Des fabricants de micro-puces aux constructeurs d’avions de ligne, les entreprises du monde entier semblent évoquer un nouvel argument de vente : l’efficacité énergétique. Dans un contexte climatique et énergétique marqué par la volatilité, avoir la machine la plus performante ne suffit plus : il faut aussi qu’elle consomme le moins possible d’énergie. Pour y arriver, les ingénieurs ont intensifié leurs efforts … et ont puisé dans leur savoir et leur créativité. Car, pour sauver la planète, point d’autre choix que d’innover.
Les énergies renouvelables sont souvent citées comme l’une des solutions phares pour la réduction de gaz à effet de serre émis par la consommation énergétique. Un pilier non moins important de la transition énergétique, et qui est généralement moins coûteux, est l’amélioration de l’efficacité énergétique des systèmes déjà en place. En d’autres termes : rendre ces systèmes capables de garder le même niveau de production tout en consommant moins d’énergie. Pour ce faire, il est généralement nécessaire d’implémenter des changements comportementaux et opérationnels qui rendent plus intelligente l’utilisation des technologies existantes. L’amélioration de l’efficacité énergétique a un impact considérable sur les dépenses énergétiques.
Prenons un exemple simple. Les appareils électroménagers actuels, étant plus efficaces, consomment 40% moins d’énergie que les modèles de 2001. Dans cette optique, si tous les ménages européens remplaçaient leurs appareils électroménagers de plus de dix ans par des appareils neufs, 20 milliards de kWh d’électricité seraient économisés chaque année. C’est ce qu’a dévoilé une étude réalisée par McKinsey. Aux États-Unis, ce chiffre est estimé à plus de 17 milliards de kWh d’électricité. Cet engouement pour des systèmes plus efficaces a accéléré le rythme des investissements dans l’efficacité énergétique par rapport à ceux effectués dans d’autres secteurs énergétiques.
En 2016, ces investissements ont atteint environ 230 milliards de dollars, soit 9 % de plus que l’année précédente et 15 % de l’investissement total du secteur énergétique, d’après les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie. Le contexte énergétique Tunisien est marqué par une croissance continue de la consommation de l’énergie primaire conjugué à un déclin important des ressources énergétiques, ce qui a engendré un déficit structurel de l’ordre de 5 Mtep en 2018. En termes de dépendance énergétique, ce déficit représentait 52% de la consommation d’énergie en 2018 contre 5,3% en 2010. Au niveau du déficit de la balance énergétique, celui-ci a atteint en 2018 plus de 32% du total du déficit commercial de la Tunisie. Ce déficit s’est creusé de 53% en 2018 pour atteindre un record de 6,18 milliards de dinars, selon la plateforme taketna). En effet, les importations sont sur une tendance haussière depuis quelques années.
C’est dans ce contexte que la Tunisie a misé, elle aussi, sur l’amélioration de l’efficacité énergétique. Ainsi, les contrats programmes dans l’industrie ont permis des économies d’énergie évaluée à 2.5 Mtep durant la période de 1987 à 2017, soit à peu près 75% de la consommation du secteur de l’industrie et ont permis de mobiliser un investissement global de 500 Millions de DT. Dans le domaine des Energies renouvelables, la capacité installée (éolien + hydraulique) est de l’ordre de 302 MW en 2017 soit 5.9% de la capacité totale installée. La production électrique à partir des centrales éoliennes et des centrales hydrauliques en 2017 a atteint 467 GWH, soit 2.3 % de la production électrique nationale.
D’autre part, le programme Prosol Elec qui concerne la production de l’électricité à partir des panneaux photovoltaïques installés sur les toits et connectés au réseau a permis jusqu’à 2017 d’avoir 16771 installations, soit l’équivalent de 48,7 MWc, selon les données de l’ANME et de la STEG. Le constat est donc évident : il faut faire de plus gros efforts afin d’assurer la transition énergétique et l’efficacité énergétique. Or, les énergies renouvelables ne représentent que 3% du mix énergétique national, comme l’a rappelé, de son côté, Kais Mejri, DG de la direction générale de l’innovation et du développement technologique au ministère de l’Industrie et des PME. Néanmoins, la Tunisie affiche une détermination ferme de réduire sa dépendance aux énergies fossiles, se donnant comme objectif de réduire la demande de l’énergie de 30% et de multiplier par 10 la part des énergies renouvelables dans la production électrique d’ici 2030.
