Plusieurs grands groupes ont fourni en équipements et matériels médicaux les hôpitaux, souvent à court de moyens face à la pandémie de Coronavirus. D’autres ont ouvert leurs plateformes de divertissement, d’éducation ou encore de téléconsultation gratuitement à tous. L’importance de ces initiatives sociétales n’est plus à démontrer. Fort d’une grande expérience dans la gestion des projets de responsabilité sociale à Tunis comme dans les régions intérieures, Mehdi Mejdoub, Expert Senior en microfinance, développement et RSE nous livre les secrets et les champs d’action de programmes de RSE impactants.
L’annonce par Elyes Fakhfakh de mesures de confinement, en vigueur depuis le 22 mars dernier, a profondément bouleversé le rythme de notre vie mais aussi le monde économique. Les entreprises, déstabilisées dans leur production et leur organisation, ont dû adapter leurs activités à cette contrainte inédite. Cela n’a pas empêché nombre d’entre elles d’annoncer leur engagement à contribuer aux efforts de lutte contre le Coronavirus.
Alors que plusieurs grands groupes ont contribué au financement du fonds 1818 et/ou à équiper les hôpitaux, les plus petites structures ont également fait preuve de solidarité en fabriquant et distribuant masques et autres équipements de protection personnelle, voire même à rendre accessible gratuitement certains de leurs services et plateformes.
Toutes ces initiatives sont l’occasion pour les entreprises de traduire en actes leurs valeurs et d’affirmer leur responsabilité sociétale et de soutenir l’État dans l’incapacité de tout faire. Car, oui, les entreprises ont un rôle à jouer en prenant le relais des autorités publiques. Ceci n’est guère un phénomène nouveau, précédant l’apparition du Coronavirus de longues années. Déjà en 2019, les CEO des plus grandes entreprises américaines, réunis dans le Business Roundtable, ont signé un nouveau « mission statement » assurant que la mission de l’entreprise est de servir bien plus que ses actionnaires. “Investir dans ses employés et dans sa communauté est le seul moyen pour réussir à long terme”, lit-on dans ce document. Il s’agit ici de mettre fin à la théorie de primauté des actionnaires.
Aujourd’hui, les consommateurs et les salariés attendent davantage d’une entreprise que le simple fait de commercialiser des produits et services. On attend d’elles qu’elles agissent, aux côtés de l’État, pour contribuer à résoudre des problématiques qui vont au-delà de leur activité initiale. “Il est temps que “les entreprises intègrent la RSE dans leur core business”, a souligné Mehdi Mejdoub.
La RSE, un must
Ce qui distingue l’action sociétale de l’entreprise et fait d’elle un élément clé pour le développement économique, c’est la flexibilité dont jouissent les acteurs du privé … du moins comparée à l’État. Les initiatives lancées dans le cadre de la RSE tendent à avoir des résultats “rapides qui répondent aux besoins réels de la population”, a affirmé l’expert. Selon lui, cela fait de la RSE un mécanisme approprié pour faire face à des situations de crise … Il faut dire que le pays en a connu depuis une dizaine d’années. Face à cette crise et ayant fait constat de l’incapacité de l’État à répondre à toutes les revendications, le secteur privé s’est activé. C’est ainsi que se sont multipliées les initiatives visant à améliorer l’employabilité des jeunes et à offrir aux citoyens un cadre de vie optimal. Faisant référence à un projet qu’il a piloté, Mehdi précise « Déjà en 2015, quatre entreprises pétrolières actives dans le sud du pays se sont unies pour lancer des actions RSE communes. Ces entreprises, Etap, ENI, OMV et Medico Energy ont noué un partenariat avec le gouvernement articulé autour d’axes de développement prioritaires. Le succès de cette expérience fut sans équivoque ». En effet, les études d’évaluation et d’audit ont relevé que le programme a permis la création de plus de 1000 postes d’emploi en trois ans à Tataouine”, a -t-il souligné.
Une gouvernance spécifique
Comme tout projet, les actions RSE nécessitent la mise en place d’un modèle de gestion fiable pour assurer leur viabilité a indiqué l’expert. Et si les projets du consortium pétrolier ont eu le succès escompté, c’est grâce à une gestion optimale à plusieurs niveaux. D’abord, un comité de pilotage se composant de directeurs généraux d’entreprises du consortium, ainsi que d’un représentant du ministère de l’Énergie. Ce comité, qui se réunit tous les trois mois, est chargé de la gestion des axes stratégiques : plan d’action annuel, réalisations annuelles, … Le comité de gestion de projet, composé des directeurs RSE de ces entreprises, est quant à lui chargé du suivi mensuel de l’évolution du programme, alors qu’un bureau de consulting fait le suivi des projets sur terrain. L’Etap, elle, s’est chargée de la coordination entre le consortium et les autorités régionales. “Pour la mise en œuvre des projets, les membres du consortium ont opté pour un fonctionnement selon les modalités des marchés publics”, a précisé Mehdi Mejdoub.
