Anis Sahbani, fondateur d’Enova Robotics
Enova Robotics, première entreprise tunisienne de fabrication de robots, a réussi sa levée de fonds d’une valeur de 4.5 millions de dinars auprès de Capsa Capital Partners, société de gestion d’actifs. Le Manager s’est entretenu avec son fondateur, Anis Sahbani, qui a dû suer sang et eau pour réussir un parcours parsemé d’obstacles. Qu’à cela ne tienne, le jeune entrepreneur a tenu bon et fini par réaliser son rêve. Focus.
Anis Sahbani était professeur à l’Université Pierre & Marie Curie en France avec plus de dix ans de carrière lorsqu’il a constaté qu’aucun robot de sécurité n’est disponible sur le marché. Il décide alors de rentrer à sa terre natale pour saisir l’opportunité et lancer la première entreprise de fabrication de robots en Tunisie. “L’étape cruciale est, à mon avis, de détecter un besoin qu’on peut résoudre par une solution innovante”, a-t-il déclaré.
“Une fois ce besoin bien assimilé, la recherche de la solution devient beaucoup plus facile”.
Administration vs Innovation
La mission d’Anis n’a pas été de tout repos. “Au départ, personne ne voulait croire qu’une entreprise tunisienne pourrait, non seulement fabriquer des robots, mais aussi les exporter en Europe”, se rappelle le jeune entrepreneur. Anis Sahbani nous a raconté l’anecdote de ce fonctionnaire qui, en entendant le mot “robot”, avait cru qu’il voulait fabriquer un robot cuisinier Moulinex ! Anis s’est rendu compte que même les mécanismes créés pour faciliter la tâche aux investisseurs peuvent devenir des obstacles, comme était le cas du Guichet unique.
D’ailleurs, l’entrepreneur appelle à la révision de la gouvernance de ce mécanisme : “Il est difficile de coordonner entre les représentants des différents organismes et ce, en l’absence d’un seul vis-à-vis qui chapeaute ses activités”, précise-t-il. Sahbani déplore également le manque d’autonomie des fonctionnaires au guichet unique vis-à-vis de leurs administrations centrales faisant perdre aux investisseurs un temps précieux. Malgré toutes ces difficultés, Anis Sahbani a réussi à réaliser son rêve, et Enova Robotics, première entreprise tunisienne spécialisée dans la fabrication de robots, a pu voir le jour en juillet 2014.
Des brevets qui ne protègent pas la propriété intellectuelle
Souhaitant protéger la propriété intellectuelle de son entreprise, Anis Sahbani s’est rendu à l’évidence qu’il existe en Tunisie peu de cabinets d’avocats spécialisés dans la rédaction de brevets. “Pour qu’un brevet puisse protéger efficacement la propriété intellectuelle, il faut qu’il soit rédigé en bonne et due forme par un juriste spécialisé en la matière”, explique-t-il. Les innovateurs tunisiens qui n’ont pas les moyens et/ou les contacts nécessaires pour faire appel à un cabinet étranger peinent à trouver un cabinet qui peut les assister à rédiger leurs brevets, déplore Sahbani. “L’État devrait mettre en place les mécanismes nécessaires pour inciter la création de tels cabinets”.
Un accès plus difficile au marché
Et ce n’est qu’en novembre 2014, cinq mois après sa création, que l’entreprise a réussi à exporter son tout premier robot. Il s’agissait d’un modèle dédié à l’enseignement et à la recherche. Un an plus tard, en novembre 2015, le premier robot de sécurité, son produit phare, a été exporté. “En tant qu’acteur précurseur dans ce nouveau secteur, nous avions la mission de créer le besoin et d’éduquer le marché”, a souligné Anis Sahbani. Et d’ajouter : “Comme pour tout produit innovant, il nous a fallu plus de temps pour pouvoir convaincre nos premiers clients et pour commercialiser nos robots à grande échelle”.
Pour une meilleure valorisation de l’innovation
Le financement représente un autre obstacle de taille, d’autant plus qu’il s’agit d’une entreprise innovante. “Les mécanismes étatiques de financement de l’industrie, tels que le Foprodi ou la BFPME mettent trop de temps pour accorder leur financement”.
Pour les entreprises dont les marchés sont principalement à l’étranger, comme c’est le cas pour Enova, un retard de 6 mois peut engendrer la perte de ses avantages technologiques : “Un délai assez long va permettre à un concurrent de développer une technologie qui risque de nous dépasser”, explique l’entrepreneur.
Présenté souvent comme étant une meilleure alternative au secteur public, le financement privé n’est pas sans défauts. Et pour cause : des mécanismes caducs d’évaluation de l’innovation. “La valorisation se fait sur la base du chiffre d’affaires des trois dernières années”, explique l’entrepreneur.
Or, rares sont les entreprises innovantes qui réussissent à réaliser d’importants chiffres d’affaires durant ces premières années. “Nous avons un gros problème de valorisation du potentiel de l’innovation”, déclare le CEO d’Enova.
Pour étayer ses propos, Anis nous a raconté l’histoire d’un concurrent américain qui, avec un chiffre d’affaires de 20.000 dollars, a réussi à lever en un seul mois 128 millions de dollars. “Moi, avec une entreprise qui a réalisé 200 mille dollars de chiffre d’affaires, je galère pour lever deux millions de dollars !”
Une levée qui permettrait à Anis d’ouvrir la première succursale européenne d’Enova: “Une présence européenne aiderait à rassurer nos clients à l’étranger, aussi bien en termes de qualité du produit que de services après-vente”.