Lobna Jeribi, Présidente de Solidar Tunisie
Ancienne députée à l’Assemblée Nationale Constituante, pleinement consacrée au travail au sein de la société civile, Lobna Jeribi, préside aujourd’hui SOLIDAR Tunisie. Le think tank ne se contente pas d’aborder les chantiers du pays et de scruter les tendances lourdes qui se dessinent mais se veut surtout une instance d’alerte et une force de propositions et d’accompagnement des parlementaires et de l’exécutif. C’est sur SOLIDAR Tunisie mais également sur les urgences du pays et sur la Loi de finances 2017 que Lobna Jeribi a ouvertement répondu aux questions du Manager.
Par Sahar Mechri Kharrat
Pouvez-vous nous parler de SOLIDAR Tunisie et de sa vocation ?
SOLIDAR Tunisie est un Think Tank parlementaire, dans le sens où nous travaillons en accompagnement du processus législatif et en collaboration avec l’exécutif. C’est une boite à idées à la disposition de tous les parlementaires quelque soit leur affiliation partisane. Nous voulons notamment insister sur l’idée que nous n’avons pas l’intention de devenir un parti politique. Nous ne sommes affiliés à aucun parti politique. Nous travaillons sur les politiques publiques d’une manière institutionnelle et indépendante.
Notre objectif est de débattre des projets de loi, d’enrichir l’étude et de faire des propositions concrètes. A cet effet, une fois que le projet de loi est soumis à l’ARP, SOLIDAR Tunisie met en place tout un processus d’études, juridiques et économiques… Nous constituons un « focus group » qui regroupe des acteurs directement impliqués dans ce projet de loi tels que les corporations, les organisations professionnelles, les représentants de la société civile, de l’administration, des hommes et des femmes du terrain mais aussi d’experts et d’universitaires … Nous formulons des contre-propositions justifiées et chiffrées. L’étude sera ensuite envoyée à l’ARP et à la commission appropriée.
En fait, vous intervenez beaucoup plus en amont ?
Absolument. On suit le processus au niveau de la commission ensuite au niveau de la plénière. Il y a souvent des commissions de consensus qui sont devenues un peu une tradition. On essaie donc de suivre ce processus jusqu’au vote en plénière et une fois le budget adopté, notre travail est terminé.
Parlez-nous de vos bailleurs de fonds et de vos mécanismes de financement ?
Nos bailleurs de fonds sont des institutionnels européens et américains. En effet, grâce au travail de grande qualité de nos équipes et à leur professionnalisme, nous avons pu obtenir la confiance de bailleurs de fonds sérieux relevant de l’Union Européenne et des Etats Unis d’Amérique.
Pour ceux qui ne connaissent pas SOLIDAR Tunisie, pouvez-vous nous parler de ses pôles?
SOLIDAR Tunisie est constitué de plusieurs pôles. Nous avons un pôle Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA) qui a démarré depuis l’année 2015 à la création de SOLIDAR Tunisie. Nous travaillons en partenariat avec la cellule Aleca de la présidence du gouvernement. Nous avons également effectué des séances de travail avec des députés de l’Union Européenne (UE) afin de faire ressortir les différents points de divergence pour lesquels on considère que l’offre telle qu’elle ne peut pas être acceptée par le côté tunisien. Nous œuvrons pour que la Tunisie puisse établir sa propre proposition.
On a également le pôle énergie et énergie renouvelable qui a pour objectif de booster l’investissement en la matière. Nous projetons d’entreprendre une action qui vise à présenter le cadre institutionnel et législatif et à mettre en avant les pistes d’amélioration.
Les pôles « bonne gouvernance » et « collectivité locale » suscitent également un grand intérêt pour nous. Nous sommes convaincus que la réussite du processus de décentralisation passera par une réelle mise en place de l’autonomie financière.
Last but not the least, il y a aussi le pôle fiscalité et finances. On a effectué un travail important sur les réformes fiscales et notamment les incitations fiscales. Un projet qui est actuellement soumis à l’ARP. A ce titre, nous proposons des amendements de cohérence, pour qu’il y ait une réelle convergence qui améliorerait la visibilité de l’investisseur. A titre d’exemple, la définition d’investissement comprend la création, l’extension et l’innovation alors que pour ce qui est des incitations fiscales l’investissement se limite simplement à la création d’entreprises.
Pensez-vous qu’on a plus besoin de consolider les entreprises en souffrance ?
Oui absolument. Notre vision, c’est que, aujourd’hui, avec l’ALECA, la Tunisie va vers le processus de négociation et de libéralisation. Au moment où nous avons besoin de champions nationaux, nous nous trouvons face à un tissu d’entreprises fragilisées, endettées… 80% de nos entreprises, des PME, des PMI, sont des micro-entreprises qui seront amenées à faire face à une concurrence internationale.
