Deux mois se sont écoulés depuis l’annonce de la crise sanitaire du Covid-19 à nos portes. Les premières semaines ont fait lieu de réflexions et actions sur un plan sanitaire en priorité absolue. Vient en second plan, les mesures d’ordre économique dont l’objectif premier est de venir en aide aux entreprises sinistrées en arrêt d’activité. Le premier lésé dans ce cadre est sans conteste le salarié. Résigné à un confinement total, il est soit en chômage technique, soit en travail partiel ou encore télétravail. Les entreprises étant en arrêt d’activité, se trouvent à mal et peinent à s’acquitter des salaires de leurs employés. Newport, une enseigne d’une PME 100% tunisienne qui opère dans le textile et plus précisément dans le prêt-à-porter, en a fait, pour sa part, les frais. Néanmoins, ne manquant pas de ressources, et voyant se profiler une opportunité réunissant action RSE et réalisation de rentrée d’argent garantissant le paiement des salaires, l’enseigne n’a pas réfléchi à deux fois: réorientation de l’activité vers la confection des masques et des combinaisons de protection. Latifa Bellalouna, PDG de la PME, parle de cette nouvelle aventure faisant la fierté de l’enseigne et de tout le personnel.
La RSE en première ligne
À l’arrivée du mois d’avril, la question de paiement des salaires s’est très rapidement posée ? Les boutiques de l’enseigne Newport sont fermées, la production du prêt-à-porter est suspendue et les ouvrières, personnel et cadres sont de ce fait, à l’arrêt. Aucune rentrée d’argent donc, mais des charges dont essentiellement la masse salariale sont toujours d’actualité. Latifa Bellalouna explique : “Il fallait réfléchir à une solution alternative afin de garantir les salaires de tous les employés qui ont des obligations et des dépenses à assurer de leur côté. Nous avons dès lors tout de suite pensé à la conversion de notre activité vers celle de la confection des masques et combinaison de protection. Comme vous le savez, la problématique de la trésorerie se pose rapidement pour les PME. Nous avons voulu éviter des scénarios pas très favorables comme le chômage technique ou les licenciements”. Une fois l’idée validée par les concernés au sein de l’entreprise, place à la réflexion sur une stratégie d’opération en vue de consacrer au mieux l’efficacité et l’optimisation de celle-ci. La propriétaire de la marque Newport évoque une stratégie étalée sur quatre phases.
“La première étape a été celle de faire de la RSE (Responsabilité sociétale de l’entreprise) qui s’est traduit par la consécration de l’activité à 100% à la fabrication des masques. Bien entendu, nous avons d’abord appelé toutes les ouvrières à regagner leurs postes et ce, en mettant en place des mesures de sécurité et d’hygiène particulières. En effet, il a été question d’assurer le transport des ouvrières par nos propres moyens, de désinfecter l’usine deux fois par jour, de désinfecter l’atmosphère toutes les trois heures au sein de l’unité de production, la distanciation entre les ouvrières ainsi que leur port de masques et de gants”. La première mission est donc réussie, elle est d’ailleurs indispensable, et elle n’était pas gagnée d’avance car il fallait convaincre les employés qu’ils pourront travailler dans des conditions d’hygiène rigoureuses. Ce que Newport a produit dans un premier temps en matière de masques a été distribué gracieusement à des associations, des bénévoles, des hôpitaux, et notamment des agents du corps de la sécurité nationale. Pour donner un chiffre illustrant cette action : plus de dix milles masques ont été fabriqués et distribués par Newport.