Bien entendu, ce n’est pas seulement à la Tunisie de faire des efforts. Tous les pays du monde, particulièrement les plus développés et les pays émergents, doivent apporter leurs pierres à l’édifice. Des accords ont déjà été conclus dans cette optique – à l’instar de l’Accord de Paris -, mais peu de progrès ont été constatés en matière de lutte contre les changement climatique ce qui explique les mouvements dans le monde pour accélérer l’action climat.
La COP 25, une occasion pour renforcer l’échange autour de l’innovation et du transfert technologique
Le changement climatique, qui était jusqu’à un passé très proche une problématique “lointaine”, se fait désormais cruellement sentir. Les catastrophes naturelles liées au climat se succèdent avec une intensité qui monte en crescendo. Lutter contre ce phénomène mondial aux conséquences dévastatrices s’impose alors sur le devant de la scène. Et pour preuve toute l’importance donnée par la communauté internationale aux conférences annuelles sur le changement climatique organisées par les Nations Unies : les fameuses COP. Selon Afef Jaafar, chargée de la direction des études et de planification, la mobilisation à travers la COP permet aussi de faire le suivi des nouvelles tendances dans le monde en matière d’énergie. “Ceci nous permet de nous positionner et d’anticiper les décisions qui seront prises à l’issue des négociations”, a-t-elle précisé. L’autre volet sur lequel l’ANME est en train de travailler : les articles de l’accord de la COP21, notamment l’article 6. Le texte, poursuit-elle, comprend les dispositions relatives au “marché carbone”. Ce dernier peut, en fait, constituer une source additionnelle de financement, permettant d’investir dans des projets orientés vers la maîtrise de l’énergie. “Nous essayons d’anticiper au niveau des autres articles de l’Accord de Paris afin de mieux nous positionner. Après le protocole de Kyoto – signé en décembre 1997 et entré en vigueur en février 2005 -, de nouvelles opportunités ont fait leur apparition aujourd’hui. Nous devons donc les suivre”, a expliqué la chargée de la direction des études et de la planification.
D’autre part, il est important de travailler sur la transparence. D’après Afef Jaafar, il est nécessaire de montrer que la réduction des émissions des gaz à effet de serre est réelle. “Nous veillons à ce qu’il n’y ait pas de double comptage et à ce qu’il y ait un suivi de ce qui est en train d’être accompli. Sans cette transparence, il sera difficile de décrocher des financements. Nous appliquons, de ce fait, un système MRV (Monitoring, Reporting and Verification)”, a-t-elle ajouté. D’après Afef Jaafar, il s’agit, également, de travailler sur la précarité énergétique afin d’éviter tout impact négatif de la transition énergétique et bas carbone sur les ménages à faible revenu. Ce concept est défini sur la base de la part du revenu consacrée aux dépenses énergétiques. Ce concept dépend du contexte national de chaque pays et doit être élaboré en concertation avec les autorités concernées, à l’instar du ministère des Affaires sociales”, a précisé la chargée de la direction des études et de planification de l’ANME.
La nécessité d’un suivi de la politique de transition énergétique
Par ailleurs, le respect de l’Accord de Paris et des règles de la maîtrise de l’énergie qui en ont suivi est un long processus et nécessite un suivi rigoureux. Afef Jaafar, considère qu’il est plutôt question de décliner les objectifs nationaux en objectifs sectoriels et sous-sectoriels. “Comment peut-on savoir si un organisme donné est en train de faire des efforts en matière de maîtrise de l’énergie ? Comment impliquer les gens ? C’est un travail de titan et, de ce fait, nous avons besoin de décliner les objectifs et de faire le suivi de ce qui aura été accompli”, a-t-elle souligné. Pour faire le suivi des NDC, l’ANME avec l’appui de la GIZ, l’agence allemande de la coopération internationale développera une méthodologie de suivi de la mise en œuvre des NDC. Ceci permettra de connaître, avec précision, les facteurs qui auront conduit à la réduction de l’intensité carbone.
