L’urgence est décrétée ! Agir contre le changement climatique est devenu un impératif. La planète est surexploitée. C’est de cadre de transparence en matière d’émission GES, d’agriculture et de sécurité alimentaire, de finance climat ou de communautés locales et équité genre qu’autait discuté la communauté internationale début décembre prochain à la Conférence des Partis (COP) 25. Tous conscients que, ne pas agir aujourd’hui, c’est risquer de ne même plus pouvoir s’adapter demain. Le Manager est allé à la rencontre de Jihene Touil, team leader du cluster climat et environnement au PNUD Tunisie, Mohamed Zmerli, point focal du changement climatique au ministère des affaires locales et de l’environnement et Omar Zemrag spécialiste régional à la NDC Partnership Support Unit.
Des espèces animales ont disparu, des glaciers ont rétréci, inondations, catastrophes climatiques qui se multiplient avec à l’horizon des pénuries, élévation du niveau de la mer …
C’est dire, en dépit, des efforts des pays, suite à la convention cadre des nations unies pour le climat signée en 1992 et l’Accord de Paris en 2016, nous avons dépassé actuellement dans l’atmosphère de 40% le niveau normal de la concentration des gaz à effet de serre, a précisé Mohamed Zmerli. Il en découle une augmentation continue du niveau de température à l’origine des maux de la nature.
En Tunisie nous ne sommes pas épargnés, l’élévation est estimée de l’ordre de 1m à l’horizon 2100, ce qui touchera 44% de la côte, qui deviendront très vulnérables, et augmentera le risque de submersion de216 000 hectares de terre. 500 km de côte (le tiers des côtes tunisiennes) sont très affectés par le phénomène de l’érosion impactant les habitations, l’infrastructure et le tourisme. De surcroît, l’élévation de la température augmentera la salinité du sol, ce qui impactera le rendement du secteur agricole. Les dégâts se font sentir au niveau économique en Tunisie. Pour preuve les dégâts physiques et les pertes économiques suite à l’inondation de Nabeul en 2018 sont évalués à 465 millions de dinars.
L’accord de Paris
Face à cet échec de la communauté internationale devant un tel défi climatique, la COP 21 est venue comme une rupture avec l’ancienne approche. Pour la première fois à l’occasion de l’accord de Paris 2015 on parle de responsabilité collective et d’un accord applicable pour tous les pays, y compris les pays en développement la Tunisie incluse, a précisé Mohamed Zmerli.
L’accord de Paris repose sur deux piliers, explique Jihene Touil : les stratégies nationales bas carbone et la contribution déterminée au niveau national (NDC). Pour les premières, elles ont trait aux stratégies de long terme pour le développement à l’horizon 2050. Jihene Touil indique que le PNUD appuie spécifiquement la stratégie dans le secteur de l’énergie, qui est très important, car à lui seul il représente pour la Tunisie 75% de l’objectif national de la NDC. “Nous considérons au PNUD, le secteur énergétique parmi les secteurs fondamentaux d’une croissance verte. Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique présentent énormément d’opportunités économiques et sociales pour le pays.
“L’Etat aura à gagner en termes de création d’emploi verts, de réduction du déficit commercial ou de compétitivité économique”, précise-t-elle. Et d’ajouter “Autant d’éléments qui transforment cette menace en opportunités”. Le deuxième pilier de l’Accord de Paris, qui sont les NDCs engage chaque pays à identifier des objectifs climat pour contribuer aux efforts de la communauté internationale. C’est une approche Bottom up. “ Chaque pays détermine comment il peut s’engager et ensuite il est examiné si le niveau d’engagement mondial de tous les pays est conforme à la trajectoire du 2 degrés Celsius, qui est l’objectif de l’accord de Paris”, a signalé Mohamed Zmerli. Ainsi, le but de la NDC est d’identifier des objectifs d’atténuation et des priorités d’adaptation par pays en fonction des négociations.
“Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants”, de Saint Exupéry
La Tunisie a préparé sa politique climatique en vertu de l’accord de Paris. L’ambition tunisienne en matière du climat a été annoncée dans le cadre de la NDC tunisienne en 2015 et officiellement adoptée suite à la ratification de l’Accord de Paris par l’Assemblée des représentants du peuple en Octobre 2016.
En effet, en matière d’atténuation, Elle s’est engagée à réduire son intensité carbone de 41% à l’horizon 2030 par rapport à l’année 2010. On appelle l’intensité carbone la quantité de gaz à effet de serre émise pour produire mille dinars tunisiens de PIB. De ce fait, elle s’engage à contribuer efficacement à l’effort mondial de réduction des gaz à effet de serre. Cela nécessite un grand effort d’atténuation dans le secteur de l’énergie qui représentera à lui seul près de 75% de l’objectif national dans la NDC, mais aussi dans les secteurs des procédés industriels, déchets liquides et solides et de l’affectation des terres.
Par ailleurs, en matière d’adaptation, la NDC prévoit des initiatives importantes couvrant l’ensemble des secteurs et les écosystèmes les plus vulnérables au changement climatique, notamment les ressources en eaux, le littoral, l’agriculture et les écosystèmes forestiers et pastoraux, le tourisme et la santé, a signifié Jihene Touil. Et de préciser “L’un des secteurs jugés très vulnérables est le secteur de l’eau. Les ressources en eau seront affectées notamment par l’augmentation de la demande, la surexploitation des nappes, la dégradation de la qualité de l’eau et la salinisation des nappes côtières suite à l’élévation du niveau de la mer due au changement climatique”. A ce titre, elle affirme que le taux de surexploitation moyenne de ressources en eau souterraine en Tunisie dépasse les 14%.
Des enjeux cruciaux. Et c’est pourquoi le pays est monté au créneau en matière de lutte contre le changement climatique “Faire partie des premiers pays qui ont adhéré à la NDC Partnership est un signal de volonté politique pour avancer dans la question climatique”, affirme Omar Zemrag spécialiste régional à la NDC Partnership Support Unit. Pour précision, la NDC Partnership, une alliance entre plusieurs pays et organisations internationales, renforce la capacité et mobilise des fonds pour des projets sélectionnés. Plus spécifiquement, elle identifie les besoins et les priorités et cherche un alignement avec les orientations des bailleurs de fonds. Elle assure la coordination et la synergie entre les partenaires techniques et financiers. Omar voit de bon œil que la feuille de route pour la mise en œuvre de la NDC en Tunisie soit approuvée par toute les parties prenantes et présentée aux partenaires techniques. “Actuellement, la Tunisie va lancer la préparation de son plan de partenariat pour clarifier en toute transparence qui fait quoi et qui est redevable de quoi”. Et de conclure” il n’y pas lieu de comparer les engagements des pays, chacun selon ses priorités surtout que l’accord de Paris n’a pas prévu l’harmonisation des documents”.
Bien choisir ses batailles et ses partenaires
Jihene Touil indique que depuis quelques années maintenant le PNUD appuie la Tunisie pour une action climat qui favorise les trois dimensions sociale, environnementale et économique. Plusieurs projets ont été entamés. A titre d’exemple, elle explique que le PNUD intervient dans des zones très vulnérables aux changements climatiques notamment à l’élévation du niveau de la mer comme à Djerba et au Golf nord-ouest de Tunis.. Le PNUD collabore avec les communautés locales telles que les pêcheurs et les agriculteurs pour valoriser le savoir-faire local et améliorer leurs moyens de subsistance face au risque climatique. ‘Notre rôle c’est de renforcer leur résilience pour qu’ils s’adaptent mieux aux changements climatiques mais aussi pour préserver leur savoir-faire pour les générations futures.’ a expliqué Jihene Touil. Le PNUD travaille aussi pour renforcer l’implication de l’ensemble des forces vives de la société y compris les décideurs politiques, la société civile, les jeunes, le secteur privé, le secteur financier, la recherche scientifique etc.
