Les réseaux sociaux et les professionnels crient ces derniers jours à la baisse du Taux Directeur de la BCT afin de donner un coup de pouce aux entreprises dans ces moments économiques difficiles. La Fed, la Banque Centrale Européenne et la Bank of England l’ont fait afin de faciliter le financement des entreprises. Elles ont également accentué leurs programmes d’achat d’obligations pour garder une demande privée pour les titres de créance corporate.
Faible marge de manœuvre
Cette recette peut-elle fonctionner en Tunisie ? Supposons que les entreprises vont bénéficier d’une baisse de 200 ou même 300 points de base du taux appliqué sur leurs encours de dettes, est-ce que cela va permettre de conserver les emplois et payer régulièrement les salaires ? La réponse est évidemment négative.
Les charges les plus importantes pour nos entreprises sont celles sociales et fiscales. Et pour être clair, il ne faut pas compter sur l’Etat pour les rééchelonner ou reporter pour une simple raison : les recettes fiscales sont la principale ressource pour pouvoir fonctionner et payer ses salaires. Idem pour les Caisses sociales qui ne pourront pas payer les retraites si les cotisations ne sont pas encaissées. La marge de manœuvre est extrêmement réduite. Inutile donc de demander au Gouvernement quelque chose qu’il ne peut pas faire.
Et même si l’Etat décide de prendre en charge les employés les plus fragiles, comment il pourra le faire ? Des dizaines de milliers de personnes travaillent sans être déclarés auprès des Caisses sociales par leurs employeurs. Elles n’ont aucune trace. Malheureusement, c’est la réalité qu’il faut regarder et traiter immédiatement après la fin de la crise.
Optimiser les décisions
Retournons maintenant à la BCT. Avec la forte consommation de ces dernières semaines et la révision à la hausse des prix des cigarettes, il y aura certainement quelques tensions inflationnistes. Baisser le Taux Directeur ne ferait que les accentuer. Le bon sens est de rationaliser l’intervention de sorte à pouvoir garder la main sur l’indice des prix tout en limitant l’impact de la crise sur le tissu économique.
L’examen détaillé du niveau d’endettement des entreprises privées (59,870 milliards de dinars fin 2018) peut aider à détecter les bonnes décisions à prendre. Par secteur, et selon les chiffres de la BCT fin 2018, les services et l’industrie sont les principaux consommateurs de crédits bancaires. L’agriculture ne représente pas un grand problème (encours de crédits de 2,629 milliards de dinars) car il s’agit du secteur le plus flexible sur tous les plans et il suffit de soutenir la chaîne de production avec quelques dizaines de millions de dinars.
Dans l’industrie, les crédits à court terme représentent plus de 71% de l’encours de dettes contre 48% pour services. Cela signifie que la priorité pour le secteur industriel est de fournir liquidité pour financer leur BFR. Pour le service, la même politique doit être suivie pour le segment « commerce, réparation automobiles et articles domestiques » qui représente 37,5% de l’endettement total, dont 73% à court terme. D’autres secteurs comme les télécommunications et les sociétés financières ne sont pas une priorité immédiate.
Pour traiter cette urgence, la BCT peut fournir plus de refinancement aux banques, et elle est capable de le faire. Toutefois, les sommes servies doivent correspondre aux montants dont les entreprises ont besoin pour survivre. Chaque banque traite les dossiers de ses clients et passe ses demandes de refinancement au régulateur. L’entreprise pourra ainsi couvrir son BFR, y compris le remboursement de ses échéances bancaires. Ce mécanisme soulagera aussi bien les PME que les établissements de crédits qui pourront éviter le scénario noir de l’explosion des impayés. Reste à préciser que la BCT doit geler temporairement son ratio Loan-to-Deposit pour ne pas entraver ce mécanisme.
La question de la bonification des taux est une affaire du Gouvernement, à l’instar de la prise en charge de 3% récemment lancé. Les banques ont une gestion actif-passif qui leur impose des taux élevés. Cela entre dans le cadre des mesures budgétaires que l’exécutif doit prendre.
Penser plus loin
L’intervention de la BCT doit tenir compte non seulement de l’aspect liquidité, mais aussi de la solvabilité du secteur. Nos établissements de crédit ont un business modèle classique, basé sur la création monétaire. Par rapport aux normes prudentielles locales, encore loin des exigences de Bâle III, elles sont borderline. Une baisse brutale des taux va secouer leurs bénéfices et donc leurs efforts pour accumuler des réserves qui peuvent servir à de futures recapitalisations.
Il faut mettre en tête que la simple révision du Taux Directeur n’est pas la baguette magique. Les banques centrales étrangères l’ont fait mais les marchés ont continué leur chute car ils savent très bien que la subvention des banques ne fait qu’entraîner des ruptures dans les mécanismes de financement de l’économie réelle. Peu de mesures budgétaires et monétaires, mais qui vont droit au but, sont beaucoup plus efficaces.