Pour la construction d’une école, par exemple, c’est l’administration régionale de l’éducation qui lance un appel d’offre que le consortium valide par la suite. Les fonds ne sont ensuite débloqués qu’une fois que le projet ait été finalisé dans les normes. Il est clair ici que la valeur ajoutée de la RSE se trouve dans la flexibilité des mécanismes que les acteurs économiques, surtout privés, pourraient mettre en place pour atteindre des résultats rapides en période de crise. “Ces mécanismes sont aussi protégés par un mode de gouvernance qui assure la transparence et l’efficacité en se référant à des principes, politiques et standards internationaux comme ceux de l’IFC”, a-t-il indiqué. Cependant, ce qui est important à retenir est que le cadre de la RSE ne peut réussir que dans une logique de gagnant-gagnant. L’intervention des entreprises dans le cadre de la RSE doit, en effet, se faire avec l’appui de l’État. Les autorités ont en effet un rôle important pour la réussite de ces projets, notamment en termes de communication et de vulgarisation et évitant que les entreprises soient sous la pression de “groupes de pression” locaux, a-t-il souligné. Car, il est important de mentionner selon Mehdi Mejdoub que les entreprises complètent l’action de l’État et ne la remplacent pas. La coordination avec les autorités est aussi importante pour assurer l’optimisation des actions des entreprises.
Un champ d’action large
Ainsi, que ce soit pendant une crise sanitaire, économique ou sociale, l’expérience a montré que le secteur économique (public et privé) peut fortement contribuer aux efforts de développement à travers ses initiatives sociétales. Ceci demeure vrai pour le post-Coronavirus. L’expert a donc appelé à réfléchir dès maintenant à concevoir des cadres institutionnels de partenariat public-privé pouvant donner naissance à des initiatives structurées de RSE. L’objectif, selon lui, est de rendre l’action RSE plus impactante loin de l’action charitable dont les effets sont souvent ponctuels. Il s’agit, en effet, de mettre en place une plateforme favorisant un changement de paradigme et une véritable révolution dans le processus de développement, dans lequel interviendrait les secteurs publics et privés avec une logique de gagnant-gagnant. D’après Mejdoub, ces interventions pourraient se focaliser sur quatre domaines prioritaires.
La recherche scientifique. La crise a démontré, encore une fois, l’importance de la R&D pour trouver des solutions aux problématiques de la société. Les réussites qui ont été enregistrées par les chercheurs Tunisiens interviennent dans des conditions défavorables. Ceci est surtout clair avec des fonds dérisoires alloués à la recherche, a noté Mejdoub. Selon lui, il faut assurer un renforcement des moyens financiers et l’adoption d’une logique de discrimination positive de la part du gouvernement vis-à-vis des outputs des créateurs tunisiens pourraient changer le paysage industriel. Car l’apport du secteur privé peut être considérable en apportant son support à la recherche.
De même pour la digitalisation. En effet, la RSE pourrait orienter des appuis directs aux startups pouvant apporter leur soutien à l’État en matière de numérisation, a souligné l’expert.
Le troisième domaine est celui de l’inclusion financière. Ici, Mehdi Mejdoub rappelle ce que disait Schumpeter “il n’y a pas de développement économique sans un développement financier”. Dans ce cas de figure, il est possible de s’inspirer des expériences RSE à Tataouine et Kébili, qui ont apporté leur soutien aux partenaires financiers visant les populations exclues, a noté l’expert. Et d’ajouter “Ces apports ont permis de booster l’entrepreneuriat, comme alternative à l’emploi dans le secteur de l’énergie qui est faiblement recruteur”.
La RSE peut également intervenir pour accélérer le développement dans les régions riches en énergies extractives ― plus particulièrement au Sud. Les entreprises pétrolières, cités ci-dessus, peuvent jouer un rôle important à créer une dynamique économique pérenne. Car, comme le note l’expert, l’approche déployée par l’État, notamment à travers les sociétés de l’environnement, n’est pas efficace … coûtant des dizaines de millions de dinars au contribuable.
Dans un monde post-Coronavirus, il est clair que les entreprises et l’État connaîtront des changements drastiques. Mettre en place des programmes RSE, dans le cadre de PPP, pourrait transformer la société de demain.