Prochaine étape : une politique de “tarification carbone”
En matière de maîtrise de l’énergie, l’ANME travaille en étroite collaboration avec le PNUD, et parmi les projets de collaboration nous citons celui qui vise l’accélération de la transition énergétique et de la mise en œuvre de la NDC à travers les instruments de la tarification carbone. A la base, la Tunisie a bénéficié d’un financement accordé par la Banque mondiale (BM) dans le cadre de l’initiative PMR (partnership for marketreadiness). Il s’agit, rappelle Afef Jaafar, d’une initiative visant à appuyer les pays en développement en vue de la mise en place d’une politique de tarification carbone. De fait, mettre en place un prix sur le carbone permettra d’orienter les investissements vers des technologies émettant moins de gaz à effet de serre. Plusieurs instruments sont utilisés dans ce contexte, à l’instar des taxes carbone ou des marchés d’échange de quotas d’émissions.
Innover ! … Et c’est une question de survie !
Face aux dangers que pose le changement climatique, l’innovation se positionne comme une issue pour tenter de trouver des solutions avant que ce soit très tard. Ces innovations ne touchent pas un secteur particulier ou une activité bien déterminée. De par sa nature, la lutte face au changement climatique n’épargne aucun aspect de la vie humaine. Crop One, par exemple, a développé des techniques de l’agriculture verticale où les cultures utilisent 99% moins d’eau que l’agriculture traditionnelle. L’agriculture de précision est un autre domaine dans lequel des nouvelles technologies sont constamment en train de voir de jour.
Les logiciels installés sur les machines agricoles peuvent exploiter les données météorologiques et les conditions du sol, aidant les agriculteurs à optimiser les plantations et à minimiser l’utilisation de ressources telles que l’eau ou les engrais. Trimble Navigation, une entreprise de technologie basée en Californie, est une entreprise active dans ce domaine. En Tunisie, plusieurs startups ont aussi vu le jour dans le but d’aider les agriculteurs à optimiser leur activité, tels que Ezzayra, Farm Smart, MooMe, et plein d’autres. Winnow, de son côté, veut lutter contre le changement climatique par la réduction du gaspillage alimentaire. Produire nos aliments génère en effet une partie considérable des gaz à effet de serre. Pour ce faire, l’entreprise utilise une technologie d’intelligence artificielle associée à des caméras sur les bacs des restaurants.
En utilisant la reconnaissance d’image pour suivre ce qui est jeté, les restaurants peuvent alors modifier leurs prix en conséquence ! Afin de créer une pareille dynamique en Tunisie, plusieurs programmes ont été mis en place pour soutenir la recherche et le développement en matière de changement climatique. Ce dernier fait même partie des axes stratégiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique permettant de le prioriser en termes d’octroi de financements. Du côté du ministère de l’Industrie et des PME, le Programme national de la recherche et de l’innovation (PNRI) permet de soutenir les entreprises souhaitant collaborer avec des laboratoires de recherche publics. “Le programme offre à ces entreprises une subvention couvrant 80% du coût de projet R&D avec un plafond pouvant atteindre les 200 mille dinars, a indiqué, Kais Mejri, directeur général de l’innovation et du développement technologique au ministère de l’Industrie et des PME.
“Toutes les entreprises, quel que soit leur âge et leur secteur d’activité, peuvent en bénéficier”, a-t-il ajouté. Bien que le programme soit ouvert à tous les domaines de la recherche, Mejri a noté que la grande majorité des entreprises font appel à lui dans le cadre de projet à caractère écologique. “Plusieurs industriels du secteur du textile ont développé des procédés innovants de filtrage et de traitement des eaux usées”, a souligné le directeur général de l’innovation et du développement technologique.
Ceci leur permet à la fois de réduire la pollution, et d’éviter les lourdes amendes infligées par l’Agence nationale de protection de l’environnement, mais aussi de réduire leur consommation énergétique, a-t-il expliqué. Le digital s’invite aussi à la discussion. Les nouvelles technologies permettent en effet de doter les consommateurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, d’outils nécessaires qui leur permettent de maîtriser leur consommation énergétique. Des startups tunisiennes telles que Instadeep, Wattnow ou encore BeWireless Solutions offrent des solutions qui permettent de mesurer, en temps réel, la consommation énergétique et proposent, grâce à l’intelligence artificielle et le big data, d’optimiser cette consommation et de réduire drastiquement les déperditions. D’ailleurs, le Programme national de la recherche et de l’innovation cherche à renforcer son soutien aux projets innovants dans le digital et les nouvelles technologies, selon Kais Mejri.
Quoiqu’il en soit, l’humanité est dans l’obligation de faire son choix: chercher des alternatives aux énergies fossiles afin d’assurer sa survie, ou continuer à détruire, à petit feu, la seule planète habitée.