L’un des exemples les plus frappants de l’importance de la transformation digitale qu’a connue l’Afrique est certainement le Rwanda. Dans ce pays de 12 millions d’habitants, l’administration publique se réinvente en organisant sa propre disruption numérique et les services administratifs de l’État sont numérisés l’un après l’autre.
À titre d’exemple, les files d’attente ont été remplacées par le SMS grâce à une application créée par l’État, Irembo. Le nombre d’usagers de ce service d’e-gouvernement a connu une augmentation vertigineuse pour atteindre plus de 150 000 au bout de quelques mois. Pendant ce temps, la Tunisie a tenté à maintes reprises d’accélérer la dématérialisation des rouages de sa machine administrative. La digitalisation, inscrite dans la liste des priorités du gouvernement, selon le discours officiel, est “un projet de longue haleine qui nous permettra de regagner la confiance des citoyens”, a souligné Taoufik Rajhi, ministre auprès du chef du gouvernement chargé des Grandes réformes.
En fait, 44% des Tunisiens ne sont pas satisfaits par la qualité des services fournis par l’administration publique, selon un sondage réalisé en 2016 par le gouvernement. D’après le même sondage, 51% des citoyens ont une image négative de l’administration.
Pourquoi la digitalisation tarde-t-elle à devenir une réalité ?
Le non-aboutissement de la transition digitale après tant de tentatives mérite que l’on se pose la question. Allons-nous réussir à transformer l’administration et à la moderniser ? La réponse tient à l’engagement des différentes parties prenantes dans les mois à venir, selon Anouar Maârouf, ministre des TIC et de l’Economie numérique.
“Nous avons réussi à mettre sur pied des projets structurants tels que l’identifiant unique, le Tuneps ou encore la gestion électronique des courriers”, a-t-il souligné. Et de poursuivre: “Mais il faut accélérer le pas et fédérer davantage les efforts. L’année 2020 sera décisive pour la concrétisation de la transformation digitale de l’administration”. De fait, bien d’autres projets structurants ne jouissent pas du même niveau d’avancement.
Il s’agit principalement de la plateforme d’interopérabilité entre les administrations, du cloud national, ou encore du système d’information de l’État qui n’a toujours pas démarré et dont l’existence est une condition sine qua non pour réussir la transition digitale. “Non seulement nos différents systèmes informatiques et bases de données ne sont pas interconnectés, mais pour transférer des données entre eux, il faut passer par des méthodes archaïques”, a reproché le ministre.
Pour Maârouf, la défaillance qui a empêché la réalisation de ces projets se situe principalement à quatre niveaux. D’abord, la transformation digitale n’a toujours pas le sponsoring politique nécessaire. “Il ne suffit pas de mettre ce projet dans la liste des priorités du gouvernement”, a indiqué le ministre. “Il doit également faire l’objet d’un suivi continu au plus haut sommet de l’État”. Sur le plan réglementaire, le ministre a déploré un décalage entre les textes et les exigences de la digitalisation empêchant de réaliser de vraies avancées.
“Nous avons lancé un projet pour la digitalisation du parcours de l’entreprise et nous avons même commencé à préparer une application à cet effet”, a indiqué le ministre. “Malheureusement, nous n’avons pas pu le finaliser à cause de la loi qui exige un traitement par papier”. Sur le volet organisationnel, le ministre a noté que les organigrammes ne sont souvent pas adaptés aux exigences de la digitalisation.
“Du coup, nous créons deux systèmes parallèles, un pour le digital et un autre pour le traitement classique”. Le ministre a également mis en avant l’importance d’adopter une approche de conduite du changement dans les projets de transformation digitale.
Dessine-moi une transformation digitale
La digitalisation de l’administration fait partie du plan Smartgov élaboré dans le cadre de la stratégie nationale Tunisie Digitale 2020. Ce plan comporte 74 projets dont la plupart ont déjà été entamés, a affirmé Khaled Sellami, directeur général de l’unité de l’administration électronique au ministère de la Fonction publique. Par la digitalisation de l’administration, le gouvernement vise à améliorer la qualité des services et le taux de satisfaction des citoyens et renforcer la confiance du citoyen, a affirmé Raoudha Khelif, directrice générale des technologies de l’information au ministère des TIC.
L’administration digitale offre des avantages de taille, explique Khelif, dont la qualité des services et leur sécurisation, la fiabilité, la systématisation, la performance, la traçabilité et la transparence. La difficulté avec les projets de transformation réside dans le fait qu’il s’agit de projets complexes faisant appel à un grand nombre de parties prenantes. Afin d’éviter les blocages, le gouvernement a mis en place une commission ministérielle d’accélération des projets de transformation digitale pour assurer ce pilotage de proximité et prendre les décisions à temps, a indiqué Khelif. Le gouvernement a mis également en place une liste de projets prioritaires. D’abord, il est question de revoir l’architecture des parcours administratifs et leur digitalisation en des services entièrement en ligne. Il est également important de migrer vers une administration interconnectée permettant l’échange en temps réel de données.
“La mission ne sera pas simple puisque les bases de données ne sont pas standardisées”, a expliqué l’expert. “Pis encore, certaines administrations n’ont pas encore de bases de données informatisées”. Le but étant d’éliminer le besoin de demander au citoyen de ramener un document fourni par l’administration. L’échange des données doit aussi être possible avec des tierces parties par le biais d’interfaces publiques.
“Le secteur privé doit avoir la capacité d’utiliser ces données pour développer de nouveaux services”, a souligné Sellami. Et afin de développer ces services tout en optimisant les ressources et les infrastructures, le projet du gouvernement table sur le lancement d’un cloud national. Ce système permettrait aux administrations de déléguer la gestion de l’infrastructure et de se focaliser sur leur cœur de métier. Et pour assurer l’adéquation des solutions développées par l’administration avec les besoins réels des utilisateurs, un baromètre de satisfaction sera mis en place. Mieux encore, toutes les applications auront un espace de réception des commentaires et des feedbacks des utilisateurs, a souligné Khaled Sellami.