Si on prend l’axe emploi, les rapports de la Banque Mondiale disent que 1% des entreprises qui ont un nombre d’employés supérieur à 100, emploie près de 60% du marché du travail. Le bassin de l’emploi réside dans les structures importantes et solides. Il faudrait plutôt consolider et accompagner les entreprises pour qu’elles soient plus solides, de tailles plus importantes pour être prêtes à l’internationalisation. Pour plus de cohérence, nous espérons que ces incitations seraient revues en faveur de l’accompagnement et de la consolidation de nos entreprises tunisiennes.
D’un point de vue macro-économique, vous défendez beaucoup plus une idéologie sociale ?
Nous défendons les valeurs de la Constitution qui sont la justice sociale, l’équité, l’égalité, la transparence et la bonne gouvernance. Pour nous, il y a une Tunisie post-révolution avec de nouveaux principes constitutionnels qui doivent être mis en exergue dans les réformes et donc notre travail, c’est de sensibiliser pour une bonne gouvernance, pour une transparence et pour une justice sociale.
Concernant la préoccupation du moment, quelle est votre lecture du budget de l’Etat et de la Loi de finances?
Le budget économique reflète le schéma de développement et c’est la philosophie sur laquelle est bâtie la Loi de finances. Celle-ci permet de traduire, quelque part, les choix exprimés lors du budget économique. Et d’ailleurs, le dernier rapport du FMI sur la transparence budgétaire a souligné l’absence de débat public autour du budget économique. On espère donc qu’il y aura plus de débat sur le budget économique.
A Solidar, nous avons effectué une étude concernant le plan de développement quinquennal 2016–2020 sur trois axes les réformes, le commerce extérieur et l’emploi. Nous avons soulevé une inadéquation entre le budget économique, le plan de développement et la Loi de finances.
Nous tenons à signaler qu’au niveau des réformes, on est toujours dans les déclarations d’intention. Et là on a besoin d’une réelle matrice de réformes avec une réelle redevabilité, un tableau d’indicateurs de suivi, d’indicateurs d’avancement, d’indicateurs de performances, en quelque sorte un agenda clair.
Quelles sont les urgences d’après vous ?
D’abord, il faut mettre en place un travail de coordination entre les différents départements de l’Etat. Pour qu’un investisseur ait une bonne visibilité, il faut qu’il y ait une convergence des réformes exprimant une stratégie claire.
Pour ce qui est des réformes, le plus urgent c’est de faire passer les incitations fiscales. On continue de passer les mesures de la réforme fiscale dans la Loi de finances d’une manière sous-cadrée alors qu’on a besoin d’engager une réelle réforme fiscale. L’idée de Solidar est d’appuyer les incitations fiscales au détriment des incitations financières. Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas d’indication sur l’impact des incitations financières qui ont été attribuées, parfois avant même que la production n’ait commencé.
Il y a également, la modernisation et la digitalisation de l’administration ainsi que les mesures de la lutte contre la fraude et la corruption.
Quelles sont vos recommandations par rapport aux dispositions du projet de la Loi de finances pour l’année 2017 ?
Nous avons procédé à une lecture critique du projet de Loi de finances et nous voulons aviser l’opinion publique et les décideurs concernant certaines dispositions relatives à l’IRPP, aux impôts directs et indirects. Pour ce qui est de l’impôt sur le revenu, nous proposons de ne pas surcharger les professions non commerciales par de nouvelles obligations car elles sont également concernées par l’obligation de l’émission de la note d’honoraire.
Il aurait mieux fallu les astreindre à respecter des obligations déjà observées. Concernant l’impôt sur les sociétés, nous pensons que la demande émanant des sociétés exportatrices de revenir vers l’exonération est plus motivée par l’allégement administratif que par la charge fiscale en elle-même surtout que les exportateurs étrangers sont soumis à la convention de la non double imposition.
Nous recommandons donc de garder le même niveau d’imposition aux exportateurs, mais de leur alléger et de leur faciliter les formalités administratives. Pour ce qui est de la TVA, nous constatons que l’élargissement de l’assiette sur des activités comme la vente en détail des médicaments ou les loyers perçus par les foyers universitaires est très préjudiciable sur les catégories de population concernées et risque de ne pas engranger au profit de l’Etat le montant des 70 millions de dinars prévus par cette reforme.
Enfin, il y a lieu de signaler que les mesures permettant d’intégrer les marchands ambulants dans le circuit officiel ont déjà été prévues pour un spectre plus large dans la LFC2014. Il y a lieu à cet effet, d’examiner d’abord l’impact de ces mesures.
Avez-vous un message à faire passer ?
Nous remercions tous ceux qui font confiance à SOLIDAR qui est un jeune Think Tank, puisqu’il a commencé à travailler depuis 2015. Nous sommes très honorés par la confiance de certains acteurs et décideurs et nous œuvrerons à sauvegarder et à consolider cette relation de confiance que nous avons avec les institutions, qu’elles soient de l’exécutif ou du législatif, pour pouvoir avoir une réponse et être réactifs.