Si les entreprises sont responsables d’une grande partie des émissions des gaz à effet de serre, elles se doivent de fournir la solution. Focus.
Le secteur privé est essentiel pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris”, c’est ainsi que s’est prononcé la ministre française de l’Environnement et présidente de la COP21 Ségolène Royal, lors de la conférence Business and Climate Summit tenue à Londres en 2016. En effet, partout dans le monde, de plus en plus d’entreprises lancent des initiatives visant à réduire l’impact écologique de leur activité.
Le privé se met au vert
Les exemples des entreprises éco-conscientes dans le monde ne manquent pas. Apple fabrique désormais ses iPhones et Mac exclusivement à partir d’aluminium recyclé. Google n’utilise que de l’électricité produite par des sources renouvelables, y compris pour ses dizaines de datacenters distribués partout dans le monde. Microsoft développe un datacenter sous-marin permettant d’économiser en refroidissement. Certes, les mauvais exemples existent aussi, mais ces entreprises témoignent du fait qu’il est possible de réaliser des profits sans sacrifier sa planète.
Cette vague d’entrepreneurs conscients des enjeux climatiques a frappé également la Tunisie où de plus en plus d’actions sont en train de voir le jour. C’est le cas, par exemple, de Biodex, fondée en 2009 par Mounir Bezzarga. Il s’agit de la “première usine en Afrique de transformation des huiles usagées en biodiesel”, comme l’affirme son fondateur au Manager. Non seulement cette entreprise permet d’éviter que ces huiles soient jetées dans la nature, mais aussi elle en fait des carburants moins polluants. Biodex exporte l’ensemble de sa production de 24 mille tonnes par an en Europe, où la “Renewable Energy Directive” exige que le “biofuel” représente 7% du carburant utilisé dans les voitures.
“Ce taux passe à 20%, voire à 100%, dans plusieurs autres pays”, a souligné Bezzarga. Il s’agit d’un marché “porteur d’opportunités”, affirme au Manager Mehdi Farhat, responsable des lignes spéciales de financement à l’UBCI. En effet, ces investissements verts permettent la réduction des coûts de production. Et ce, à travers la diminution de la facture énergétique aussi bien par l’amélioration de l’efficacité énergétique que par l’introduction des énergies renouvelables. Aussi, les entreprises respectueuses de l’environnement et encore plus celles certifiées par des labels internationaux, peuvent avoir un accès spécifique à des marchés sensibles à la question environnementale. “À l’horizon de 2035, le secteur écologique représenterait des opportunités d’investissement de l’ordre de 17,5 milliards de dollars d’après les estimations de la Banque mondiale et du FMI”, a insisté Farhat. Les banques y voient aussi une opportunité et souhaiteraient se joindre aux entreprises pour contribuer à cet effort conjoint de l’action climat et son lien avec le business.
Des projets écologiques et banquables ?
Bien que l’urgence de l’action climatique fasse l’unanimité, il n’est toujours pas facile d’y drainer les financements nécessaires. Et pourtant, les fonds et les lignes de crédit spécialisés existent. “Ces ressources ne sont pas toujours accessibles aux entreprises tunisiennes”, souligne Mounir Bezzarga. Son entreprise devait profiter d’un financement de l’ordre de 800 mille dinars de la part du Fonds de dépollution (FODEP). L’enveloppe n’a cependant pas été décaissée: “Il a été révélé que finalement notre activité n’est pas couverte par ce fonds car les règles ont changé entre-temps!”, a-t-il déclaré. Selon lui, les lignes de crédit vertes ne sont pas, elles aussi, une solution optimale car “les banquiers ne sont pas formés pour évaluer ce type de projets”.
Mehdi Farhat reconnaît que l’investissement écologique est encore à ses premiers pas en Tunisie, ce qui rend difficile l’accès au financement. Dans ce cadre, l’Agence nationale de maîtrise de l’énergie entamera un projet bénéficiant de l’assistance technique du PNUD dont l’objectif est d’appuyer un plan d’investissement dans le secteur de l’énergie afin de faciliter l’obtention des financements verts. Le banquier note que les entrepreneurs détiennent aussi une partie de la responsabilité. “Les dossiers déposés ne permettent souvent pas d’évaluer la bancabilité du projet”, a-t-il souligné. Selon lui, ce sont les entrepreneurs qui ne procurent pas l’information financière nécessaire, ils sont beaucoup plus généreux en explication pour ce qui est de la partie technique du projet. “Ceci ne nous permet pas de bien évaluer les projets. De l’aveu même du banquier, la structuration financière des projets écologiques n’est pas facile. Il recommande à cet égard aux entrepreneurs de se faire assister par des cabinets spécialisés en “energy finance”.
Le déficit d’information
La multiplication des fonds et des lignes ainsi que leur éparpillement à travers un grand nombre d’acteurs a créé aussi un problème d’information qui touche même les entreprises bien établies. Si les entreprises ne sont pas bien informées sur les fonds disponibles, elles peuvent passer à côté d’opportunités de taille. De leur côté, les projets écologiques posent un défi pour les institutions financières qui n’avaient pas, jusqu’alors, eu l’habitude de financer ce type de projets. Mais avec la multiplication des initiatives, ce gap se resserre de plus en plus. Mr Farhat estime que le secteur arrivera à maturité dans les 5 prochaines années, dotant les institutions financières de l’historique qui leur permettrait d’être aptes à financer plus rapidement ces projets. De leur côté, les banquiers ont aussi bénéficié de l’accompagnement, plus précisément destiné à leurs équipes commerciales, de risque et de back-office.
Financer l’industrie, en subventionnant la consommation
Un autre levier très important pour assurer la pérennité des projets verts: subventionner l’usage des énergies renouvelables. Ainsi, des fonds ont été mobilisés pour un projet au niveau de l’ANME portant sur le secteur du bâtiment. Celui-ci s’inscrit dans l’optique d’un NAMA: “Nationally Appropriate Mitigation Action”. Il s’agit, à titre d’information, d’un ensemble d’actions menées au niveau national dans l’objectif de réduire l’empreinte carbone des bâtiments. Le projet de l’ANME, pour sa part, a été élaboré selon une approche sectorielle. Trois programmes ont été choisis dans ce cadre : isolation thermique, Prosol-Elec – toit photovoltaïque -, chauffe-eau solaire. Le travail a été soumis à un fonds multidonateurs appelé “NAMA Facility”.
La requête a été formulée en 2016. L’ANME a été parmi les rares dont la requête a été acceptée, sachant que celle-ci a été lancée sur le plan international. L’objectif de ce projet est de permettre à une nouvelle catégorie de ménages d’accéder aux installations photovoltaïques. Elle explique que l’actuel Prosol-Elec est destiné aux ménages affichant une consommation électrique annuelle dépassant les 1800 kilowatts. “Nous voulons intégrer les ménages avec une consommation annuelle située entre 1200 et 1800 kilowatts et qui sont, généralement, à faible revenu”, a précisé Afef Jaafar, chargée de la direction des études et de planification au sein de l’ANME. Il s’agit donc d’un projet phare qui comporte deux composantes : financière et technique. Il sera réalisé grâce à un don total de 15 millions d’euros : 5 millions seront consacrés au volet technique et 10 millions au volet financier. Celui-ci consiste à travailler sur la réduction des taux d’intérêt des crédits contractés par les ménages en vue de s’équiper d’un système photovoltaïque. Le tout débutera dès novembre 2019. “D’ici novembre 2020, les mécanismes financiers seront finalisés”, a encore déclaré la chargée de la direction des études et de planification de l’ANME.
Espérons alors de voir nos entreprises se colorer au vert!