Un enjeu multisectoriel, quid de la coordination ?
Jihene affirme qu’une bonne gouvernance et une bonne coordination s’impose afin que l’intégration du risque climatique soit alignée avec les politiques sectorielles et celle nationale. Les changements climatiques sont multidisciplinaires et concernent tous les secteurs économiques, toutes les ressources naturelles et tous les écosystèmes corroborent Mohamed Zmerli. Le ministère des affaires locales et de l’environnement coordonne tous les aspects concernant les changements climatiques, avec le ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, le ministère des Finances pour le choix sur le plan de financement, le ministère de l’Industrie et de l’Energie, le ministère de l’Agriculture etc… “Comme les NDC sont multisectoriels, il y a beaucoup de secteurs qui y interviennent c’est pour cela que le plus gros challenge est la coordination au niveau national et international”, signifie Omar Zemrag.
Quels enjeux pour La COP25 ?
La COP 25, sera à la fois l’occasion pour un engagement de la mise en œuvre des objectifs en matière de réduction d’émissions de GES et de mesures d’adaptation mais également, une négociation entre les différents pays sur le cadre de transparence, des besoins financiers et technologiques. « La Cop 25 est la rencontre qui sépare l’adoption partielle des règles (COP24) et l’année prévue par la communauté internationale pour le démarrage effectif des actions, en vertu de l’Accord de Paris’ a expliqué Mohamed Zmerli. Elle sera un espace de négociations pour des sujets à fort enjeux notamment la finance climat. Celle-ci représente une opportunité pour les pays en développement comme la Tunisie.
Que ce soit à travers le fonds vert pour le climat (green climate fund) ou le fonds pour l’environnement mondial (global environment facility). Une autre forme de financement est la tarification carbone. Elle permet aux pays de vendre le surplus d’émission de GES par rapport à ce qu’il s’est engagé à faire. Des questions subsistent selon Mohamed Zmerli : Quelle forme aura le marché carbone ? Sachant que tous les pays ont des engagements. Qui va gérer ? Qui va certifier ces réductions ? Comment gère-t-on ces réductions au niveau international ? Comment comptabiliser ? Quelles sont les réductions transférables entre les pays ? En fait, ce marché ne sera pas bâti sur le fait que les pays ont ou n’ont pas d’obligations, mais sera plutôt bâti sur la différence de leurs engagements. Des discussions qui ont tout l’air d’être houleuses! Par ailleurs, étant donné que la mise en œuvre de l’accord de Paris commence à partir de 2020, la COP25 se situe entre l’adoption partielle des règles et l’année où on va commencer réellement la mise en œuvre. Et certains points épineux n’ont pas été résolus à la COP24 explique Mohamed Zmerli.
Et d’ajouter : “Il faut impérativement trouver le consensus sur ces points parce qu’on doit impérativement commencer la mise en œuvre de l’accord”. La question de l’efficacité des mécanismes de financement doit être soulevée selon Mohamed Zmerli. En effet, le changement climatique peut être financé par des entités qui sont gérées directement par la Convention, ou dans le cadre de la coopération bilatérale ou régionale avec les organisations internationales. Ces organisations, notamment les pays développés, ont des engagements de financement et en général, les organisations multilatérales ont un mandat de gérer les fonds que ces pays donnent. Ils ont la possibilité de donner une contribution financière au profit des pays en développement, à travers des agences, des organisations des Nations unies, etc. ou directement à travers la coopération bilatérale. Or, tout ce qui est coopération bilatérale et multilatérale ne relève pas du cadre de la convention. Des sujets chauds qui requièrent des négociations musclées pour le climats qui devaient animer cette COP25. Espérons que le rénoncement du Chili à l’organisation de ce sommet sur fond de contestations sociales ne risque pas de freiner la dynamique des efforts dans la lutte contre le changement climatique.