Dans un rapport publié récemment, l’agence Standard & Poor’s Global Ratings indique que “le secteur bancaire tunisien est doté de passifs et représente de ce fait une faiblesse pour l’économie du pays”.
Des conditions d’exploitation difficiles pour les banques, le recours au crédit bancaire par le passé pour développer certains secteurs économiques stratégiques tels que le tourisme et la lenteur de la mise en œuvre des réformes bancaires ont multiplié des actifs de qualité défectueuse et une faible capitalisation, indique le rapport rédigé par l’analyste de crédit Pierre Hollegien.
La réforme structurelle pourrait atténuer les problèmes relatifs à la qualité des actifs
Le système bancaire tunisien est encore doté d’actifs de faible qualité, en l’occurrence des prêts non-performants qui représentent 15,6% du total des prêts bruts à la fin de l’année 2016, d’après les chiffres de S&P. En dépit des récents progrès effectués par la Banque Centrale de Tunisie (BCT), en matière réglementaire incitant les banques à augmenter leurs provisions, celles-ci, de l’ordre de 60% à la fin de l’année 2016,demeurent relativement faibles.
Près du quart des créances douteuses du système bancaire proviennent des crédits accordés au secteur du tourisme qui n’a pas encore repris son essor. Les indicateurs de qualité des actifs des banques tunisiennes pourraient se détériorer davantage. Et pour cause, les pressions à la baisse des prix de l’immobilier.
Un effet qui devrait être nuancé par un engagement non important des promoteurs immobiliers vis à vis des banques. S&P voit d’un bon oeil que les banques utilisent systématiquement les salaires comme garanties, que les réglementations soient en faveur des employés en Tunisie et que le secteur public soit un rempart contre le chômage.
Les banques égyptiennes et, dans une moindre mesure, les banques marocaines ont pu faire face dix ans en arrière à des problèmes similaires grâce à des réformes structurelles. En Égypte, le gouvernement a assaini les banques publiques par le biais de remboursements des créances douteuses ou d’échanges d’actifs du secteur public (principalement immobilier). Il a remplacé leur management par des compétences issues du secteur bancaire privé. Quant au Maroc, la consolidation du système bancaire, l’amélioration de la gestion des risques des banques et l’augmentation des crédits accordés ont entraîné une baisse des ratios de créances douteuses.
Une fragilité d’origine réglementaire
Les exigences réglementaires locales en termes de capital restent faibles par rapport aux exigences internationales, en dépit des dernières augmentations. À titre de comparaison, les exigences réglementaires en matière de ratio d’adéquation des fonds propres et de ratio Tier 1 sont respectivement de 10 et 7% en Tunisie, alors que ces seuils sont fixés à 12 et 9% au Maroc.
En outre, les banques tunisiennes se réfèrent aux exigences de Bâle I pour leurs ratios réglementaires d’adéquation des fonds propres, d’où la négligence de certains risques. La capacité des banques à absorber les chocs s’en trouve alors fragilisée.
La BCT a introduit des exigences en matière de fonds propres pour prendre en compte les risques de marché en 2017 et prévoit même de passer à Bâle III d’ici 2020. Toutefois, Standard & Poor’s trouve que ce calendrier serait difficilement envisageable. Ce qui place les banques tunisiennes derrière leurs homologues de la région.
La mise en œuvre des exigences de Bâle III en matière de fonds propres en Égypte et au Maroc est à un stade plus avancé. Les banques égyptiennes sont déjà conformes à Bâle II et visent à passer à Bâle III d’ici 2019, tandis que les banques au Maroc ont déjà commencé la mise en œuvre des exigences de Bâle III tant du point de vue du capital que de la liquidité.
La consolidation est essentielle pour accroître la rentabilité
Les banques se concurrencent au sein d’un marché réduit. Les entreprises solvables ne font pas la majorité et le pouvoir d’achat ne s’en porte pas mieux. C’est ce qui a rendu de nombreuses banques tunisiennes plus vulnérables.
L’agence recommande la mise en place d’un cadre réglementaire favorisant une plus grande consolidation du système bancaire, pour améliorer sa résilience.
De son côté, l’Egypte a réduit le nombre de banques de 62 à 43 entre 2003 et 2006. Au Maroc, la fusion de la Banque Commerciale du Maroc et de Wafabank en 2004 a entraîné la formation d’Attijariwafa Bank et le gouvernement a cédé sa participation dans le Groupe Banque Populaire.
Selon l’agence de rating, les autorités tunisiennes ont montré moins d’intérêt pour la consolidation, “peut-être en raison de la fusion infructueuse de la Banque nationale de développement touristique (BNDT) et de la Banque de développement économique de Tunisie (BDET) en 2000 avec la STB”.
Standard & Poor’s estime que la cession des banques publiques et la consolidation du secteur nécessitera des années. Il faut dire que cette opération ne trouvera un engouement auprès des investisseurs privés que si les banques sont préalablement restructurées.
Des réformes plus ambitieuses pourraient stimuler la croissance
Standard & Poor’s juge que la création d’une société de gestion d’actifs financée par l’État ou la mise en place de règles de provision plus souples pourraient aider les banques à renforcer la qualité de leurs actifs, à améliorer leur rentabilité et à réduire les coûts de financement de l’économie. Encourager le financement des secteurs productifs et des petites et moyennes entreprises ― contrairement aux prêts aux particuliers et aux biens immobiliers ― pourraient pour sa part contribuer à stimuler la création d’emplois dans le pays, estime l’agence.
Enfin, Standard & Poor’s appelle à une transition vers les Normes internationales d’information financière (IFRS) et la publication des états financiers consolidés pour améliorer la transparence du secteur. Ceci reste une étape nécessaire pour renforcer l’attractivité des banques tunisiennes vis-à-vis des investisseurs locaux et étrangers et à encourager la discipline de marché.
Ainsi, S&P estime que le chemin est encore long, et ce, malgré les nombreuses réformes entreprises par la BCT durant les cinq dernières années.