L’enquête a été réalisée entre le 29 avril et le 14 mai par l’Institut de sondage One To One et le cabinet HLB. Une rencontre-débat a été organisée à l’occasion en présence du ministre du Commerce Omar Behi, du chargé du programme PNUD, Eduardo Lopez-Mancisidor, du président de la Conect, Tarek Cherif et d’experts venus analyser les chiffres obtenus.
Ouvrant le bal de la rencontre, Tarek Cherif a expliqué que:”l’élaboration d’une enquête portant sur la TPE et la PME en Tunisie peut s’avérer intéressante. À ce titre, il est impératif de rendre le lien et le travail entre elles bien plus facile. En effet, cette facilitation pourra conférer à ces entreprises la possibilité de créer de la valeur, de la synergie entre elles ainsi qu’à avoir une visibilité.” À ce propos, force est de constater que les PME qui emploient entre 6 et 200 personnes font lieu d’un véritable levier de l’économie nationale et ce, à plus d’un égard : la croissance, l’export, l’emploi, l’investissement ainsi que l’innovation. Selon l’enquête Miqyes, les PME tunisiennes ont vu leur nombre augmenter depuis 2010 de l’ordre de 1,51%. Quant au nombre des entreprises de manière générale, il a sensiblement progressé de 4,19% en 2017 alors que le nombre des PME employant de 6 à 250 personnes, a enregistré une hausse plus importante de +6,62%.
Climat des affaires et l’accès aux marchés
En 2017, et selon les chiffres de l’Institut national des statistiques (INS), la Tunisie recensait pas moins de 770.000 entreprises privées dont 87,69% sont unipersonnelles, 9,62% employant entre 1 et 5 salariés, 2,57% employant entre 6 à 200 salariés et uniquement 0,11% employant plus de 200 salariés. A ce propos, le ministre du Commerce, Omar Béhi a été interpellé par un chiffre commentant :”Je suis étonné de voir que sur le nombre total des 770.000 entreprises privées, environ 96% emploient moins de 500 salariés.” Et d’ajouter dans un autre registre que :”les difficultés que rencontrent les entreprises tunisiennes ont pour raison principale l’absence de confiance dans le climat des affaires. Le rôle du gouvernement dans l’assainissement de ce climat et son amélioration est indéniable.” En effet, une perte de confiance, notamment dans les structures publiques a engendré un surcroît de difficultés pour les PME.
Le ministre du Commerce a mis l’accent sur l’importance de s’orienter stratégiquement vers l’Afrique soulignant qu’il s’agit d’un marché encore nouveau et qui décline un potentiel d’une valeur ajoutée importante au profit des entreprises tunisiennes. Aussi, le baromètre a démontré que 27,4% des PME considèrent que la situation actuelle en Libye a eu de fortes répercussions négatives sur leurs activités au titre de l’année 2018 tandis que 45,3% des entreprises estiment ne pas avoir été impactées par la même situation. Omar Béhi a ajouté à ce propos :”la Tunisie réalisait des exportations de pas moins de 1 milliard de dollars vers la Libye avant 2011. Or aujourd’hui, ces exportations ne dépassent pas le milliard de dinars. La Tunisie a donc accusé une réelle perte du marché libyen, ce qui constitue une sorte de séisme pour de nombreuses entreprises.” Le ministre a également fait un crochet sur un chiffre relatif aux PME qui considèrent le marché africain comme étant leur premier client, disant qu’il s’agit d’un indicateur de haute importance.
La corruption, ça continue de plus belle!
Au sujet de la corruption, Omar Béhi s’est dit inquiet de la perception des PME vis-à-vis de celle-ci. Une inquiétude qui peut être en effet justifiée au vu des chiffres dégagés par Miqyes. 40,7% des PME interrogées estiment qu’elles ne peuvent pas travailler convenablement si elles ne versent pas des pots de vin. A contrario, 59,3% des entreprises interviewées estiment qu’elles ne sont pas contraintes à la corruption. En outre, d’autres chiffres indiquent que 62,6% des PME estiment que le niveau de la corruption en Tunisie s’est accru en 2018 en comparaison à l’année précédente. En revanche, seulement 4,5% des entreprises constatent que le niveau de la corruption a diminué. Les pots de vin demeurent une question brûlante et qui s’affirme de plus en plus. Néanmoins, en ce qui concerne les entreprises non résidentes, le constat est différent.
A ce titre, Didier Breyton, PDG de Vignal Electronic & Wiring, entreprise totalement exportatrice a indiqué : “De notre côté, du fait que nous évoluons dans un cadre particulier, nous avons des actions réduites au niveau des administrations et bénéficions de procédures simplifiées, ce qui fait que nous nous retrouvons beaucoup moins confrontés au problème de la corruption que les entreprises tunisiennes.”
Par ailleurs, et dans le registre de l’accès au marché et de la flexibilité des entreprises. Le baromètre Miqyes a fait ressortir que 30% des PME tunisiennes indiquent que la France est leur premier client, 19% disent que c’est le marché italien, 13,9% considèrent l’Algérie comme leur premier client, 9,9% se prononcent pour la Libye et 4,9% disent que c’est l’Allemagne, leur premier marché. S’ajoute en dernier sur la liste le marché de l’Afrique subsaharienne qui se fait premier client pour seulement 2,2% des PME interrogées. Le président du cercle des financiers tunisiens et professeur à l’IHEC, Abdelkader Boudrigua s’est exprimé à ce sujet: “Les PME tunisiennes se restructurent sur le plan organisationnel et ont fait preuve de beaucoup d’éligibilité dans le développement du marché de l’Afrique et de l’Algérie.”
