Le groupe Tunisie Valeurs a été parmi les premiers à faire de l’actionnariat salarié une règle. Ahmed Abdelatif en a fait sa devise qui s’est avérée une clé de réussite. Walid Saibi, Directeur général de Tunisie Valeurs, nous livre dans l’entretien ci-après l’expérience de son entreprise en la matière ainsi que ses axes de développement après l’obtention d’un agrément provisoire pour une banque d’affaires. Paroles de cadre, actionnaire salarié.
Comment Tunisie Valeurs a-t-elle intégré les collaborateurs dans son capital ?
L’expérience de Tunisie Valeurs en ce qui concerne l’intégration de certains collaborateurs dans le capital a débuté en 2008. Un premier plan a alors été mis en place avec 5% du capital, qui ont été distribués à environ une quinzaine de cadres. En 2011, nous avons mis en place un deuxième plan qui a aussi ciblé une autre dizaine de cadres. Un troisième plan en 2017 a porté la part du capital détenu par les salariés à 10%. Aujourd’hui, nous devons assurer la continuité de cette stratégie et nous envisageons d’effectuer un quatrième plan. Il faut savoir qu’à Tunisie Valeurs, notre actionnaire majoritaire détient 35% du capital. Nous allons procéder à une augmentation de capital qui sera orientée vers le personnel. A noter qu’en tant que société cotée, cette opération n’est pas très facile car tous les actionnaires doivent être d’accord sur le principe.
Justement, si vous nous expliquiez quel a été le bénéfice de l’introduction en Bourse de votre société pour les collaborateurs ?
Permettez-moi de vous expliquer d’abord que lorsqu’une entreprise accorde des actions à ses cadres, il faut qu’en parallèle, elle leur trouve une solution de liquidité. Il faut que les cadres puissent revendre leurs actions et réaliser une plus-value. De ce fait, l’étape de l’introduction en Bourse est une étape finale dans le processus. Et je peux vous dire que l’introduction était alors envisagée dès 2008.
Donc à ce niveau, l’idée n’est pas de devenir actionnaires dans l’entreprise mais plutôt d’encourager la performance ?
Tout à fait ! D’ailleurs, nous avons reçu tous les ans des dividendes. La cotation en Bourse est le bouquet final. En 2008, à titre d’exemple, lorsque nous avions évalué Tunisie Valeurs, elle valait 10 MDT et elle a été évaluée au moment de l’introduction au prix de 60MDT. Et l’intérêt du mécanisme des stock-options c’est de pouvoir faire du décaissement. De ce fait, juste avant l’introduction en Bourse, nous avions vendu les actions à 10 DT et deux mois plus tard, leurs détenteurs les ont revendues à 60 DT.
Et quel est l’impact que vous avez constaté suite à l’intégration des salariés dans le capital ?
Le premier impact est que nous avons un taux de rotation qui est proche de zéro ; et ce, malgré la rude concurrence. Mis à part ceux qui partent à l’étranger, nous arrivons à garder la majorité de nos cadres. Et ceci est très important car la formation d’un cadre nous coûte cher. Dans cette optique, le mécanisme des stock-options a été très approprié et nous a permis une forte visibilité dans la gestion de nos ressources humaines. En plus, il faut savoir que le salarié intéressé dans le capital adopte une attitude différente que celle d’un simple salarié vis-à-vis de son entreprise. Il devient beaucoup plus engagé et regardant sur les détails qui vont impacter la performance. Le principe est simple : il s’agit de proposer à un cadre de l’entreprise que les dirigeants souhaitent garder d’acheter des actions à une valeur initiale et de lui proposer de doubler la valeur de l’entreprise sur une période de 5 ans par exemple et de bénéficier de la plus-value. Ce principe pousse à la création d’une dynamique incroyable au sein de l’entreprise car ces cadres vont tout faire pour atteindre les objectifs de croissance.
L’actionnariat salarial, est-il réglementé aujourd’hui en Tunisie ?
Il n’existe hélas pas de structure qui réglemente l’actionnariat salarial. Il n’y a pas non plus d’encouragement, d’avantages, etc. Alors que si l’on souhaite attacher un salarié à son entreprise, il n’existe pas de meilleur moyen.