Une conversion fluide
Convertir son activité d’une branche à une autre, qui plus est en temps de crise sanitaire mondiale, n’est pas chose facile. Toutefois, dans le cas d’espèce, cette conversion a été caractérisée par une grande fluidité. En effet, Latifa Bellalouna indique : “Afin de passer de la production du textile en prêt-à-porter à celle des masques, il n’y a pas eu de procédures particulières à mettre en place. D’autant plus qu’il s’agit de répondre à deux besoins urgents: d’abord, fournir la protection nécessaire en l’occurrence au corps médical, et ensuite répondre à un besoin économique relatif au paiement des salaires. Sachant que nous n’étions pas certains de pouvoir relever ce défi”. Deux objectifs majeurs ont donc motivé la conversion et sa mise en place. Qu’en est-il de l’aspect technique et structurel ? A cela, Latifa Bellalouna réplique : “C’est là tout l’intérêt de la PME, c’est une petite structure caractérisée par l’agilité et la flexibilité. Il n’existe pas de nombreux process qui ralentissent cette conversion. Il fallait simplement mobilier les ressources humaines, et acquérir le savoir-faire et la technicité de la fabrication des masques”. Vient ensuite la phase 2 de la stratégie d’opération. Une phase qui concerne principalement la commercialisation des masques. Car en distribuer gracieusement, est une action solidaire mais qui ne remplit pas la mission économique de l’entreprise. Face à cela, il fallait trouver la bonne équation associant la quantité de masques distribuée sous forme de dons et celle qui sera commercialisée.
Un masque à la portée de tous !
Commercialiser les masques est, en effet, une question à considérer avec un grand sérieux. Nombreux sont ceux qui se plaignent d’un manque de disponibilité des masques distribués selon les canaux classiques comme dans les pharmacies ou les parapharmacies. Newport a pensé à un canal de distribution en faveur du citoyen : faire une livraison à domicile. Latifa Bellalouna explique : “Ceux qui ont besoin de nos masques n’ont qu’à nous téléphoner ou nous contacter via les réseaux sociaux et nous faisons le nécessaire pour les équiper à travers notre système de livraison à domicile. Nous avons d’ailleurs été sollicités par les entreprises qui envisagent de reprendre le travail ainsi que les pharmacies et les médecins privés. Nous avons une capacité de production de 2000 masques par jour, ce qui ne nous permet pas de participer aux appels d’offre lancés par le gouvernement pour la mise à disposition de 3 millions de masques à travers la Pharmacie Centrale. C’est pourquoi nous nous adressons à d’autres marchés”. Il convient de mettre en exergue l’opération 3 millions de masques qui n’a toujours pas montré ses premiers résultats. La PDG de Newport explique d’ailleurs, que la disponibilité des masques au sein des pharmacies fait défaut et traduit de ce fait, le non-aboutissement de l’opération en question. Un constat rendu possible à cause des procédures bureaucrates liées aux appels d’offre mais qui ne devraient pas avoir place en ces temps de grande crise sanitaire et économique. Rappelons à ce propos, que le confinement arrive à terme et qu’afin d’assurer un déconfinement sécurisé, le port du masque devra être généralisé autant que peut se faire.
Démocratiser le port du masque
Porter un masque peut s’avérer être un fardeau pour une belle frange de citoyens. C’est pourquoi, Newport a travaillé sur la question de comment rendre le port du masque ludique et confortable. “Nous sommes partis sur la confection de masques plus colorés, plus branchés tout en essayant de créer le buzz sur leur mise sur le marché. Cette phase est la troisième de notre stratégie. Bien entendu, nous n’avons souffert d’aucun compromis en termes d’exigences sanitaires pour nos masques. Ils sont lavables donc réutilisables, ils sont conçus avec trois couches en coton et polyester” indique Latifa Bellalouna poursuivant sur la confection de combinaison spéciale fourre tout en permettant de se protéger lorsque l’on est dehors sans être obligé de changer ses vêtements à chaque entrée et sortie de chez soi. A dire vrai, il s’agit essentiellement d’une mise en place de produits dérivés au masque comme les bandeaux assortis et qui font d’ailleurs ravage. L’idée est surtout de motiver et encourager les citoyens à porter le masque sans qu’ils n’y voient une forme de fardeau.
Voici donc l’histoire d’une aventure à succès née pourtant des tripes d’une crise sanitaire et économique aux répercussions fort fâcheuses sur le monde entier. Encore une action RSE faisant montre d’une solidarité aussi bien vis-à-vis des professionnels de la Santé mais également des employés lésés par le confinement total et l’arrêt de travail. Latifa Bellalouna se dit fière en ce 1er mai, de prendre acte de l’engagement solidaire des employés de Newport dans un élan de solidarité grandissant et qui offre des perspectives prometteuses pour une PME tunisienne.