Nouveaux clients, en hausse!
Autre registre, autres chiffres, l’établissement de nouveaux contrats avec de nouveaux clients en 2018. A cet effet, 58,2% des entreprises interrogées ont indiqué en avoir eu, pourtant en 2017 ce chiffre a accusé une baisse de l’ordre de 5,1%. En outre, 41% des PME sondées ont affirmé ne pas avoir eu de nouveaux clients en 2018 alors qu’en 2017, ces entreprises représentaient 35,5%. A cela s’en suit que 45,7% des PME disent que leur chiffre d’affaires a augmenté courant l’année 2018 en dépit d’une inflation de l’ordre de 7%. En revanche, 27% des entreprises ont vu leur chiffre d’affaires baisser en raison de nombre de salariés qu’ils emploient et qui est de moins de 20. Les entreprises qui n’ont donc pas pu avoir de nouveaux clients, se sont retrouvées face à une série de blocages administratifs, ce qui a conduit à un désengagement progressif de la gestion interne de la part des dirigeants de leur PME. Ces entrepreneurs ont choisi de se concentrer davantage sur la gestion commerciale.
Commentant de son côté les chiffres du baromètre Miqyes, Chirine El Aich, directrice des opérations et solutions ManpowerGroup Tunisie et VP de l’APRH Tunisie a indiqué à propos du Code du travail, qu’il est destiné aux grandes entreprises et qu’il devient impératif de le réformer car dans sa version actuelle, il n’encourage pas les entreprises à être formelles. Cyrine Ben Mlouka, expert-comptable et trésorière du Conseil national de l’Ordre des experts comptables de Tunisie (OECT), a indiqué pour sa part que ”nous évoluons dans un climat de stagnation économique s’y ajoute la situation politique des pays voisins qui n’est pas favorable pour la Tunisie. Par ailleurs, un chiffre m’interpelle : 47% des PME interrogées considèrent que le secteur informel est la première source de compétitivité, ce qui dénote selon moi l’existence d’une réelle tentation qui pousserait les entreprises à aller de l’autre côté de la ligne. A ce propos, il faut absolument appliquer la loi et arrêter l’impunité, et ceci est bien entendu du ressort du gouvernement qui doit être intransigeant sur la question.”
Qu’en est-il du recrutement?
Abordant le chapitre des recrutements, Chirine El Aich a rebondi d’abord sur la question de la parité au sein des entreprises en se disant optimiste malgré les chiffres de 88% de présence masculine et seulement 12% de présence féminine. Aussi, elle a accordé un intérêt particulier aux résultats portant sur les métiers des Ressources Humaines et Finances et qui sont, selon elle, de plus en plus exercés par des femmes. “Nous remarquons qu’il existe de moins en moins de cadres en RH, ceci peut-être expliquer par le fait que les entreprises cherchent à investir moins dans ce profil et s’orientent davantage vers le recrutement de jeunes diplômés et ce, pour des raisons de coûts. C’est en tous cas, une impression que nous avons” a indiqué Chirine El Aich en ce qui concerne l’activité du recrutement au sein des PME. Elle a expliqué de même que selon certaines études, le retour sur investissement du recrutement d’un junior va se faire sur une période de 3 à 5 ans sans garantie aucune tandis que celui du recrutement d’un senior va se faire dans l’immédiat.
Cyrine Ben Mlouka, quant à elle s’est exprimé également sur la question du recrutement en précisant :”Il y a dans cet échantillon pour l’étude, une prise de conscience vers la structuration de l’entreprise, le recrutement de DAF, et de GRH car celle-ci est devenue une réelle problématique pour les entreprises tunisiennes. En effet, il devient difficile de dénicher les bonnes ressources afin de pouvoir assurer la compétitivité.” Ceci est également valable pour le DAF, selon les dires de Cyrine Ben Mlouka, car celui-ci représente l’interface de l’entreprise vis-à-vis des administrations publiques notamment celle fiscale. “Il importe donc de bien choisir son DAF de surcroît face à la complexification accrue des procédures fiscales” conclut-elle.
Procédures administratives et compétitivité
Abdelkader Boudrigua, pour sa part est revenu sur la situation des entreprises tunisiennes indiquant qu’elles restent peu protégées selon ce que révèle cette enquête. “En effet, la menace des produits étrangers concurrents est bien réelle et fait face à une compétitivité instable des entreprises” a-t-il souligné. Sur la question de la segmentation des secteurs d’activité des PME, Abdelkader Boudrigua a fait part de son appréciation en se basant sur les chiffres du baromètre :”Il y a de plus en plus d’entreprises qui opèrent dans le secteur du commerce, ce qui signifie que le secteur de l’industrie en Tunisie recule en créant ainsi un manque au niveau de la valeur ajoutée.”
Sur la question de la complexité des procédures administratives, Didier Breyton a expliqué :” Vous avez une entreprise résidente et une entreprise non résidente qui opèrent dans le même secteur sur le même territoire mais qui ne font pas face à la même configuration opératoire. L’entreprise résidente va devoir confronter des difficultés notamment au niveau de la réglementation lors des opérations d’achat de matière première, ce qui lui fait perdre des semaines, alors que l’entreprise non résidente se contentera de faire son virement et régler sa commande en un rien de temps.”
En guise de conclusion, l’enquête Miqyes fait ressortir deux indicateurs majeurs à savoir : 57,9% des entrepreneurs des PME se disent optimistes quant à l’avenir de leurs entreprises, malgré les difficultés, contre 35,7% qui se disent pessimistes. Des indicateurs qui s’affichent de bon augure.