Avec le confinement, la crise sanitaire liée au Corona est sur le point de déclencher une crise économique. C’est aussi l’opportunité de rompre quelques anciens modèles et de se renouveler. Hayet Rais, Chairwoman de GroupM Tunisia nous en dit plus.
Selon vos premières estimations, quel est l’impact de la corona-crise sur le comportement des consommateurs ?
Comme partout dans le monde, le Tunisien est en état de choc. En effet, une étude qui a été réalisée par mLife a révélé que 89% des personnes sondées indiquent avoir changé de comportement suite au décret du confinement. D’un autre côté, 59% affirment avoir peur et qu’ils ont été subitement confrontés à un changement d’attitude et de comportement. Ces perturbations concernent aussi les déplacements que les habitudes de consommation. À cela vient s’ajouter le fait que 53% des sondés ont indiqué être en arrêt de travail, contre seulement 16% qui font du télétravail. Le problème est que la grande majorité de la population ne s’est pas préparée à cette crise ― par exemple, seulement 50% indiquent avoir un stock de nourriture. Sur ce point, on a constaté une orientation vers les produits alimentaires non-périssables et de première nécessité.
Quels sont les secteurs les plus touchés ?
Bien évidemment, les secteurs qui ont été les plus touchés sont le transport, notamment aérien, le tourisme, et l’industrie pétrolière et automobile. De leur côté, les telcos et les industries pharmaceutiques ont tiré leur épingle du jeu. En ce qui concerne la grande distribution, nous avons remarqué un ralentissement durant les premiers jours de la crise et ce, parce que le secteur n’était pas assez préparé. Ce retard a été récupéré par la suite. Pour les industries alimentaires, les industriels continuent de produire dans la mesure du possible ― bien qu’ils ont dû diviser en deux leur capacité de production à cause du confinement et des difficultés logistiques qui en découlent.
Décidément, le digital jouerait un rôle plus important dans le parcours client. Comment les marques peuvent-elles se préparer au monde de l’après-Coronavirus ?
Tout à fait. Une étude qui a été faite ailleurs dans le monde prévoit une hausse de 300% de l’e-commerce, comparé à l’ère pré-Covid. Une tendance similaire a été enregistrée en Tunisie. D’ailleurs, plusieurs sites d’e-commerce et de livraison se sont retrouvés très vite à la limite de leur capacité. Ils sont tous en train de s’adapter. En Tunisie, la consommation du digital a toujours été similaire à ce qui se passe dans les pays développés. Et le confinement n’a fait que renforcer cette tendance : la connexion a augmenté de 70%, les engagements sur les réseaux sociaux ont augmenté de 63%, et la moyenne de connexion par jour est passée à … 6 heures ! De l’autre côté, nous avons plusieurs marques qui n’ont aujourd’hui toujours pas de site web, se contentant seulement d’une page Facebook. Pour les entreprises, le site web doit être le core du business. Une présence sur le web ainsi qu’une application mobile, même simple, sont aujourd’hui un must pour exercer son activité. Il faut aussi que les entreprises comprennent l’importance de la data pour mieux intégrer les besoins de leurs clients. La bonne nouvelle est que durant le confinement, on a constaté une plus grande interaction entre les consommateurs et les marques, ce qui est une source importante de data.
Certaines marques sont à l’arrêt. Doivent-elles tout de même continuer à communiquer ?
Sous l’emprise du confinement, plusieurs marques se sont retrouvées obligées d’arrêter momentanément leur activité. Cela n’est pas une raison pour rompre complètement la relation avec le consommateur qui doit continuer même en l’absence d’un retour immédiat sur l’investissement. Les études ont en effet prouvé qu’une marque qui arrête de communiquer pendant une certaine période doit investir entre 3 et 5 fois plus après pour reprendre sa position en termes d’appréciation par rapport au consommateur. Une étude a même démontré aussi que l’arrêt de communication de 4 à 6 mois peut engendrer une baisse de notoriété allant jusqu’à 40%. Cela dit, la prise de parole en ces temps de crise doit être bien étudiée. Les consommateurs s’attendent, par exemple, à ce que les marques apportent une contribution positive à la société. Aussi, 55% des consommateurs considèrent que le maintien de la publicité pendant cette période est rassurant. Ceci nous rappelle la période de l’après-révolution; à l’époque, 65% ont considéré la publicité comme signe de continuité de la vie.
Que recommandez-vous ?
D’après 38% des Tunisiens, les marques doivent donner des conseils pour aider les citoyens à se protéger contre le Covid-19. Aussi, les consommateurs veulent que les marques soutiennent les autorités dans leurs efforts. Les marques doivent aussi faire preuve de transparence et surtout d’agilité en répondant aux besoins des consommateurs en ces temps difficiles. Cependant, il faut se limiter à des actions en cohérence avec son activité principale au risque de paraître opportuniste. Aussi, les marques doivent faciliter, dans la mesure du possible, l’accès à leurs produits. Un vendeur de poulet contraint de fermer son point de vente peut faire appel aux livreurs indépendants pour délivrer ses articles aux consommateurs. La manière dont ces entreprises traitent leurs employés durant cette crise est aussi un élément clé. En effet, une marque qui se préoccupe avant toute chose de ses employés est une marque qui est perçue comme responsable et digne de confiance. Toute marque doit donc rassurer ses employés en prenant des dispositions engageantes ― même si cela pourrait avoir un impact sur la rentabilité. Et n’oubliez pas : en ces temps de crise, il vaut mieux faire plus et parler moins.
Comment le secteur de la communication pourrait-il se réinventer ?
Il faut que le secteur se digitalise davantage. Et puisqu’il s’agit de la communication, nous devons écouter nos clients qui sont dans la souffrance et qui ont besoin d’être accompagnés et guidés par des experts. Notre rôle n’est plus de produire des créas, mais aussi d’accompagner nos clients à saisir les nouvelles opportunités.
Il faut aussi qu’il y ait plus de solidarité entre les agences, petites et grandes; entre les agences et les médias, … Et n’oublions pas l’urgence de s’ouvrir sur le monde de la technologie et tendre la main à nos talents dans ce secteur en jouant le rôle d’incubateur et de facilitateur.