Par Mounir Zallila, ancien PDG de l’Agence de Promotion de l’Industrie
Les relations économiques qu’entretient le Maroc avec les pays subsahariens sont régies par un cadre juridique de plus de 500 accords de coopération. Elles se distinguent, en outre, par une implication forte et profonde du secteur privé dans les différentes initiatives royales en direction du continent.
Ainsi, le roi Mohammed VI, depuis son accession au trône en 1999, a effectué pas moins de 49 visites à 27 pays au sud du Sahara et passé 949 accords, conventions et mémorandum de coopération, ceci, à chaque fois, à la tête d’une délégation forte de près de 10 responsables de départements ministériels techniques et de 200 entreprises triées en fonction des objectifs visés.
De fait l’ensemble des accords bilatéraux avec des pays d’Afrique subsaharienne portent sur le volet commercial et l’investissement: Accords commerciaux, accords de promotion et de protection des investissements, accords de non double imposition et convention d’établissement.
Résultat: en dix ans les exportations marocaines vers les pays subsahariens ont plus que quadruplé, passant de moins de 4 milliards en 2003 de DH à plus de 16 milliards de DH en 2013., soit pas loin de 10% des exportations totales marocaines. (1DH = 0,093 euro)
Autres chiffres: quelques 930 entreprises marocaines exportent vers cette partie du continent et plus de 12.000 contrats ont été signés rien que sur les cinq dernières années.
Plus récemment et après son offensive économique, adossée tout particulièrement aux secteurs bancaire et des télécoms et soutenue par le patronat, le Maroc oriente aujourd’hui sa diplomatie économique vers de grands projets d’investissements directs. Comme annoncé en novembre 2016, avec la construction, en Ethiopie, d’une gigantesque usine d’engrais de plus de deux milliards de dollars, ou encore, en décembre 2016, par l’annonce d’un projet de gazoduc, reliant le Nigeria au Maroc.
Face à de telles avancées, que pourrait donc faire la Tunisie pour se (re)positionner sans paraître dans ses petits souliers face à l’offensive Marocaine, agressive, bien structurée et bien déroulée. N’oublions pas que la Tunisie était pionnière à cibler économiquement le sud du Sahara, plus spécifiquement l’Afrique francophone.
Rappelons, quand même, que Youssef Chahed avait promis, lors du «Sommet des partenaires sociaux africains sur la promotion de l’emploi» (décembre 2016), de faire de 2017 l’année de la conquête du continent. Il ne faut donc pas désespérer de voir un sursaut de la Tunisie dans un avenir proche.
Ceci suppose (ou présuppose) l’adoption d’une réelle stratégie économique à inscrire dans le cadre d’une vision de moyen et long terme, orientée vers des réalisations en direction du continent impliquant une intégration régionale plus poussée de la Tunisie dans toutes ses dimensions commerciale, financière, économique et culturelle.
Trois fondamentaux demeurent essentiels pour une telle conquête: Y croire, être fermement convaincu et savoir convaincre les partenaires de la Tunisie des gains réciproques; accorder plus d’égards à la durée et non passer en courant d’air et, enfin, disposer d’une force de propositions en ayant à l’esprit que nous ne sommes pas les seuls sur les starting-blocks! Tous les regards internationaux sont orientés vers le continent africain, convaincus que la croissance mondiale sera tirée par celui-ci.
En effet les transformations profondes que connaît l’espace économique africain et les avancées enregistrées au plan de la croissance semblent augurer de perspectives positives. Le rythme de croissance sur la dernière décennie s’est élevé à une moyenne, enviable, de 5%, par an, pour l’ensemble du sous-continent et cette tendance devrait se consolider davantage à l’avenir.
Dès lors il ne s’agit plus et ne suffit plus de mettre dans un avion des hommes d’affaires avec à leur tête un haut responsable pour aller, au pas de charge, prétendre asseoir une présence pérenne. Le ratage de la mission économique multisectorielle itinérante de juin 2014 dans quatre pays (Mali, Niger, Tchad, Gabon), conduite par le précédent président de la République et le récent report de la mission projetée sont préjudiciables à l’image de crédibilité du pays auprès de ses partenaires.
D’où toute l’importance de donner, maintenant, un contenu concret et réfléchi à une démarche structurante, évitant les erreurs de programmation passées.
Aujourd’hui nous avons la chance d’avoir d’abord une locomotive à deux têtes: celle de Bassem Loukil et celle de Jaloul Ayed, respectivement président et président d’honneur de Tunisia — Africa Business Council et ensuite deux centrales patronales conscientes et convaincues des potentialités et opportunités offertes par le continent pour renforcer notre présence.
Une plus fine coordination entre les efforts respectifs centrée autour d’objectifs stratégiques précis ne peut, au final, qu’être bénéfique aux entreprises et au pays.
Cependant toute stratégie se doit d’être professionnellement pensée et adaptée aux spécificités de chaque région, de chaque pays, du continent à l’Est, à l’Ouest, au Centre comme au Sud. Pour cela des missions de bonne volonté, de haut niveau, devraient préalablement baliser le terrain à la relance voulue en allant chercher, sur place, les éléments d’une effective approche stratégique concrètement dédiée et adaptée à chaque pays en évitant le saupoudrage contre-productif!
Nos entreprises pourront ainsi repartir, en pleine connaissance des filières porteuses, à la conquête de leurs parts de marché et apporter leurs compétences en matière de développement du continent.
Finalement la question “La Tunisie est-elle africaine?” est inappropriée ! La Tunisie est et restera avant tout africaine. N’a-t-elle pas donné son nom au continent?