Et ce n’est qu’à cette étape que l’entreprise peut démarrer ses efforts de transformation agile. Mais rappelez-vous : il faut faire l’agilité dans l’agilité. Inutile donc de lancer une titanesque campagne pour tout agiliser à la fois.
En fait, l’expert recommande de commencer par des projets tout en s’assurant de choisir ceux qui permettront de montrer le plus clairement possible l’apport de l’agilité. Il va sans dire, le support du management est crucial pour le succès de cette étape. Le management est aussi appelé à adapter les incentives pour encourager les employés à adopter rapidement la nouvelle approche, par exemple, en célébrant les membres de l’équipe qui démontrent leur capacité à adopter la nouvelle méthode de travail.
Malheureusement, suivre ces étapes ne garantit en rien le bon déroulement des efforts d’agilisation de l’entreprise. Ainsi, une entreprise peut, par exemple, opter pour l’approche Scrum, exigeant de planifier les tâches à exécuter à l’avance pour chaque sprint, donc adapter pour pouvoir organiser et gérer un grand nombre d’urgences.
“Il est toujours important d’analyser l’avancement de l’entreprise et d’ajuster rapidement l’approche pour qu’elle répond au mieux aux besoins de l’organisation”, affirme Slim Mesfar. Dans notre exemple, une telle entreprise peut donc basculer à l’approche Kanban plus adaptée à la gestion des urgences.
Bien que la méthode agile ait fait ses preuves, l’expert a noté que cette méthode, seule, reste limitée. Selon lui, l’agilité opérationnelle doit être accompagnée par l’agilité organisationnelle et l’agilité stratégique. “Aujourd’hui, on ne parle plus de decision makers, mais de decision workers parce que ce sont les équipes sur le terrain qui ont la capacité à prendre les bonnes décisions”, a souligné Mesfar. “Si les entreprises veulent récolter les fruits de l’agilité, il faut qu’elles s’y mettent”.