Malheureusement en Tunisie, la réglementation n’a pas suivi cette dynamique et n’a pas mis en place des mécanismes d’encouragement. S’ajoute à cela le risque fiscal qu’encourt l’entreprise. Je m’explique: en appliquant le principe de vendre une action à une valeur ancienne de 5 ans, l’administration fiscale pourrait nous accuser de vendre à une valeur inférieure et nous taxer sur la partie que nous avons décotée.
Y a-t-il des critères précis pour bénéficier de ce programme ?
C’est essentiellement l’appréciation du management. Et nous savons très bien que dans toute entreprise, il y a certains éléments clés qui se distinguent.
Ce mécanisme ne crée-t-il pas des remous chez ceux qui n’en bénéficient pas?
En fait, il faut savoir que nous faisons bénéficier de ce programme les personnes dont le départ pourrait causer un souci à l’entreprise. Certes, cette configuration entraîne la création de remous au sein du personnel, mais c’est un choix qu’il fallait faire et assumer jusqu’au bout. Il ne s’agit pas d’une action sociale. Nous avons des mesures comme les bonus dédiés à l’ensemble des collaborateurs.
Qu’auriez-vous espéré voir dans un nouveau cadre réglementaire?
Ce cadre doit pouvoir donner des avantages aux entreprises qui mettent en place ce mécanisme. Par exemple, si nous pouvions appliquer le compte épargne actions (CEA) aux actions de l’entreprise dans laquelle nous évoluons, il serait encore meilleur. C’est comme si nous donnions 10.000 dinars d’actions à nos employés en leur proposant de les acheter dans l’immédiat dans le cadre d’un plan CEA et en dégager ensuite de la plus-value. L’avantage est que vous gardiez ces actions 5 ans, délai nécessaire pour bénéficier de l’avantage fiscal. D’ailleurs, si ce mécanisme avait été appliqué au sein de la Compagnie des Phosphates de Gafsa, cela aurait empêché les déboires affectant la production.
En ce qui concerne la mise en place de ce programme, avez-vous rencontré des difficultés ?
Pas vraiment ! je dirais que c’est plutôt le risque que nous prenons avec l’administration fiscale. Néanmoins, le résultat valait le coup du risque. Et j’ajoute que ce programme représente la clé du succès des projets Tunisie Valeurs et Africa Invest. Le cadre réglementaire doit être développé pour appliquer le programme aux entreprises publiques et en faire bénéficier les fonctionnaires.
Quels sont les objectifs de Tunisie Valeurs pour l’avenir?
Après avoir obtenu l’agrément provisoire pour la banque d’affaires, nous sommes en plein chantier de reconversion. Nous effectuons une restructuration avec une filialisation des activités d’intermédiation en Bourse et de gestion d’actifs. Nous aurons donc deux nouvelles structures qui seront créées et détenues par la banque d’affaires. De ce fait, nous poursuivons notre activité de consulting et nous y ajoutons celle du crédit. Et c’est là tout l’intérêt pour nous, désormais toutes nos opérations de restructurations pourront être accompagnées par un financement. Nous comptons également beaucoup sur les marchés de l’Afrique de l’Ouest car il s’agit aussi d’opérations où l’agrément d’une banque d’affaires importe énormément. Nous avons souvent été écartés des appels d’offres car nous n’étions pas une banque d’affaires. Nous espérons obtenir l’agrément définitif au mois de juillet ou août et nous lancerons ensuite notre campagne publicitaire pour l’annoncer. Je voudrais préciser qu’hormis le volet crédit, nous comptons sur le personnel de Tunisie Valeurs. Nous renforcerons tout de même notre conseil d’administration par des indépendants qui sauront apporter un plus.
Le mot de la fin
Nous sommes très confiants en dépit du cadre général, et nous sommes très sollicités par des étrangers cherchant des investisseurs en Tunisie. Et j’aimerais dire que ce qui nous manque aujourd’hui dans notre pays c’est d’instaurer de nouvelles pratiques dans le marché financier.